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Privilège blanc, déconstruction d’une imposture

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Qui avait entendu parler du privilège blanc avant que le mouvement Black Lives Matter, à la suite de la mort de George Floyd, en 2020, ne lui donne une audience internationale ? Pas grand monde en vérité. Un mort plus tard (et des centaines de manifestations), tout le monde en parle et ne parle même plus que de cela. Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est l’objet même du livre de Georges Guiscard : « Le privilège blanc. Qui veut faire la peau aux Européens ? », paru à la Nouvelle Librairie sous le parrainage de l’Institut Iliade. Une enquête fouillée, première du genre, qui sort à point nommé.

ÉLEMENTS : On n’a jamais autant parlé de privilège blanc. Or, on en connaît mal la généalogie et la nature. Quels en sont les penseurs, les militants, les soutiens, les idiots utiles ?

GEORGES GUISCARD : Le premier à employer l’expression est le militant communiste américain Theodore W. Allen. Dans un ouvrage publié en 1975, il affirme que le concept de race blanche est une « invention » visant à diviser les travailleurs dans les plantations coloniales : un sentiment de « privilège de la peau blanche » aurait permis de créer une hiérarchie.

En 1988, la féministe antiraciste Peggy McIntosh popularisa l’expression en la reprenant dans son essai « White Privilege: Unpacking the Invisible Knapsack ». Elle y liste une série d’avantages liés à sa peau blanche, invisibles à ceux qui en bénéficient – Allen parlait déjà « d’angle mort blanc » –, comme la couleur des pansements qui rappelle que la norme, en Occident, est d’avoir la peau blanche.

McIntosh explique qu’elle pensait naïvement que « le racisme ne pouvait exister que par des actes individuels de méchanceté » avant de comprendre que le racisme est en fait un « système invisible » dont on jouit « de par sa naissance ». C’est l’idée centrale de cette théorie : l’Occident tout entier se serait construit sur le racisme au bénéfice des Blancs, par l’esclavage en Amérique et par la colonisation en Europe. Ce racisme, consubstantiel à nos sociétés, est présent partout quoique souvent diffus, prenant la forme de discriminations systémiques désavantageant en permanence les non-Blancs.

Au-delà de ces deux pionniers, le concept du privilège blanc prend sa source dans des axiomes typiquement marxistes de relations entre dominants et dominés, nourris par la théorie critique de l’École de Francfort et les postmodernistes de la French Theory. Ces intellectuels ont élaboré le cadre de référence, celui des « structures d’oppression » qui seraient constitutives de nos sociétés. L’expression actuelle de ces idées, conséquence de nos sociétés multiraciales, est la « théorie critique de la race » dans laquelle les Blancs se substituent schématiquement à la bourgeoisie et les non-Blancs au prolétariat.

Dans ce courant plus spécifique, on trouve notamment Kimberlé Crenshaw, féministe afro-américaine qui théorisa l’intersectionnalité – c’est-à-dire le cumul des discriminations – pour rappeler aux féministes blanches qu’elles restent des privilégiées. Plus récemment ont émergé des figures comme Ibrahim X. Kendi ou Robin DiAngelo, l’auteur de White fragility, dont le postulat est qu’un Blanc qui n’accepte pas d’être qualifié de raciste démontre par-là son racisme. Ce dernier exemple illustre bien l’une des caractéristiques du concept de privilège blanc, qui n’est fait que de raisonnement circulaire et de biais de confirmation.

Les militants appartiennent la plupart du temps à une minorité raciale et sont souvent issus des minorités. D’une part les convaincus, les politiques, les décoloniaux motivés par une forme de ressentiment, mêlant haine, jalousie et culture de l’excuse. Rohkaya Diallo et Houria Bouteldja sont, en France assez représentatives de ce phénomène. À leurs côtés se trouvent des personnes plus cyniques, qui manient ces idées à des fins plus personnelles : notoriété, argent… On pense à Assa Traoré, dont la position de victime fonctionne comme un statut social qui lui donne accès à la une du Time et à une paire de Louboutin, mais aussi plus largement à n’importe quel Afro-Maghrébin qui criera vite au racisme pour prendre l’avantage sur un adversaire ou attirer la sympathie.

Les soutiens sont plus blancs. Le capitalisme woke, qui joue sur les codes du privilège blanc mais aussi sur les thèmes du lobby LGBT pour des motivations à la fois idéologiques et commerciales. La haute bourgeoisie qui cherche à signaler sa vertu morale, tel Emmanuel Macron assurant dans les colonnes de L’Express qu’ « être un homme blanc peut être vécu comme un privilège ». Et bien sûr la cohorte de sociologues stipendiés – tel Éric Fassin –, artistes et journalistes qui prêchent la bonne parole de l’idéologie dominante.

Quant aux idiots utiles, ce sont tous les Blancs woke, « éveillés », qui acquiescent à leur expropriation au nom d’un antiracisme ethnomasochiste. Ils sont convaincus que la « blanchité » est un fléau à éradiquer, même si cela doit passer par leur contrition et, à terme, leur soumission. Il y a là une forme de néo-protestantisme, idée que je développe dans l’ouvrage.

ÉLEMENTS : La notion de privilège blanc a trouvé en Joe Biden un allié de poids. Comment expliquez-vous le ralliement de la bourgeoisie progressiste à cette thèse ? Serait-ce parce que la gauche Terra Nova US – les démocrates – a trouvé une majorité électorale composite à base de minorités (mais pas la gauche française) ?

GEORGES GUISCARD : Joe Biden, qui a parlé en juin du racisme systémique comme d’une « tache sur l’âme de la nation » – vocabulaire renvoyant au néo-protestantisme que j’évoquais –, est effectivement emblématique. Biden a été choisi par le parti démocrate car il incarnait une forme de pondération, d’équilibre, qui paraissait tactiquement opportune. Il a toujours été considéré comme un modéré et un centriste, de quoi rassurer les électeurs de droite rétifs au style tumultueux de Trump.

Biden, qui a pourtant très vite donné des gages à la gauche woke, a admis son propre privilège blanc et s’est même agenouillé devant des manifestants de Black Lives Matter. Il y a là un mélange de stratégie politique et d’idéologie. Stratégie d’abord, que le journaliste américain Steve Sailer a nommée la « coalition des marges ». Il s’agit d’unir toutes les minorités – non-Blancs, LGBT, musulmans… – ainsi que les femmes, entretenues dans un sentiment d’infériorité ou de désavantage structurel et partiarcalo-raciste, contre un adversaire oppresseur commun : l’homme blanc hétérosexuel et chrétien. D’après Sailer, cette approche a permis l’élection d’Obama en 2008.

En France, la stratégie « Terra Nova » dont vous parlez suit ce modèle. L’abandon des classes populaires pour la coalition des marges est explicite dans la « contribution n° 1 » du think tank au programme du PS en 2012, qui précise que, chez les Français immigrés et leurs enfants, « le rapport de force droite-gauche y est extrême, de l’ordre de 80-20 voire 90-10 ». L’avantage de cette approche électorale est que la part des minorités dans la population ne peut que croître par le jeu démographique, basculement accentué lorsque la gauche parvient au pouvoir.

Mais il ne faut pas y voir qu’un froid plan pour la prise du pouvoir : l’idéologie joue un rôle majeur dans cette mutation. Ce sont toujours les minorités fanatiques et intolérantes qui parviennent à vaincre, car elles refusent la tiédeur, les compromis. Elles sont capables de plus de violence, de plus d’intransigeance. C’est très visible avec le wokisme, de plus en plus exigeant, prêt à excommunier les lâches qui doutent. Plus dynamiques, plus convaincues, ces avant-gardes entraînent les autres à leur suite… ou bien les purgent, ce que l’on voit avec la cancel culture qui frappe volontiers les anciens alliés.

L’évolution de Mélenchon illustre parfaitement ce mécanisme, cette « spirale de la pureté » analysée par les sociologues Bradley Campbell et Jason Manning dans leur ouvrage The Rise of Victimhood culture. Vieux laïcard communisant qui défendait « l’idée qu’on a le droit de ne pas aimer l’islam » en 2015, Mélenchon marchait quatre ans après « contre l’islamophobie » avec les islamistes du CCIF. Il a été comme happé par sa jeune garde radicale et woke, dont Danièle Obono. À sa décharge, Mélenchon se refuse encore à parler de privilège blanc. Finira-t-il, comme Biden, à mettre le doigt dans l’engrenage par stratégie pour finir presque plus radical que ceux qu’il veut séduire ?

ÉLEMENTS : N’y a-t-il pas une ironie à voir ainsi ressurgir le « refoulé racial » à la gauche de la gauche, qui en avait jusque-là sévèrement traqué toutes les manifestations ?

GEORGES GUISCARD : La gauche est dans une fuite en avant perpétuelle ; si elle n’avance pas, elle tombe. C’est le problème fondamental des idéologies de gauche qui veulent appliquer un idéal au réel, l’abstrait au concret. C’est même à cela qu’on les reconnaît, au rejet de la loi naturelle et de l’observation des faits pour y substituer des théories qui doivent absolument être prouvées. Comme cela ne fonctionne jamais, il faut trouver une explication qui est systématiquement qu’il est nécessaire d’aller plus loin, de la même manière que l’échec du communisme s’expliquait par le manque de communisme.

En passant de la vieille opposition bourgeoisie/prolétariat à une analyse plus large dominant/dominé, la gauche a ouvert la boîte de Pandore des sociétés multiraciales. Évidemment qu’il y a une « norme blanche » dans les pays de civilisation européenne : nos sociétés sont à notre image, c’est un héritage, un patrimoine bâti par nos ancêtres qui nous ressemblaient. Et évidemment que les extra-Européens n’y seront jamais tout à fait à leur place, ne pourront jamais parfaitement s’y fondre.

Il y en aura toujours, quelques-uns, qui sauront s’assimiler et vivre avec ce fait. Mais ça ne sera jamais le cas de la grande majorité. Le concept de privilège blanc est en large partie l’expression de mal-être des sociétés multiraciales et faibles, où les minorités sentent qu’elles peuvent remplacer les natifs. On ne parle pas de privilège Han en Chine…

En jouant la carte immigrée, la gauche s’est enfermée dans une lecture raciale que l’on voit aujourd’hui parfaitement assumée par Sandrine Rousseau par exemple. À titre personnel, je trouve cela très bien car ce changement de paradigme sonne le glas de l’universalisme, de l’humanisme, de l’assimilationnisme, qui furent des chimères. Lorsque je dis que l’on reconnaît une idéologie de gauche à sa volonté d’imposer une abstraction au réel, j’inclus bien sûr l’universalisme, fondé sur une vision abstraite de l’homme. Il est à la fois jouissif et ironique, en effet, de voir la gauche ainsi dépassée par le monstre qu’elle a créé. Mais il est triste de constater que la droite des conservateurs s’accroche à la lubie du modèle universaliste alors que s’installe un climat pré-génocidaire dans lequel les Blancs sont coupables de tous les maux. En nous identifiant comme des Blancs, nos adversaires nous renvoient à notre nature, à notre substrat ethnique premier dont la culture, essentielle, ne reste jamais qu’une fragile émanation. Les conservateurs doivent comprendre que, pour parler comme Freund, « c’est l’ennemi qui vous désigne ».

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