Les idées de Zemmour s’apparentent à une tache d’huile qui s’étend sur les rivages d’idées proches des siennes mais aussi opposées aux siennes. À tel point que certains intellos issus des rangs de la gauche progressiste sont en passe de se « zemmouriser ».
C’est un peu ce qui est arrivé à Raphaël Glucksmann, au micro de Jean-Jacques Bourdin, pas plus tard que jeudi 23 septembre.
Sans surprise, le député européen est interrogé sur le « phénomène/moment Zemmour » qui sature l’espace médiatique depuis la rentrée. Pas question de botter en touche sur le front de l’indifférence, comme l’a fait, au même moment, l’un des VRP de la Macronie, le délégué général d’En Marche ! Stanislas Guerini, invité à la matinale de Sud Radio, qui a refusé de s’exprimer sur la polémique autour de la une de Paris Match sur Zemmour photographié dans l’eau collé serré près de sa conseillère. Pas question, non plus, de discréditer le polémiste en décrétant que les sujets tels que l’immigration, la question identitaire et civilisationnelle de la France qu’il place au cœur du débat sont de purs fantasmes. Raphaël Glucksmann affronte la question et livre une analyse qui prend des airs de confession.
Comme tout bon philosophe, Glucksmann pratique l’étonnement pour faire table rase de ses préjugés et avoue sans ambages son erreur : « Il est l’opposé de ce que je pensais », déclare-t-il, avant de poursuivre en reconnaissant l’authenticité de l’engagement du polémiste. « Il a la flamme, il a la foi, quelque chose que les autres ont perdu », reconnaît-il, le jour où un sondage révèle la crise de foi des Français. Glucksmann fait presque l’éloge d’un Zemmour qui, grâce à son « parler vrai », se distingue du jargons techno, téléguidé, hors-sol débité mécaniquement à longueur de discours par des professionnels de la politique. Zemmour emporte l’adhésion et imprègne les consciences par la force de ses convictions. Et pour Glucksmann, cette force réside dans le récit national qu’il propose aux Français. Et là, le journaliste du Figaro a un boulevard. Car « c’est le vide qui lui fait face et qui lui fait place », constate Raphaël Glucksmann, avant de lâcher : « C’est à cause de nous » si Zemmour prospère. Par ce « nous », il désigne les élites politico-médiatiques qui sont incapables, d’après lui, de « projeter notre pays dans une histoire qui donne sens » et de proposer « un projet qui mobilise », « une aventure collective qui nous dépasse ». Les conservateurs antimondialistes dans l’âme boivent du petit lait en entendant ce mea culpa prononcé par celui qui déclarait, en 2018, de « se sentir plus chez lui à New York ou à Berlin qu’en Picardie ». Ce n’est plus le même son de cloche, aujourd’hui.
Raphaël Glucksmann serait-il prêt à admettre qu’un pays n’est pas un territoire sans âme, désincarné, sans identité ? En tout cas, il ose le mot « identité », qui n’est plus si malodorant, et reconnaît l’existence d’une « crise identitaire » qu’il explique par le « renoncement » des élites à préserver notre souveraineté, notre industrie, notre autonomie. Zemmour, sors de ce corps !
De manière indirecte, doit-on comprendre que Raphaël Glucksmann confesse l’erreur stratégique d’une gauche qui s’est laissée berner par le miroir aux alouettes de la mondialisation sans frontière et transnationale ? En tout cas, celui qui faisait partie du camp des thuriféraires de la mondialisation heureuse a tourné casaque. De mondialiste, Glucksmann est devenu souverainiste et ne supporte plus de voir notre pays traité en vassal des grandes puissances.
Force est de constater qu’Éric Zemmour accentuerait le revirement idéologique des citoyens du monde qui, avant le Covid, associaient allégrement souveraineté et repli identitaire. Décidément, on aurait tous quelque chose en nous de Zemmour !
Toutefois, ne nous emballons pas trop vite. Derrière les mots, il y a le sens que l’on met. Si Raphaël Glucksmann parle le même langage que les conservateurs souverainistes, ce n’est pas pour le même projet commun. Le « contre-récit » qu’il appelle de ses vœux pour combler le vide et combattre Éric Zemmour sur l’échiquier de la bataille culturelle est moins historique qu’écologique. Reste à savoir comment mère Gaïa, qui appartient à tous, peut calmer la détresse identitaire et générer un sentiment d’appartenance à une seule et même nation. La maïeutique « zemmourienne » a encore du chemin à faire…
Source : https://www.bvoltaire.fr/