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Croatie 1945 : une nation décapitée 3/3

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D’une brutalité inouie, cette grande purge cause dans la société croate un traumatisme profond, d’autant qu’elle s’accompagne de l’émigration massive et définitive de ceux qui parviennent à passer au travers des mailles du filet. Notons que pour parachever leur travail de déculturation, les communistes procèdent dans le même temps au nettoyage des bibliothèques publics et privées afin d’en extraire les “mauvaises” références. Sont ainsi pilonnés les ouvrages “oustachis” (y compris des éditions de Racine, Hugo ou Dostoïevski dont la seule “tare” est d’avoir eu recours à l’orthographe en vigueur sous l’État Indépendant Croate) et les “livres de l’ennemi”, c’est à dire tous ceux qui sont rédigés en italien ou en allemand. On jette par ex. les textes de Nietzsche, Kant ou Dante ainsi que des traductions d’Eschyle, Homère, Sophocle, Euripide et Tacite (24)… Chef de l’Agitprop, Milovan Đilas (la future coqueluche des libéraux de Saint-Germain-des-Prés) recommande, en janvier 1947, de se débarrasser des livres de Roald Amundsen mais aussi des œuvres toxiques de Bernard Shaw et Gustave Flaubert (25). Restent toutefois, pour ceux qui veulent se cultiver, les ouvrages édifiants de Marx, Lénine et Dietzgen ( ! ) ou ceux des nouveaux maîtres à penser que sont Đilas, Kardelj et « Čiča Janko » (Moša Pijade)…

Au terme de ce bref et sinistre panorama, il semble bien que l’on puisse, sans exagération, considérer l’épuration communiste de la Croatie comme un aristocide. Cruelle et imbécile, cette “chasse aux sorcières” n’a jamais eu pour but de châtier de quelconques “criminels fascistes” (il n’y en avait guère) mais bien de se débarrasser d’une intelligentsia supposément hostile et de priver la Croatie d’une grande partie de ses moyens afin de faire place nette aux apparatchiks du nouveau régime. L’opération a, hélas, parfaitement atteint ses objectifs et la Croatie mettra près de 25 ans à se doter d’une nouvelle élite digne de ce nom, puis encore 20 ans à émerger définitivement du cauchemar yougo-communiste !

Christophe Dolbeau, Tabou n°18, 2011.

◊ Notes :

  • (1) Voir C. Dolbeau, « Bleiburg, démocide yougoslave », in : Tabou n°17, Akribeia, Saint-Genis-Laval, 2010, 7-26.
  • (2) À propos de ces camps, le témoin britannique Frank Waddams (qui résidait en Yougoslavie à la fin de la guerre) affirme que « la famine, la surpopulation, la brutalité et la mortalité en faisaient des endroits bien pires que Dachau ou Buchenwald » – cf. N. Beloff, Tito’s flawed legacy, London, Victor Gollancz, 1985, p. 134.
  • (3) Grâce, il faut bien le dire, à une aide massive des Alliés comme en atteste par exemple l’ampleur exceptionnelle de l’ « Opération Audrey » — voir Louis Huot, Guns for Tito, New York, L. B. Fischer, 1945 et Kirk Ford Jr, OSS and the Yugoslav Resistance, 1943-1945, College Station, TAMU Press, 2000.
  • (4) « Après la fondation de l’État, l’objectif suivant fut d’amener la nation à accepter à 100% le Parti Communiste et son monopole idéologique, ce qui fut d’abord obtenu par la persécution et en compromettant les adversaires de diverses manières, puis en veillant à éradiquer toute pensée hétérodoxe, c’est à dire divergeant ne serait-ce que de façon minime du point de vue du Comité Central du Parti Communiste » – D. Vukelić, « Censorship in Yugoslavia between 1945 and 1952 – Halfway between Stalin and West », Forum de Faenza, IECOB, 27-29 septembre 2010, p. 6.
  • (5) Voir R. J. Rummel, Death by Government, chapitre 2 (Definition of Democide), New Brunswick, Transaction Publishers, 1994.
  • (6) cf. N. Weyl, « Envy and Aristocide », in : The Eugenics Bulletin, hiver 1984. Voir également T. Sunić, « Sociobiologija Bleiburga », in : Hrvatski List du 3 mars 2009 (repris dans The Occidental Observer du 15 mars 2009, sous le titre de « Dysgenics of a Communist Killing Field : the Croatian Bleiburg »).
  • (7) Junuz Ajanović, Edgar Angeli, Oton Ćuš, Franjo Dolački, Stjepan Dollezil, Julije Fritz, Mirko Gregorić, Đuro Grujić (Gruić), August Gustović, Muharem Hromić, Vladimir Kren, Slavko Kvaternik, Vladimir Laxa, Rudolf Lukanc, Bogdan Majetić, Ivan Markulj, Vladimir Metikoš, Josip Metzger, Stjepan Mifek, Ante Moškov, Antun Nardelli, Miroslav Navratil, Franjo Nikolić, Ivan Perčević, Makso Petanjek, Viktor Prebeg, Antun Prohaska, Adolf Sabljak, Tomislav Sertić, Vjekoslav Servatzy, Slavko Skolibar, Nikola Steinfl, Josip Šolc, Slavko Štancer, Ivan Tomašević, Mirko Vučković.
  • (8) Voir J. Jareb, « Sudbina posljednje hrvatske državne vlade i hrvatskih ministara iz drugog svjetskog rata », in : Hrvatska Revija n°2 (110), juin 1978, 218-224.
  • (9) Tel est le cas de M.M. Mehmed Alajbegović, Mile Budak, Pavao Canki, Vladimir Košak, Osman Kulenović, Živan Kuveždić, Slavko Kvaternik, Julije Makanec, Nikola Mandić, Miroslav Navratil, Mirko Puk et Nikola Steinfl.
  • (10) Le bâtiment sera fermé et ses minarets abattus en 1948.
  • (11) Au sujet de la querelle entre l’Église Catholique et l’État communiste yougoslave, voir l’article de B. Jandrić [« Croatian totalitarian communist government’s press in the preparation of the staged trial against the archbishop of Zagreb Alojzije Stepinac (1946) », in : Review of Croatian History, vol. I, n°1 (déc. 2005)] et l’ouvrage de M. Akmadža (Katolička crkva u Hrvatskoj i komunistički režim 1945-1966, Rijeka, Otokar Keršovani, 2004).
  • (12) cf. Ante Čuvalo, « Croatian Catholic Priests, Theology Students and Religious Brothers killed by Communists and Serbian Chetniks in the Former Yugoslavia during and after World War II » 
  • (13) Signée par les évêques croates, une lettre pastorale du 20 septembre 1945 fait état de 243 prêtres assassinés, 169 emprisonnés et 89 disparus ; en septembre 1952, un autre document épiscopal parle de 371 religieux tués, 96 disparus, 200 emprisonnés et 500 réfugiés – cf. Th. Dragoun, Le dossier du cardinal Stepinac, NEL, 1958. Voir aussi I. Omrčanin, Martyrologe croate. Prêtres et religieux assassinés en haine de la foi de 1940 à 1951, NEL, 1962.
  • (14) Th. Dragoun, op. cité, p. 239.
  • (15) Ibid, p. 67, 213, 219, 248-254.
  • (16) On pense notamment au philosophe Bonaventura Radonić, à l’historien Kerubin Šegvić, au compositeur Petar Perica, au sociologue Dominik Barac, au byzantologue Ivo Guberina, à l’écrivain et distingué polyglotte Fran Binički et au biologiste Marijan Blažić, tous assassinés.
  • (17) cf. Le livre noir du communisme, dir. de S. Courtois, R. Laffont, 1998, p. 864.
  • (18) Avant la guerre, Vladimir Nazor (1876-1949) avait soutenu le royaliste serbe Bogoljub Jevtić puis le Parti Paysan Croate de V. Maček et en décembre 1941, il avait été nommé membre de l’Académie de Croatie (HAZU) par Ante Pavelić…
  • (19) cf. D. Vukelić, op. cité, p. 1.
  • (20) cf. G. Troude, Yougoslavie, un pari impossible ? La question nationale de 1944 à 1960, Harmattan, 1998, p. 69.
  • (21) Sur 332 titulaires de la carte de presse, seuls 27 seront autorisés à poursuivre l’exercice de leur métier. Pour une étude exhaustive sur la répression dans le milieu journalistique, voir J. Grbelja, Uništeni naraštaj : tragične sudbine novinara NDH, Zagreb, Regoč, 2000, ainsi que l’article de D. Vukelić mentionné en note 4.
  • (22) Voir B. Radica, « Veliki strah : Zagreb 1945 », in : Hrvatska Revija, vol. 4 (20), 1955.
  • (23) Expert de renommée internationale, il avait fait partie, en juillet 1943, de la commission chargée d’enquêter en Ukraine sur le massacre communiste de Vinnytsia.
  • (24) cf. D. Vukelić, op. cité, pp. 21, 23/24.
  • (25) Dans la liste des auteurs prohibés figurent aussi Maurice Dekobra, Gaston Leroux (pour Chéri Bibi !) et Henri Massis (il est vrai que ce dernier prônait la création d’un « parti de l’intelligence » ce qui n’était pas vraiment à la mode dans la Yougoslavie de 1945…).

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/45

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