237.000 manifestants… La précision des chiffres fait sourire. Ils étaient très nombreux, plus nombreux que la semaine précédente, et cela, entre le 1er et le 15 août, la période où la France est en vacances… On se demande comment cette étonnante précision a pu être obtenue, alors qu’il y avait plus de 150 rassemblements, cortèges et défilés dans le pays. On a compris qu’il fallait constater la croissance de la contestation, mais en limiter l’ampleur. Le problème n’est évidemment plus celui du vaccin. Avec le feu vert au passeport sanitaire des prétendus « sages » du Conseil constitutionnel, les dernières illusions sur notre démocratie d’apparence et notre État de droit de pacotille se sont envolées.
Un Président omnipotent, un gouvernement aussi incompétent que soumis, une Assemblée réduite à une chambre d’enregistrement des édits élyséens… L’absence de séparation des pouvoirs et la concentration de ceux-ci dans les mains d’un seul homme aussi narcissique qu’inexpérimenté… Aussi, beaucoup espéraient naïvement que les « sages » du Conseil constitutionnel redresseraient, rééquilibreraient la situation. C’était mal connaître cette « institution ». Les membres du Conseil constitutionnel appartiennent tous à l’oligarchie régnante, la haute fonction publique avec une forte dose d’énarques, si possible inspecteurs des finances comme Fabius ou Juppé, ou encore Michel Pinault, dont la carrière entre Conseil d’État, grandes entreprises et autorité administrative indépendante offre un modèle du parcours de notre élite. Ensuite, la plupart sont davantage des politiques que des magistrats choisis dans le cadre du copinage qui prévaut dans notre « République ». Enfin, et c’est le plus grave, depuis le 16 juillet 1971, cette institution a quitté la voie étroite à laquelle elle était vouée, à savoir contrôler les limites du législatif. Abandonnant la « mécanique » juridique et se permettant de fonder ses décisions sur le préambule de la Constitution et ses tirades philosophiques, elle a versé dans l’idéologie et émis des avis purement politiques.
En tant que parlementaire, j’ai directement été touché par deux de ses censures. J’avais participé avec vigueur à l’abrogation de la loi Falloux afin de permettre le financement public de la construction de locaux d’enseignement privé sous contrat. La loi a été abrogée par le Conseil constitutionnel sous la pression des milieux laïcards au nom du principe d’égalité… alors, précisément, que la situation à laquelle nous voulions remédier établit une inégalité de traitement entre l’enseignement primaire, le secondaire et le technique, le premier n’ayant droit à rien et le dernier à tout ! Plus récemment, mon amendement voté quatre fois au Parlement sur le « rôle positif de la France outre-mer » a été envoyé au panier pour des raisons qui, curieusement, n’ont pas prévalu contre la loi Taubira sur l’esclavage.
Globalement, les décisions du Conseil constitutionnel oscillent entre des choix politiques inspirés par les amis qui détiennent le pouvoir et des préférences idéologiques propres à la caste qui règne sans partage dans notre pays, l’oligarchie de la haute fonction publique, dont la formation depuis 1968 a assuré le progressisme militant, avec quelques nuances d’intensité entre la gauche et la droite. On observera que la valeur très floue de « fraternité » a été récemment brandie pour exonérer les passeurs de migrants de leur délit, mais qu’elle est oubliée en faveur des Français et de leur accès à l’hôpital. Ainsi, le Conseil constitutionnel a cautionné la liberté d’aider autrui « dans un but humanitaire » sans égard pour la régularité de son séjour en France. Autrement dit, il a autorisé la transgression de la loi sans tenir le moindre compte de l’intérêt national ni de la volonté du législateur.
En revanche, la fraternité d’un médecin français à l’égard d’un malade français sera réservée dans les hôpitaux, sauf urgence, au détenteur d’un passeport sanitaire. Si on ajoute à ces considérations la présence du fils de M. Fabius, président du Conseil constitutionnel, au sein du cabinet McKinsey qui a été curieusement appelé pour conseiller le gouvernement français dans sa stratégie sanitaire, comme si le luxe des autorités administratives et autres agences de notre fonction publique pléthorique ne suffisait pas pour répondre aux questions, on prend soudainement conscience de ce qu’est devenu notre pays : une façade qui cache de moins en moins une réalité rabougrie, repliée autour d’un microcosme faisandé qu’il est temps de renverser.
Christian Vanneste