Présidente depuis 2011 du parti fondé par son père, Marine Le Pen en a profondément changé le programme. Alors qu’elle s’apprête à concourir à sa 3e élection présidentielle, beaucoup de militants RN déplorent l’abandon des « fondamentaux » au profit d’une ligne politique fluctuante et de plus en plus édulcorée. Le 2 octobre, Jean-Marie Le Pen s’est fait l’écho de ces reproches en indiquant que sa fille avait « abandonné ses positions fortifiées et Éric [Zemmour] occupe le terrain qu’elle a quitté ». Un inventaire en quatre points des différents revirements du RN démontre que ces critiques sont tout-à-fait justifiées : en une décennie, Marine Le Pen a modifié de fond en comble la doctrine de son mouvement.
1. Immigration et islam: petits renoncements plutôt que Grand remplacement
La question migratoire et identitaire est incontestablement le sujet-phare pour le FN/RN et le premier motif de vote en sa faveur. Jean-Marie Le Pen a su, dès les années 1970, alerter les Français sur les dangers de l’immigration de masse. A partir de 2011, sa fille a veillé à édulcorer son discours notamment en interdisant à ses cadres d’employer l’expression « Grand remplacement » popularisée par l’écrivain Renaud Camus. En 2014, elle a même indiqué « le concept de grand remplacement suppose un plan établi. Je ne participe pas de cette vision complotiste ». Ce rejet de la terminologie de Renaud Camus est d’autant plus incompréhensible qu’elle est depuis longtemps validée par les faits et reconnue par une grande majorité d’électeurs, y compris parfois à gauche. De la même manière Marine Le Pen refuse de parler de « remigration » terme associé aux identitaires dont les marinistes se méfient. « L’inversion des flux migratoires » prônée du temps de Jean-Marie Le Pen semble elle aussi reléguée au second plan au profit d’un discours « moins clivant ».
Sur l’islam, la stratégie d’évitement et de pasteurisation se confirme très largement. En 2016, en pleine campagne autour du thème de « la France apaisée », la présidente du FN a indiqué que l’islam était selon elle compatible avec la République. En 2017, elle a publié une photo d’elle en train de serrer amicalement la main d’une femme voilée sur le marché aux puces d’Hénin-Beaumont. Depuis des années, le RN a repris à son compte la distinction islam/islamisme afin d’éviter les fameux « amalgames ». Plus généralement Marine Le Pen s’est efforcée de minorer la place des questions identitaires au profit de thèmes économiques et sociaux (retraites, pouvoir d’achat, services publics). Ces renoncements successifs ont mécontenté la base militante sans permettre de gagner le moindre électorat.
2. Peine de mort : l’incompréhensible volte-face de 2017
Le FN a réclamé avec constance, depuis son abolition en 1981, le rétablissement de la peine capitale, notamment au moyen d’un referendum. Même quand l’opinion publique y est devenue hostile (décennies 1990-2000), Jean-Marie Le Pen a continué à défendre la peine de mort seul contre tous les médias et partis du système. Marine Le Pen est dans un premier temps restée dans la droite ligne de son père, se démarquant par exemple de sa nièce et de Florian Philippot. En 2012, la présidente du FN avait présenté l’idée d’un référendum pour permettre aux Français de choisir entre la perpétuité réelle et la peine de mort, indiquant être « à titre personnel » favorable à la seconde option. En outre la vague d’attentats islamistes de 2015 a reversé l’opinion qui est redevenue favorable à la peine capitale.
Mais en 2017, en pleine campagne présidentielle, Marine a stupéfait ses cadres et militants en annonçant, sans la moindre consultation, qu’elle retirait cette proposition de son programme. Ainsi, elle a défendu avec son père la peine de mort lorsque celle-ci était impopulaire pour y renoncer lorsque les Français y redeviennent favorables: la quête de la « dédiabolisation » conduit Marine Le Pen à des revirements incompréhensibles pour les électeurs.
3. Lois sociétales : malaise et lobbying à la direction du RN
Marine Le Pen, dont le mépris pour l’électorat catholique conservateur est connu de tous, s’est généralement désintéressée des question dites « sociétales » c’est-à-dire liées à la politique familiale et à la bioéthique. La loi Taubira sur le « mariage pour tous » a créé en 2012 et 2013 un grand malaise au FN. Marine Le Pen et Florian Philippot ne souhaitaient pas s’associer au mouvement massif de « La Manif pour Tous » (LMPT) contrairement à la quasi-totalité des cadres du mouvement. Ainsi la présidente et son vice-président ont boycotté LMPT tout en autorisant la présence de cortèges FN. En 2017, Marine Le Pen, poussée par sa base, proposait tout de même d’abroger la loi Taubira (sans rétroactivité) au profit d’un PACS amélioré. Cette proposition consensuelle lui avait permis d’évacuer ce sujet qu’elle jugeait « secondaire » tout en conservant la ligne « pro-famille » du parti.
Depuis, le RN a non-seulement renoncé à abroger la loi Taubira (considérée par ses porte-paroles comme « un acquis »), mais il se désengage progressivement de toutes les questions sociétales. La critique du planning familial, la défense d’un salaire parental ou la relance de la natalité sont devenus des sujets tabous, notamment sous l’influence du clan BBR (Bilde, Briois, Rachline) dont l’hostilité à LMPT est de notoriété publique. Ainsi, le maire de Fréjus a jugé pertinent en 2020, en pleine campagne régionale, de faire la publicité d’un mariage lesbien sur ses réseaux sociaux. Inaudible sur la théorie du genre et très discret sur la PMA/GPA, le RN, dont beaucoup de cadres n’ont pas d’enfant, n’est manifestement plus un défenseur de la famille traditionnelle.
4. Souveraineté : le grand bazar idéologique de Marine Le Pen
C’est sans aucun doute la question de la souveraineté qui illustre le mieux l’inconsistance programmatique de Marine Le Pen. Active en 2005 aux côtés de son père pour dénoncer (avec succès) la constitution européenne, très virulente contre la Commission de Bruxelles, la Présidente du FN, longtemps eurodéputée, a tenu, sur les conseils de Florian Philippot, un discours souverainiste assumé de 2011 à 2017. Il s’agissait à l’époque de sortir de l’euro, de l’Union européenne et de tous ses avatars grâce à une négociation en plusieurs étapes. Le Brexit, voté en 2016 au Royaume Uni, a conforté le FN dans sa posture anti-européiste. Le Frexit devint alors le leitmotiv de la présidentielle 2017.
Mais dès l’été 2017, convaincue par ses proches que la stratégie souverainiste dure inspirée par Florian Philippot était la raison de son échec présidentiel, Marine Le Pen a abandonné d’idée du Frexit au profit de « l’alliance européenne des nations » permise grâce à la victoire éphémère de ses alliés autrichiens et italiens. Rapidement ce discours déjà très édulcoré est abandonné. Etape par étape toutes les souverainetés sont mises de coté. La sortie de l’euro, rendue illisible suite à l’accord d’entre-deux tours avec DLF en 2017, est totalement abandonnée en 2018. Le Frexit est officiellement mis à la corbeille lors des élections européennes de 2019 où le RN entend changer l’UE de l’intérieur. La suspension de Schengen n’est plus réclamée à partir de janvier 2021. La sortie de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), longtemps qualifiée de « camisole », n’est plus jugée « utile » à partir de mai 2021. En seulement 4 ans, le parti de Marine Le Pen est donc passé du souverainisme pur et dur à un européisme classique.
Camille Perez 29/10/2021