Chronique de Paysan Savoyard
Notre pays, la France, est aux prises depuis plus de deux siècles avec un mouvement né en son propre sein et qui tend à le détruire : le mouvement de l’anti-France. Ce mouvement d’autodestruction au cœur même de la société française se développe à l’image des cellules cancéreuses, qui prospèrent dans l’organisme et s’en nourrissent pour mieux lui nuire. Cette anti France est aujourd’hui probablement en train d’atteindre à son but.
S’il y a anti France, c’est qu’il y a France et c’est donc elle qu’il faut d’abord définir. La France, bien sûr, est une société, une langue, un territoire et une histoire, qui lui sont propres. Cependant, les caractéristiques principales de la société française sont les mêmes que celles des autres sociétés européennes : culture gréco-romaine, religion chrétienne, mœurs européennes, race blanche. La société française s’inscrit donc dans un ensemble plus vaste, dont elle est un membre éminent : la civilisation européenne. Il faut d’ailleurs noter dès à présent que le mouvement anti France est également un ennemi de la civilisation européenne elle-même.
Qu’est-ce que l’anti-France ? L’anti-France est le courant idéologique et politique qui veut détruire la société française traditionnelle et annihiler plus généralement la civilisation européenne, pour leur substituer une autre société et une autre civilisation, celles de l’Homme nouveau, libre de toute appartenance, progressiste et internationaliste. Pour répondre à la question suivante – d’où vient l’anti-France ? – il faudra distinguer trois moments : la révolution française, à la fin du XVIIIe et au XIXe siècles ; le communisme, au XXe ; l’entreprise de déconstruction, qui a pris le relai du communisme à partir des années soixante. Nous verrons que ces trois vagues, qui se succèdent pour abattre la France et l’Europe, sont liées entre elles, s’emboîtent, s’engrènent, et en quelque sorte se supposent l’une l’autre.
On précisera d’emblée qu’il ne s’agit pas ici de présenter une thèse nouvelle : nous tenterons simplement de brosser à grands traits ce qui, de longue date, a déjà été exposé et expliqué par d’autres, en particulier les écrivains et analystes appartenant au courant réactionnaire.
Cette dernière précision avant d’entreprendre notre essai de synthèse : un tableau aussi ramassé en quelques pages oblige à certains raccourcis, résumés et simplifications. Nous espérons qu’ils ne seront pas perçus comme grossiers ou abusifs.
- La naissance de l’anti-France : la révolution française
La révolution française qui prend place à la fin du XVIIIe siècle n’intervient pas ex nihilo. Elle conclue un siècle de critique et de contestation du système d’ancien régime, menées par les tenants de l’idéologie des Lumières. Elle a d’autre part été précédée par deux autres révolutions. La révolution anglaise, intervenue cent ans auparavant (1688), avait institué une société libérale, où les pouvoirs de la monarchie sont limités et les droits de l’individu affirmés (Habeas corpus). La révolution américaine, terminée en 1787, inspirée de la philosophie des Lumières, a également installé, dans ce qui était jusqu’alors une colonie britannique, les principes de libéralisme politique en vigueur en Angleterre. Il faut rappeler en outre que la France avait connu, au XVIe siècle, une première guerre civile, les guerres de religion, le protestantisme étant alors venu contester un principe fondamental de la société d’ancien régime selon lequel tous les membres de la société doivent professer la même religion : la remise en cause de l’unité et de l’homogénéité religieuse avait constitué un premier ébranlement de l’ancien régime.
La révolution française remet en cause de fond en comble la société traditionnelle dans tous ses aspects et veut la remplacer par une société gouvernée par des principes contraires. La société traditionnelle possédait les caractéristiques suivantes. Elle était structurée par des cadres sociaux solidement charpentés : la famille, la paroisse, le royaume… : l’individu devait s’inscrire dans ces structures collectives et avait envers elles des devoirs. Elle était hiérarchique et inégalitaire : les devoirs et les droits et privilèges des individus variaient en fonction de leur position et de leur rôle dans la société, ces positions et rôles étant relativement rigides. Elle était tournée vers la tradition : il s’agissait de transmettre aux générations suivantes la société que l’on avait soi-même reçue. Elle était ancrée dans un territoire, terrienne et rurale. Enfin, la société traditionnelle était une société chrétienne.
La société moderne que veut mettre en place la révolution est, trait pour trait, l’opposé de la société traditionnelle. La société moderne est fondée sur l’individu et ses droits. Cet individu est libre, c’est-à-dire qu’il n’est pas tenu par les cadres sociaux traditionnels. La société moderne promeut le principe d’égalité : les individus sont égaux en droits. Elle est tournée vers le progrès et rejette la tradition : « Du passé faisons table rase »… Cette société a vocation universelle : les droits de l’homme qu’elle institue concernent tous les êtres humains. La société moderne, enfin, est matérialiste et athée : la révolution rejette l’église et la religion catholiques. On le voit, le principe fondamental et le ressort de chacune des deux sociétés sont donc exactement inverses et antagonistes : la société traditionnelle était en quelque sorte collectiviste ; la société moderne est individualiste.
Dès les premiers temps de la révolution, les penseurs réactionnaires ont estimé que la nouvelle société qui se mettait en place était artificielle et arbitraire. Fruit de raisonnements abstraits, elle ne pouvait, selon eux, correspondre à la réalité de la condition humaine ou, en tous cas, à la vérité de la société française et européenne. Il va sans dire que nous partageons pleinement cet avis.
On notera au passage que les mots de modernes, d’humanistes, de républicaines et de progressistes sont synonymes pour désigner la nouvelle idéologie et la nouvelle classe sociale qui s’installent à la suite de la révolution française. Pour la suite de ce développement et par commodité, nous désignerons ce mouvement par le terme de progressiste.
Comme la plupart des révolutions, la révolution française est violente et débouche sur une guerre civile. La terreur est présente dès 1789 et s’accentue à partie de 1792. Le nombre de morts par la guillotine est estimé à 40.000. La guerre, dite de Vendée, contre les partisans de l’ancien régime, menée principalement dans l’ouest, fait 200.000 morts. C’est une guerre d’élimination : femmes, enfants et vieillards sont eux-aussi massacrés. Quant aux persécutions anticatholiques (spoliations, saccages, massacres), elles rythment toute la révolution.
La révolution française va s’exporter dans toute l’Europe. En 1792, les révolutionnaires, pour propager leur modèle et leurs valeurs, engagent la guerre contre les monarchies européennes. Les guerres révolutionnaires se poursuivent sous Napoléon, lui-même général révolutionnaire. Guerres révolutionnaires et napoléoniennes feront 1,5 million de morts côté français.
La révolution a également une dimension sociale : elle est initiée et conduite par la bourgeoisie. C’est elle qui, dans les cercles francs-maçons, a mené la lutte idéologique des lumières. C’est elle qui déclenche et conduit la révolution. C’est elle qui chasse la classe dirigeante d’ancien régime pour prendre sa place. On a pu dire que le ressort psychologique de la révolution française était la jalousie et le ressentiment éprouvés par la bourgeoisie à l’égard de l’aristocratie : Voltaire fût l’incarnation la plus brillante de cet état d’esprit.
Le XIXe siècle sera le théâtre de la lutte qui se prolonge entre les tenants de la nouvelle société et les réactionnaires, partisans de la société d’ancien régime. Napoléon, né de la révolution, y met un terme tout en l’avalisant et en la consolidant. Il confirme en particulier l’installation de la bourgeoisie au pouvoir, en gravant dans le marbre les valeurs et les principes qui sont ceux de cette classe sociale. Se succèdent ensuite tout au long du siècle des tentatives de restauration de la monarchie et de l’ancien régime, suivies de nouvelles révolutions (1830, 1848, 1870), qui sont autant de répliques de celle de 1789.
Même après l’installation de la république, à partir de 1871, la lutte entre progressistes et réactionnaires va se poursuivre. L’affaire Dreyfus en est un moment clé : elle oppose les républicains, internationalistes, aux réactionnaires, militaristes et patriotes. Le 6 février 1934, suivi du Front populaire, constituent de nouveaux épisodes. Pendant la seconde guerre mondiale, le régime de Vichy n’a pas seulement conduit une politique de collaboration avec l’occupant : il s’est agi également, et peut-être d’abord, d’une tentative de restauration et de réaction contre la modernité. La lutte entre progressistes et réactionnaires va s’apaiser par la suite, sous la présidence de De Gaulle. Idéologiquement et socialement, De Gaulle était issu de la France réactionnaire. Mais il avait combattu Vichy, n’a pas remis en cause la république et a installé un régime de synthèse, la monarchie républicaine.
À suivre