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«Céline, c’est mieux qu’un site de rencontres, c’est une communauté de lecteurs»

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La célinomanie est la maladie qui affecte tout lecteur de Louis-Ferdinand qui a pris le « Voyage » à bout portant dans le buffet. On ne s’en relève jamais complètement. Alors on le relit sans cesse, on l’étudie, on crée des « fight clubs » de célinomanes. Aucun auteur n’en compte autant. Malheureusement, ces cercles s’embourgeoisent. Notre collaborateur Émeric Cian-Grangé, directeur de la collection « Du côté de Céline » à La Nouvelle Librairie, a voulu apporter du sang frais en portant sur les fonts baptismaux une nouvelle association : la Société des lecteurs de Céline (SLC). Bien-pensants, passez votre chemin !

ÉLÉMENTS : Le petit monde des spécialistes de Louis-Ferdinand Céline est en effervescence. François Gibault, exécuteur testamentaire du maître, vient de claquer la porte de la Société d’Études céliniennes (SEC), qui senorgueillissait daccueillir naguère des gens comme Philippe Alméras ou Henri Godard et qui, aujourd’hui, est noyautée par des « tâcherons minuscules », pour parler comme lauteur de Mort à crédit. Est-ce la raison pour laquelle vous avez créé la Société des lecteurs de Céline (SLC) ? Pour damer le pion à tous ces vieux croûtons apeurés ?

ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Au risque de vous décevoir, cher François, notre intention était plus honorable. Réduire la Société des lecteurs de Céline à un simple contre-projet me semble inapproprié, sa création découlant en effet de la mise en chantier d’un prix littéraire célinien. C’est en lisant Europia, premier volet d’un triptyque imaginé par Jean-Claude Albert-Weil (LAltermonde), que cette idée a pris forme en mai 2020. Philippe Alméras, Stéphane Balcerowiak et Pierre Chalmin furent les premiers à me soutenir, et c’est au détour d’une conversation électronique avec Alain de Benoist, en mars 2021, qu’il devint évident que ce prix devait être décerné par un organisme associatif. Il n’a fallu que quelques mois et l’action de céliniens déterminés pour que la SLC voit officiellement le jour, le 1er juillet 2021, à l’occasion de la commémoration des soixante ans de la mort de Louis-Ferdinand Céline. Étoffée, elle s’est également fixé pour objet de réunir, sans passion partisane ni politique, les amateurs de l’auteur de Mort à crédit, d’œuvrer pour la promotion et la diffusion de l’actualité célinienne et de contribuer à la recherche célinienne.

Les nombreux messages de soutien que nous avons reçus depuis sa création confortent néanmoins votre sentiment et prouvent qu’il était « temps d’envisager des études céliniennes délestées de ceux qui se servent de l’œuvre de Céline sans jamais servir celle-ci ». À titre d’exemple, ce courriel d’un sociétaire enthousiaste : « Excellente initiative que la création d’une société des lecteurs ! Point d’appartenance à une élite qui dise comment penser la prose du maître, seul le goût de partager des émotions suscitées par l’écriture de Céline compte. » Et celui-ci, pour qui « l’heure est peut-être venue de donner aux études céliniennes une envergure à la dimension du géant qu’était Céline ». Le magistère de la Société d’études céliniennes n’ayant cessé de décliner – une conséquence de l’idéologisation, de l’entre-soi et du sectarisme de ses dernières équipes dirigeantes –, il n’est pas surprenant que l’apparition d’une nouvelle société célinienne puisse être considérée comme « une excellente initiative, d’autant que côté SEC, rien ne va plus… »

Je m’accorde une petite parenthèse triviale qui a néanmoins son importance, car « à force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l’a dans le cul ». Nous avons été quelques-uns à proposer nos services, lors de l’assemblée générale de décembre dernier, afin de redynamiser une SEC en capilotade, ce qui nous a valu d’être traités comme des ennemis idéologiques. À titre personnel, j’ai été la cible d’une campagne de diffamation menée par l’éditeur nantais des Écrits polémiques qui, en amont de l’assemblée générale, a contacté plusieurs personnes pour leur demander un « pouvoir » afin de contrer une OPA d’extrême droite orchestrée par… Émeric Cian-Grangé. D’autres ont menacé de démissionner et d’annuler leur participation à un colloque organisé par la SEC si je devais ne serait-ce qu’intégrer le conseil d’administration. Le trésorier m’a comparé au choléra, ce qui était somme toute assez désobligeant et fort mesquin. Last but not least, afin de renforcer le cordon sanitaire autour d’un noyau dur qu’il convient de designer sous le terme peu reluisant de « coterie » (« une association de médiocrités », selon Delacroix), le Président – François Gibault himself – a truffé la SEC de collègues du barreau, céliniens de papier le temps d’une assemblée. Ostracisés, nous avons naturellement pris la décision de quitter cette association dogmatique et déloyale, comme bon nombre de cotisants qui, informés des événements par le Bulletin célinien de Marc Laudelout, n’ont pas renouvelé leur adhésion. La démission de François Gibault – une tempête dans un verre d’eau – ne peut nous faire oublier qu’il a présidé aux destinées de la SEC pendant plus de trente-cinq ans avec une partie des personnes qu’il prend le temps de débiner, avant de mettre les bouts.

Céline ne saurait être confisqué par un cénacle à prétention élitiste (« des pots en masse, peu de confiture ») : tout comme son œuvre et ses lecteurs, il mérite une association à la fois libre et exigeante.

ÉLÉMENTS : Quels sont les céliniens que vous avez réuni autour de vous ?

ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Des céliniens libres et exigeants, justement. Tout d’abord, la Vieille Garde, composée de Philippe Alméras (la lecture de son œuvre vous vaccine contre toute forme de conformisme et de soumission), Éric Mazet (« le meilleur d’entre-nous », « celui qui sait tout sur Céline ») et Marc Laudelout, directeur émérite du Bulletin célinien depuis plus de quarante ans. From the USA, où il a interviewé Elizabeth Craig en 1988, le professeur Jean Monnier. Dall’Italia, Valeria Ferretti, traductrice et chercheuse énergique, auteur d’une thèse sur la retraduction d’une écriture orale mythique – la langue de Céline – en italien. Marie Vergneault-Gourdon, enseignante et doctorante, en passe d’achever une thèse portant sur l’émotion et le lyrisme chez L.-F. Céline. Deux homo literatus en diable : Stéphane Balcerowiak (que serait une association célinienne sans compter de médecin dans ses rangs ?) et Pierre Chalmin (que serait une association célinienne sans compter d’écrivain dans ses rangs ?). Gérard Silmo (spécialiste de Gen Paul et grand connaisseur de la correspondance célinienne), Michel Mouls (à l’origine d’une lettre d’information célinienne envoyée à près de cinq cents abonnés) et Christian Mouquet (gestionnaire du groupe Facebook « Archives Louis-Ferdinand Céline », fort de trois mille membres) forment notre triumvirat de choc. La Société des lecteurs de Céline ne serait rien sans les conseils avisés de Claude Beauthéac, docteur ès associations, et sans la bibliothèque célinienne de Marc Van Dongen, docteur ès bibliophilies. Pour terminer, Christophe Malavoy, écrivain, comédien, célinien authentique, fidèle et pugnace, nous honore de sa présence en participant à la réflexion concernant l’identité et la singularité de notre prix des lecteurs de Céline.

ÉLÉMENTS : Quest-ce que la Société des Lecteurs de Céline prépare ?

ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. C’est au Conseil d’administration, qui se réunira en octobre 2021, de définir le programme pour les trois années à venir. Sachez néanmoins que la SLC ne s’épargnera aucun effort pour être à la hauteur des attentes de ses membres et de la tâche qu’elle s’est fixée. Son ambition est en effet de représenter le plus légitimement possible la communauté des lecteurs de Céline et de lui permettre de s’exprimer de façon décomplexée. Un sociétaire a très bien résumé notre état d’esprit : « C’est enthousiasmant de savoir que nous existons, nous, lecteurs, et que nous nous reconnaissons, et que nous transmettons. » Vous le savez, les sociétés littéraires s’épuisent et finissent par mourir d’anémie. Les lecteurs, eux, restent bien vivants. Nous partons donc du principe que la SLC appartient à ses membres – dont le rôle ne se limite pas à envoyer un chèque une fois l’an – et qu’elle vit à travers et pour eux. Des adhérents que j’ai eu au téléphone m’ont d’ailleurs fait part de leur souhait de participer à la vie de l’association. C’était d’autant plus spontané qu’ils m’ont dit se sentir en confiance au sein d’une société gérée par des gens qui leur ressemblent. Pas de « lecteurs d’en haut » ou de « lecteurs d’en bas » chez nous, et encore moins dans une société présidée par un modeste policier.

Et Céline dans tout ça, me direz-vous ? Il sera naturellement à l’honneur du prix littéraire que délivrera le jury de la SLC. Il sera également au cœur des bulletins d’information qu’elle éditera, du site Internet qu’elle gérera, des manifestations qu’elle organisera (expositions, journées céliniennes, débats…), des études qu’elle entreprendra et de la plaquette numérotée (sur beau papier, avec un texte rare ou peu connu sur Louis-Ferdinand Céline) qu’elle adressera aux sociétaires. Nous tenons par ailleurs à dépasser les frontières géographiques (l’auteur de Rigodon est lu dans le monde entier) et culturelles (Céline doit réinvestir le monde universitaire) pour promouvoir et diffuser l’actualité célinienne (ouvrages, thèses, analyses, informations livresques, adaptations théâtrales et créations audiovisuelles, soient-elles françaises, francophones ou étrangères, podcasts, rencontres thématiques en France et dans le monde).

ÉLÉMENTS : Comment vous soutenir ? En adhérant à la Société des Lecteurs de Céline, j’imagine ? Mais encore ?

ÉMERIC CIAN-GRANGÉ : Nous soutenir, c’est adhérer et communiquer par tous les moyens possibles sur l’existence de l’association, revendiquer son appartenance à la communauté des lecteurs de Céline et faire preuve d’un prosélytisme imaginatif et débridé. C’est aussi mettre des infrastructures à notre disposition, nous accompagner dans l’organisation d’événements, nous soutenir dans l’édition de nos travaux et contribuer à l’organisation de notre prix littéraire. En somme, faire feu de tout bois. Un membre du Conseil d’administration de la SLC a très bien résumé notre position et l’engagement qu’elle exige de nous : « Notre toute nouvelle société va se retrouver au cœur de nouveaux paradigmes, avec des ingrédients inédits et des positions que l’on attendra de notre part. Et son président en l’occurrence devra participer, animer, et représenter celle-ci. Du grain à moudre certes, et du pain sur la planche… » Il faut donc prendre le train en route, alimenter la locomotive en combustible, profiler les rails et dire son admiration pour l’œuvre de Céline et ses formidables chambardements littéraires. Gi !

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