Vu sur BVoltaire parArnaud Florac
Ils avaient pourtant tout prévu pour 2022. « Ils », c’était non seulement l’armée des fact-checkers, la masse des journalistes pour qui le Bien est une certitude et la politique un combat pour le progrès. C’était aussi la cohorte des élus et des conseillers de La République en marche (LREM) déjà prêts à dégainer leurs chiffres pour faire mentir l’extrême droite, forcément inculte et haineuse, forcément simpliste et mal élevée. L’extrême droite, c’est-à-dire Marine Le Pen, c’est-à-dire Hitler.
Or, voici que la candidature d’Éric Zemmour, de plus en plus évidente, rebat les cartes. On pouvait vaincre Marine en duel singulier, comme en 2017. On pouvait opposer à certains de ses seconds couteaux, quelquefois approximatifs, les faits et les chiffres, manipulés ou tronqués certes, mais rassurants pour le quidam. C’était le cas des « Décodeurs » du Monde ou de « L’Info du vrai » sur Canal+. Et, au pire, le parti de la vérité, aussi connu sous le nom de « cercle de la raison », reprenait la main : on faisait venir un député ou un ministre, sur le mode « soyons sérieux ». Les ploucs rentraient la tête dans les épaules face aux calculs savants. On voyait bien que tout cela était trop compliqué pour eux.
Avec Zemmour, c’est autre chose. On l’a vu, le lundi 27 septembre, parler deux heures, sans notes, avec des chiffres précis, face à un auditoire notoirement hostile (Ruth Elkrief, François Lenglet, Alain Minc). Il s’est même offert le luxe, le 23 septembre, au cours de son débat avec Jean-Luc Mélenchon, de « fact-checker » les « fact-checkers » en qualifiant de « ridicule » la tentative maladroite de BFM, le nouvel ORTF du néant, pour remettre en cause la crédibilité de ses propos. On l’a vu porter, de ville en ville et de plateaux en salles combles, une parole non seulement libre et sincère, mais aussi sourcée, datée, chiffrée, appuyée sur des citations nombreuses et des événements historiques soigneusement choisis.
D’où cette crainte, de plus en plus prononcée, du parti macroniste. LCI, le 22 octobre, revenait sur ce point avec honnêteté. Les chiffres de Zemmour sont tirés des rapports de l’INSEE ou de l’INED. Il n’y a – c’est bien ce qui est tragique – rien d’exagéré dans les conclusions qu’il en tire. Un dirigeant LREM confiait donc à la chaîne d’info : « Nous, on s’était préparés à une campagne sur lit de “fake news”. Avec Zemmour, ce n’est pas pareil. » Nouvelle petite joie de la vie : comme le constatait Joffrin, dès 2003, dans Le Nouvel Observateur : « Ce n’est effectivement plus la droite qui est réactionnaire : c’est la réalité. »
Le réel est fasciste. C’est comme ça. On ne pourra pas le « fact-checker ». Une nouvelle victoire signée d’un Z.