photographie : Louis Monier © - Rue des Archives
Une gravure rupestre du Val Camonica en Italie alpine représente le “Cornu” avec un sexe en forme de long serpent qui unit ce dieu dispensateur de Vie à la Déesse-Mère : il unit donc principe masculin et principe féminin, comme le bas du “Pilier des Nautes” représente, lui aussi, des couples divins. Le Cernunnos de Val Camonica, et tous les dieux cornus de la très vieille Europe, symbolise l’éternelle victoire de la Vie sur la mort.
Il est, écrit Yann Brekilien dans La mythologie celtique (Jean Picollec, 1981), « l’époux de la Déesse-Mère, le principe masculin fécondant, le Verbe créateur » (p. 97). Mais, toujours pour Brekilien, « la matière trahit la force spirituelle qui l’a fécondée et se soumet à la destruction, jusqu’à ce que recommence le cycle » (ibid.). En tant que force spirituelle, Cernunnos est un “dieu de nature ignée” (cf. Myriam Philibert, De Karnunos au roi Arthur, Rocher, 2007). Alliance donc du feu sacré, de l’esprit, du monde souterrain où se recrée la Vie, épousailles permanentes avec la Terre Mère : telle est la sacralité profonde du sol sous le chœur de Notre-Dame de Paris, où se dressait, dès le règne de l’Empereur Tibère, le “Pilier des Nautes”. Pour Venner, c’était là, et là seul pour un natif de Paris, qu’il fallait aller offrir sa vie, son enveloppe charnelle, pour que le principe vital de Cernunnos la transforme en nouvelle énergie, plus puissante encore.
Montée de l’insignifiance
Au moment où la France du Président Hollande enfreint les règles traditionnelles du mariage, édictées par l’Empereur Auguste sur base des vieilles traditions romaines, les bases du “Pilier des Nautes”, avec ses couples divins hétérosexuels, étaient ébranlées. La Cité frappée à la base même de ses facultés reproductrices, engendrant potentiellement un “collapsus démographique” (Chaunu) plus accéléré et plus nocif que jamais… Sur fond d’une trivialité sociale en apparence sans remède : ce n’est pas seulement une idée ancrée dans la “droite” où l’on fourre un peu vite Dominique Venner, quand on l’évoque dans les salons des terribles simplificateurs. Constatons le même refus et le même dégoût chez des auteurs contemporains de la publication de Cœur rebelle (1994). Cornelius Castoriadis a fustigé la “montée de l’insignifiance” : « il ne peut pas y avoir d’‘autonomie’ individuelle s’il n’y a pas d’autonomie collective, ni de ‘création de sens’ pour sa vie par chaque individu qui ne s’inscrive dans le cadre d’une création collective de significations. Et c’est l’infinie platitude de ces significations dans l’Occident contemporain qui conditionne son incapacité d’exercer une influence » (La montée de l’insignifiance, Seuil-Points, n°565, 1996). Langage qui revendique le retour des identités collectives, tout simplement sans citer le terme “identité”. Gilles Châtelet est encore plus virulent dans les critiques qu’il consigne dans Vivre et penser comme des porcs (Folio-Actuel, n°73, 1998). Jacques Ellul fustige la transformation du politique en illusion, où « le peuple ne contrôle plus rien que des hommes politiques sans pouvoir réel » (L’illusion politique, Table Ronde, 2004, 3ème éd.).
Au-delà des étiquettes de droite ou de gauche, Venner — comme d’autres, innombrables, mais non élèves respectueux de Sénèque et des stoïques — constate l’enlisement général de nos sociétés, affligées de cette viscosité qui empêche toute transmission (Chaunu). Il n’est plus possible de vivre selon les règles et les rites de la dignitas romaine. Mais Venner, déçu jusqu’aux tréfonds de son âme, n’est pas un fataliste : il offre à Cernunnos sa vie pour qu’il insuffle une charge vitale plus forte encore que la sienne dans ce magma poisseux, en espérant qu’un cycle nouveau s’enclenche. Ce cycle, ce sont ses lecteurs, ses élèves qui devront l’animer avec la même constance et la même fidélité que lui.
La disparition de Venner est une disparition de plus pour nous. La génération fondatrice disparaît : celle du “grand refus” dans l’Europe qui a chaviré dans l’indolence et le consumérisme. Son heure est venue. Venner, homme libre, n’a fait que devancer la Grande Faucheuse, qui a emporté Mohler, Tommissen, Dun, Rauti, Mabire, Schrenck-Notzing, Kaltenbrunner, Parvulesco, Thiriart, Locchi, Romualdi, Fernandez de la Mora, Willms, Eemans, Bowden (à 49 ans seulement !), Valla, Debay, Varenne, Freund, et bien d’autres… La première tâche est de faire lire les livres dont j’ai tenté, vaille que vaille, d’esquisser l’essentiel dans cet hommage à Venner. Ensuite, il me paraît impératif de sauver à tout prix la Nouvelle revue d’histoire. En mars 2006, nous avions perdu un guide précieux, un excellent professeur de lettres, en la personne de Jean Mabire : nul, à mon immense regret, n’a pu reprendre le travail hebdomadaire du lansquenet normand, celui de fabriquer une fiche synthétique sur un écrivain oublié et important. Qui reprendra la Nouvelle revue d’histoire ? Philippe Conrad, le plus apte à en perpétuer l’esprit ? Quel que soit l’officier qui prendra le poste de Venner, à la proue du meilleur navire de la mouvance, je lui souhaite le meilleur vent, longue course.
J’écoutais, à côté d’Yvan Blot, la fille de Jean van der Taelen prononcer quelques paroles lors des obsèques de son père à l’Abbaye de la Cambre à Ixelles : elle nous demandait de lui parler comme s’il était dans la pièce d’à côté, séparé seulement par une maigre cloison, de lui poser les questions qu’on lui aurait posées de son vivant. Pour Venner, je dirai ceci, dans le même esprit, et je souhaite que tous les amis fassent de même ; quand j’écrirai une phrase sur un thème cher à Venner, sur une position que je prendrai, sur une innovation sur l’échiquier international, je lui poserai la question : “Qu’en pensez-vous ?”. De même qu’en penseraient Locchi, Mohler, Schrenck-Notzing, Mabire, etc. ? Meilleure façon d’assurer l’immortalité de nos défunts.
Robert Steuckers, mai 2013.