Par l’Observatoire du journalisme ♦ France de Meurs, de meurs comme tu meurs, comme mourir, comme tumeur. France est la fort belle vedette d’une grande chaîne de télévision et celle du dernier film de Bruno Dumont, une charge cruelle (et juste) contre les médias de l’information spectacle, de l’émotion programmée et de la mise en scène putassière.
Bruno Dumont
Dumont, onze films au compteur, depuis La vie de Jésus (1996, Caméra d’or à Cannes) jusqu’à l’émouvant diptyque Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc (2017) et Jeanne (2019) en passant par le magnifique Flandres (2006), sans oublier la formidable série pour la télévision P’tit Quinquin (2014) et Coin-coin et les z’inhumains (2018).
Un cinéaste réputé austère, avec des budgets serrés, tournant souvent en décors naturels, avec des acteurs non professionnels comme les deux protagonistes inoubliables de la série télévisée P’tit Quinquin, le commandant Van der Weyden et son adjoint Carpentier, joués par Bernard Pruvost et Philippe Jore, respectivement ouvrier et sans emploi. Il tourne souvent dans sa région d’origine et de résidence, le Nord de la France, en particulier le Boulonnais.
France, changement de décor
Changement de décor avec son dernier film sur les impostures médiatiques, tourné en France, en Italie (pour les supposées guerres du Moyen-Orient) et en Allemagne. France de Meurs est l’enfant choyée de la télévision spectacle et du politiquement correct. Entre un mari un peu mou, un enfant androgyne abandonné à lui-même, un somptueux et froid appartement place des Vosges, elle court de studio en pseudo reportage sur le vif, d’interview pré-formaté en conférence de presse (superbe fausse conférence d’Emmanuel Macron). Son assistante est à la fois son attachée de presse, son mentor, sa thérapeute et son mauvais génie. D’amours malheureux en carambouilles avec le réel, d’accident de voiture où elle renverse un scooter à celui où mari et fils trouvent la mort, elle joue son rôle de poupée journalistique, metteuse en scène (et falsificatrice) du monde et d’elle-même.
« Ils sont aseptisés, bien-pensants, bienséants. Je ne supporte pas cette espèce de ton, cette espèce de représentation des choses très puritaine, très morale… «On a besoin d’air, je préfère des journalistes qui parlent librement. France TV ce n’est pas vrai, c’est une télé à la vision puritaine. » Bruno Dumont au sujet de France Télévisions lors de l’émission de radio, «Culture médias».
Le vrai est un moment du faux
Cette citation de Guy Debord pourrait résumer le film. Tout est faux chez la vedette, ses amours, sa famille comme son métier. France est un ravissant ectoplasme (remarquable Léa Seydoux), héroïne de l’audimat dont elle est à la fois la vedette et la victime à travers une véritable métaphysique du mensonge. Le point nodal de sa carrière est atteint dans un « reportage » bidonné lorsqu’elle accompagne un bateau pneumatique de migrants avec le vocabulaire larmoyant et culpabilisant d’usage. Las, tout est faux, tout est un montage, les journalistes sont dans un superbe bateau, les futurs clandestins ont été sélectionnés comme dans un casting et un incident de régie découvre le pot aux roses. Huée, vilipendée, France reviendra quand même à l’écran car comme le dit son assistante-gourou : « le pire, c’est le mieux, crois-moi j’ai vingt ans de télévision ».
Monté comme un roman photo, avec des plans qui s’étirent, comme une réalité trop sollicitée, le film donne tout cru le spectacle des élites médiatiques (ou d’une bonne partie de ceux-ci), le spectacle de la fabrication et de la falsification du réel, et finalement le spectacle du « théâtre de la mort » comme le dit l’héroïne dans un moment de lucidité. Un film qui a été hué lors de sa projection à la presse. On se demande bien pourquoi.
France, de Bruno Dumont, 2h14’, avec Léa Seydoux (France), Blanche Gardin (l’assistante), Benjamin Biolay (le mari), en salle.
Source : l’Observatoire du journalisme