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Déroute des islamistes aux législatives marocaines : l’islam politique dans l’impasse ?

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Chassés du pouvoir en Égypte et en Tunisie par des coups d’État laïcs à l’extrême limite de la légalité, pour ne pas dire plus, les Frères musulmans seraient-ils en perte de vitesse au Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient ? C’est à croire, surtout à en juger les dernières élections législatives tenues au Maroc, ce 8 septembre. Ainsi, le PJD (Parti de la justice et du développement, proche des Frères musulmans), dont le leader, Saâd-Eddine El Othmani, Premier ministre du roi dix ans durant, vient d’essuyer un revers historique, son mouvement passant de 125 à 13 députés.

Bien sûr, il y a eu la crise sanitaire et l’effondrement de l’activité touristique à gérer, contribuant à davantage paupériser une population qui n’en avait pourtant pas besoin. Mais cela ne suffit pas à expliquer une telle déroute. En effet, il y a un autre problème, plus structurel que conjoncturel, qui n’en finit plus de faire très discrètement – tant la question relève de l’ordre du tabou – cogiter les têtes pensantes de la confrérie : l’islam politique est-il un projet viable ?

Certes, « le Coran est notre Constitution », affirment les Frères musulmans depuis leur création, en 1920 ; ce à quoi répondait en écho le président turc Recep Tayyip Erdoğan, lorsque jeté en prison, en 1998, pour avoir clamé ce poème en public : « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupelles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats. » Mais, au-delà du lyrisme de circonstance, tout cela ne relève-t-il pas plus du verbe que de la réalité ? Car si de tels propos ont de quoi mettre en liesse la rue musulmane et donner du grain à moudre aux antimusulmans de l’espèce rabique, on constate aussi que dans sa quête du pouvoir et sa tentative de restauration de l’Empire ottoman, ce même islam fait, chez Erdoğan, plus figure de moyen que de fin.

Autrement, il ne ferait pas alliance avec les ultra-kémalistes laïcs du MHP (Parti d’action nationaliste), les fameux Loups gris, pas plus que dans sa guerre d’expansion en Azerbaïdjan il n’aurait resserré les liens avec Israël afin de profiter de son avance technologique en matière de drones, lui permettant ainsi de laminer les troupes arméniennes. À roué, roué et demi, et à ce petit jeu, les Frères musulmans, idéalistes devant l’éternel, ne pèsent pas lourd.

Certes, ils ont pour eux la réputation non usurpée de n’être point trop corrompus ; ce qui n’est pas un exploit quand, à cette aune jugés, ils doivent se mesurer en Tunisie, aux partisans de Ben Ali, en Égypte à la junte militaire et en Palestine à l’OLP.

Les Frères musulmans, eux, au moins, confis dans leur vision irénique d’un islam susceptible de tout résoudre, ne mettent pas trop la main dans le pot de confiture ; une honnêteté à mettre à leur crédit, mais aussi une naïveté à porter à leur débit. Car si l’oumma, la communauté des croyants, est un assez joli concept, les réalités nationales en sont un autre, peut-être moins séduisant, mais autrement plus performant. Et l’imam Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, d’avoir jadis confié à l’auteur de ces lignes : « L’islam peut irriguer une société, tout comme le faisait autrefois le catholicisme en France. Mais on ne saurait gouverner un peuple avec le seul Coran. Les textes sacrés sont une inspiration, pas une Constitution… »

D’où le débat plus haut évoqué, déjà conceptualisé par l’islamologue Gilles Kepel, ayant depuis longtemps prophétisé la fin de l’islam politique, dernière illusion eschatologique en date, après celle d’autres idéologies mondialisées, communisme et capitalisme au premier chef. Daech a ainsi échoué à créer son « Islamland » aux confins de l’Irak et de la Syrie et les Frères n’ont pas mieux fait en tentant de noyauter les gouvernements de la région. Il y a effectivement là matière à débat.

L’avenir dira si le pronostic de Gilles Kepel était pertinent. Il y a de grandes chances qu’il le soit.

Nicolas Gauthier

https://www.bvoltaire.fr/deroute-des-islamistes-aux-legislatives-marocaines-lislam-politique-dans-limpasse/

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