Après un an et demi de pandémie virale et de ses conséquences économiques et sociales, le monde a de nouveau soif de… LIBERTE ? Non, il a soif… de pétrole, de gaz, d’électricité et de charbon pour faire fonctionner ses usines, ses centrales thermiques et ses transports ! La reprise économique est désormais installée en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, et la forte demande en énergie tire depuis des mois les prix vers le haut.
A commencer par ceux du pétrole, ce qui permet aux entreprises du secteur de renouer avec des résultats exceptionnels. La compagnie publique Saudi Aramco a ainsi annoncé, dimanche 8 août, un bénéfice de 25,5 milliards de dollars (21,7 milliards d’euros) au deuxième trimestre, quatre fois plus qu’un an auparavant.
L’or noir donne la tendance : son renchérissement explique en partie celui du gaz, qui pèse à son tour sur le coût de production de l’électricité. Malgré quelques fluctuations, le baril de brent a progressé de plus de 55 % en un an, passant de 45 dollars à 75 dollars, et n’est descendu en dessous que lundi 9 août (69 dollars). Cette tendance alimente l’inflation et « impacte très fortement nos importations en valeur », selon le ministre délégué au commerce extérieur, Franck Riester. Résultat : le déficit commercial de la France s’est creusé pour atteindre 34,8 milliards d’euros au premier semestre.
L’équilibre entre l’offre et la demande est tendu et l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, rejointe au sein de l’OPEP+ par dix autres nations emmenées par la Russie, pilote la production pour que les prix restent élevés sans compromettre la reprise. Les extractions aux Etats-Unis sont inférieures d’environ 15 % à celle de début 2020, alors de 13 millions de barils par jour, et la remontée des prix n’a pas entraîné de reprise des campagnes de forage de pétrole de schiste (shale oil).
Cette hausse du brut et des marges de raffinage se cumule avec un niveau élevé de taxes (60 % d’un litre de carburant) et pèse sur le budget des ménages. Selon les derniers chiffres du ministère de la transition écologique, le prix moyen du super 95 a atteint 1,56 euro et celui du gazole 1,44 euro pour la semaine achevée le 1er août, soit une augmentation de l’ordre de 15 % sur un an.
La demande est elle aussi très forte, surtout des industries énergivores et des pays asiatiques. Les marchés s’emballent, également tirés par les cours du brut. Le prix spot du gaz en Asie (Chine, Japon et Corée du Sud) a été multiplié par six, passant en un an de 2,2 à plus de 13 dollars par British Thermal Unit (BTU) . Quant à l’Europe, moins dépendante du gaz naturel liquéfié (GNL) qatari, américain ou australien, elle n’a pas connu des prix aussi élevés depuis 2008.
Le tarif réglementé de vente (TRV) de gaz réservé à Engie, qui concerne encore un tiers des 10,7 millions d’abonnés, s’en ressent. Il a été relevé de 9,96 % au 1er juillet et de 5,3 % au 1er août, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Le régulateur indique qu’en raison des fortes baisses enregistrées au début de la crise sanitaire, ce tarif n’a finalement pris « que » 6,5 % depuis janvier 2019.
Mais cette hausse de 2021 n’est pas seulement liée aux prix mondiaux. S’y ajoutent un hiver froid, qui nécessite une reconstitution des stocks, des opérations de maintenance en mer du Nord et un relèvement des obligations des fournisseurs en matière de sobriété énergétique, qui répercutent le coût des certificats d’économies d’énergie sur le consommateur. Enfin, Gazprom (40 % des importations de l’Union européenne) gère ses exportations transitant par l’Ukraine au plus juste. Une manière pour le géant russe, proche du Kremlin, de signifier que son nouveau gazoduc, Nord Stream 2, accepté bon gré mal gré par les Etats-Unis, est indispensable à la sécurité d’approvisionnement du Vieux Continent.
Sur le marché de gros, le mégawattheure pour fourniture en 2022 approche 80 euros, alors qu’il n’a été que de 46 euros en moyenne en 2020. L’électricité coûte donc de plus en plus cher aux particuliers, y compris pour une majorité de Français aux tarifs réglementés. Elle a encore augmenté de 0,48 % en août, après + 1,93 % en février et deux augmentations plus fortes en 2020.
Comment l’expliquer ? Par le prix du gaz, qui permet de produire 20 % du courant en Europe, et celui du CO2, qui n’a cessé de se renchérir. Ce signal prix au-delà de 50 euros la tonne sur le marché doit rendre les énergies fossiles moins compétitives et favoriser les énergies bas carbone. En France, la baisse de disponibilité du parc nucléaire, due à des décalages dans le programme de maintenance des 56 réacteurs durant les premiers mois du Covid-19, a aussi pesé, obligeant EDF à acheter sur le marché de gros.
Les prix du courant flambent au Royaume-Uni, en Italie et surtout en Espagne (+ 36 % par rapport à l’été 2020). Le gouvernement a dû réduire la TVA pour limiter la flambée et contenir la colère des Espagnols. Il a réclamé à la Commission européenne un assouplissement des règles de marché pour que les prix reflètent certes les coûts mais restent « raisonnables ». Or, celle-ci juge que le système actuel favorise une concurrence saine pour créer des règles du jeu équitables en faveur des énergies renouvelables et du stockage. Le contraire de l’ancien, accusé d’être « cher, inefficace et dominé par quelques grandes entreprises qui contrôlaient le secteur ».
Comme EDF, qui reste trop monopolistique aux yeux de Bruxelles. A terme, ses tarifs, parmi les plus compétitifs d’Europe, devront répercuter les coûts croissants de la prolongation des centrales nucléaires, du probable remplacement de certains réacteurs par des EPR de nouvelle génération, de la numérisation du réseau d’Enedis et du développement accéléré de l’éolien et du solaire. Un effort financier énorme pour espérer atteindre l’objectif de baisse de 55 % des émissions de C02 en 2030 (par rapport à 1990) fixé par l’Union européenne et assurer la sécurité d’approvisionnement.
Dans l’immédiat, seule une flambée des variants du Covid-19, entraînant un reconfinement et une rechute de l’activité mondiale, pourrait changer la donne énergétique. Pas à moyen terme, où les prix ne peuvent que croître.
L’or noir sera volatil, mais des patrons de majors, comme celui de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, n’excluent pas un baril à 100 dollars, un scénario cohérent avec le fort recul des investissements dans l’exploration-production depuis 2015. Carburants automobiles, fioul domestique, gaz et électricité resteront chers. La transition écologique a un prix et il sera élevé, surtout pour les plus modestes. Le seul remède reste la sobriété énergétique… pour ceux qui peuvent se le permettre.
Vous l’avez compris, les plus riches seront encore plus riches quand les plus pauvres seront encore plus pauvres ! Il n’est pas beau le « monde d’après » ?
Le 12 août 2021.
Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.