OPINION. Face à plusieurs mois de lutte, Emmanuel Macron a décidé fin juillet de suspendre temporairement le projet de démantèlement d’EDF. Ne nous y trompons pas, le découpage et la privatisation du Groupe énergétique français ne sont que partie remise. Une première bataille remportée pour le camp souverainiste.
Depuis quelques mois, le projet de démantèlement d’EDF (le projet « Hercule » devenu par la suite « Grand EDF ») avait du plomb dans l’aile. Il devenait peu probable que le projet passe en force avant l’élection présidentielle. Deux alternatives sont alors apparues. La première consistait à suspendre ou à abandonner la réforme, au moins jusqu’aux prochaines élections. La seconde consistait à valider, avant les élections présidentielles, tout ce qui était « acceptable » par les Français, et réserver la potion amère pour le lendemain de l’élection. Emmanuel Macron a préféré attendre son deuxième mandat.
Regardons le passé pour mieux comprendre l’avenir
Revenons aux origines. En 2015, la restructuration d’Areva est en cours. L’état oblige EDF à aider au sauvetage. En même temps, le chantier de Flamanville prend du retard. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, initie le projet Hercule. Selon lui, le nucléaire doit être sorti de la bourse, devenir régulé avec une gouvernance indépendante d’EDF SA, comme la filiale RTE l’est aujourd’hui. Le reste de l’entreprise doit être privatisé pour lui donner les moyens d’investir et de se développer (à l’étranger). Cette idée lui a été soufflée par le directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal. Début 2016, le gouvernement pousse l’entreprise EDF à lancer le projet Hinkley Point en Grande-Bretagne : le directeur financier d’EDF démissionne pour s’opposer à cette décision.
Le ministre devient président : Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron lance le projet Hercule. On retrouve les grandes lignes du projet discuté quelques mois plus tôt, à ceci près qu’il n’est pas seulement question de privatiser EDF, mais de démanteler l’entreprise et, pourquoi pas, fusionner certaines activités avec ENGIE. Emmanuel Macron laisse le PDG d’EDF faire des propositions, mais les grandes lignes sont déjà bien dessinées.
La contestation : L’opposition au projet est importante. Là où le financier voit du profit, les salariés d’EDF, les syndicats et bien d’autres voient un démantèlement d’un joyau industriel français. Entre le PDG d’EDF et le gouvernement, on se renvoie la patate chaude : le démantèlement d’EDF, c’est l’idée de l’autre ! Les discussions traînent en longueur et petit à petit, le projet est enterré. Plus personne n’en entend parler.
La renaissance : En octobre 2020, un document de l’Agence des Participations de l’État fuite sur le site web de Reporterre. On y apprend que les négociations se déroulent désormais entre l’État et la Commission européenne et qu’elles devraient aboutir dans les prochains mois. Pourtant, il s’agit toujours du même projet, décrié quelques mois plus tôt. Syndicats, parlementaires, salariés… Tout le monde découvre qu’Emmanuel Macron et son gouvernement ne comptent plus s’embarrasser d’un débat démocratique pour faire avancer le projet. Aucune concertation, aucune information. Pourtant il s’agit d’une entreprise publique stratégique, un acteur majeur de l'économie et de l’aménagement des territoires.
Nouvelle levée de boucliers chez les syndicats dont l’objectif premier est alors de faire sortir le projet de l’ombre et de susciter le débat. À l’époque, même le PDG d’EDF se dira peu au fait des négociations. À l’écouter, il est tout juste occasionnellement consulté. Il reconnaît timidement que des négociations sont bien en cours, mais que le document qui a fuité est un vieux document. Il ne faudrait pas se braquer au regard de son contenu, car il ne refléterait plus la réalité des discussions entre l’État et la Commission européenne. L’avenir montrera que le document était tout à fait à jour.
Le déni de démocratie : Puisque le document présenté par Reporterresemblait obsolète, les syndicats demandent les documents à jour afin de pouvoir discuter et faire des propositions sur une base concrète. Pourtant, pendant plusieurs mois, les ministères impliqués ne transmettront aucun document officiel ni aux syndicats ni aux parlementaires et refuseront de les informer du contenu précis des négociations. C’est face à la pression médiatique que les choses changent. Bruno Le Maire acceptera de communiquer davantage avec les parlementaires et les syndicats, sur les avancées des négociations avec la Commission européenne.
Les manœuvres : En décembre 2020, pour faire valider le projet au plus vite, le gouvernement envisage de l’intégrer dans le projet de loi issue de la Convention Citoyenne sur le climat. Cela peut paraître étrange, car ce sont des sujets différents. L’idée est alors d’utiliser ce « véhicule législatif » dont le contenu doit être entériné par ordonnance, faisant ainsi l’impasse sur le débat parlementaire. La ficelle est trop grosse et le gouvernement se résoudra à réellement entamer des discussions avec les partenaires sociaux et les parlementaires. En avril 2021, le PDG d’EDF monte au créneau pour que les salariés s’approprient la réforme. Promis, les salariés seront pleinement impliqués dans cette réforme, car leur avis leur sera demandé… pour choisir les noms des trois entités qui résulteront du démantèlement de l’entreprise. Bruno Lemaire reçoit les syndicats un par un et compte sur les syndicats « réformateurs » pour valider le projet. En échange de leur l’appui, il propose une recapitalisation d’EDF à hauteur de 10 milliards d’euros. L’unité syndicale tient bon. Bruno Lemaire annonce : « Oublions Hercule et construisons ensemble le grand EDF. Voilà le message que je porte aux organisations syndicales que je reçois depuis le début de la semaine. Ce projet ambitieux tiendra compte de leurs propositions. » En réalité, le seul changement dans le projet, décrit pour la première fois dans un document quasi officiel, est le nom. Strictement rien d’autre n’a bougé. Les syndicats ne retrouvent aucune de leurs propositions. D’ailleurs, certains d’entre eux rapporteront que les réunions de travail avec Bruno Le Maire se résument à un monologue de ce dernier. Cela fait étrangement écho aux propos du chef étoilé Philippe Etchebest, défenseur des restaurateurs en cette période difficile, suite à sa rencontre avec Emmanuel Macron et Bruno Le Maire : « j’ai compris que lorsque vous rentrez dans le bureau à Bercy, vous arrivez avec une idée, il faut que vous ressortiez avec la leur. »
Première victoire
Fin juillet 2021, Emmanuel Macron décide de suspendre le projet Hercule. Les actions menées au sein de l’association Front Populaire et Compagnie : Il ne fut pas simple de décrypter les manœuvres du gouvernement et de la Commission européenne. Il a fallu recouper les informations entre les déclarations médiatiques des différents ministres et du PDG d’EDF, visionner les auditions des commissions parlementaires, étudier les comptes-rendus des rencontres entre les syndicats et le gouvernement ou la Commission européenne, échanger avec des responsables syndicaux, lire des livres traitant du sujet, etc.
La compagnie du 78 a régulièrement partagé la synthèse de ses travaux au travers d’articles publiés dans la revue Front Populaire. Nous pouvons nous féliciter tous ensemble du renoncement temporaire du gouvernement sur le démantèlement de l’entreprise EDF. C’est une première victoire pour les souverainistes dans la longue bataille que nous devons mener. Nos actions ont été utiles. Il y eut notre pétition sur le site de l’Assemblée nationale (merci à tous ceux qui l’ont signée et partagée !), l’interpellation des élus par courriel (merci aux personnes qui nous ont contactés pour y participer !) et les différents articles (merci à la revue Front Populaire et à l’association d’avoir soutenu notre initiative !) et merci à toutes les personnes qui ont sensibilisé leur entourage sur le sujet !
Ne pas baisser la garde
Néanmoins, nous ne devons pas baisser la garde. La cause de tout ceci n’est pas liée à la santé financière de l’entreprise (EDF a fait 4 milliards d’euros de bénéfice au 1er semestre 2021), mais à une prédation issue de la convergence d’intérêts privés et de l’idéologie néolibérale. Des personnes veulent faire renaître Hercule de ses cendres : le PDG d’EDF qui regrette le projet. Il souhaite remonter le prix de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) — cette dernière oblige EDF à céder 25 % de son énergie nucléaire, soit 100 TWh/an, à ses concurrents à 42 €/MWh. Ce prix, cohérent au départ, n’a pas été réévalué depuis 2012. Depuis plusieurs années, il ne couvre plus les coûts de production nucléaire, estimés à 55-62 €/MWh. EDF subventionne donc ses concurrents à perte. — quelle qu’en soit la contrepartie.
Emmanuel Macron qui veut tout privatiser (FDJ, ADP, EDF, Alstom…), la Commission européenne qui veut de la concurrence à tous les niveaux, des investisseurs privés qui lorgnent les activités à la rentabilité garantie par la loi… D’ailleurs, les discussions entre l’État et la Commission européenne sont toujours en cours concernant le renouvellement des concessions hydrauliques (que l’Union européenne souhaite ouvrir aux entreprises étrangères) et la réforme de l’ARENH.
D’autres batailles importantes s’annoncent et nous espérons compter sur une mobilisation encore plus large de la revue Front Populaire, de ses contributeurs, et de ses lecteurs pour préserver notre souveraineté. Comme nous l’avons décrit, le projet Hercule n’en est pas à son premier abandon. Tout semble permis pour le faire aboutir, des méthodes les plus cyniques aux plus discutables. Emmanuel Macron avait l’ambition de découper EDF alors même qu’il n’était que ministre de l’Économie. Il est fort à parier que le combat reprendra après les prochaines présidentielles si Emmanuel Macron (ou un autre maastrichtien) est réélu.
Conclusion : Cette mobilisation pour défendre notre souveraineté a porté ses fruits. Mais EDF n’est pas le seul sujet sur lequel notre souveraineté doit être reconquise. Restons nombreux à soutenir les pétitions, à nous mobiliser sur les sujets souverainistes pour être entendus. Tous les gestes comptent, même ceux qui vous semblent les plus anodins : informer vos proches, vos amis, vos collègues, transférer un courriel, signer des pétitions, manifester, écrire à un élu, à une revue, à une radio, à une chaîne de télévision… Il n’y a ni petite bataille ni petit geste ! Comme le disait Napoléon 1er : « Impossible n’est pas français ! »
Merci encore à tous pour votre engagement !
La compagnie du 78
P.S : Si vous ne l’avez pas encore fait, n’hésitez pas à signer ou diffuser les pétitions en cours sur le sujet :
- pétition publiée dans une tribune du journal « Le monde » :
Pour une énergie publique - Je signe la pétition contre le projet Hercule (energie-publique.fr)
- pétition sur change.org, publiée par l’intersyndicale d’EDF : chng.it/5sD7zTKcBq
Source : https://frontpopulaire.fr/