Noël est une fête essentielle pour notre civilisation. Renoncer à employer le mot en ne disant plus “Joyeux Noël”, c’est commettre cet acte de petite lâcheté quotidienne qui, l’air de rien, en rampant le long des murs les lézarde, et prépare leur effondrement. Certains se féliciteront de cet écroulement, synonyme d’ouverture à l’humanité entière, à sa diversité, à l’inclusion de l’autre. Mais ils oublient que les remparts d’une culture, d’une langue, d’une religion, d’une manière de vivre, sont justement ce qui préserve la diversité, la richesse de l’humanité. Il suffit pour cela qu’ils aient des portes et des pont-levis.
La sauvegarde de l’identité n’est pas un obstacle à l’échange. C’en est même la condition puisqu’elle préserve la différence, la complémentarité, la découverte de l’autre. La civilisation européenne est née de la philosophie grecque, du droit romain et de la religion chrétienne. Noël est à la fois la célébration annuelle de la naissance du Christ en Judée et aussi celle de la renaissance du soleil dans l’hémisphère nord. Chez les Romains, les saturnales transgressives en précédaient la date. Peut-être les joies et les excès des réveillons en sont-ils la résurgence. Aurélien et Constantin dans leur désir de sauver l’Empire en affirmant son unité avaient fait du 25 Décembre le jour du Soleil invaincu, Sol invictus, ce nouveau dieu de Rome. Savoir si les chrétiens célébraient déjà Noël, si le rusé Constantin est passé d’une foi à l’autre ou si la chrétienté a remplacé une fête païenne par une fête chrétienne est de peu d’importance. C’est justement le mariage des deux qui en constitue le caractère propre. D’autres civilisations ont fêté le solstice, mais la nôtre a métamorphosé un phénomène cosmique, naturel, cyclique en un événement historique, en une date fondatrice du destin de l’humanité. Ce n’est pas par hasard que c’est en son sein qu’est née une conception plus linéaire du temps, l’idée d’un progrès. Au tournant des XIXe et XXe siècles, la civilisation européenne a conquis le monde avec une vitalité sans égale. Noël est avant tout une célébration de la vie qui naît et renait.
Mais avec le XXe siècle, un basculement s’est opéré dont nous ne constatons qu’aujourd’hui les conséquences. Auparavant, les guerres avaient été le “côté obscur” de la vitalité, celui où les rivalités et les concurrences alimentaient le progrès, favorisaient les conquêtes, entraînaient la colonisation. Les deux grandes guerres du XXe siècle ont sonné le glas de la domination européenne, et les fêtes nationales qui en commémorent les issues sont davantage des hommages aux morts que des exaltations de la vie. Alors que leur souvenir s’estompe avec la disparition des témoins, s’approfondit au contraire un sentiment de tristesse, se cultive un esprit de renoncement, se propage une habitude de la repentance qui sont aux antipodes de l’essence de notre culture. Noël et Pâques sont des hymnes à la vie. On insinue aujourd’hui chez les Occidentaux l’obsession de la mort. L’ambiance créée par la peur obsessionnelle du “covid” pousse cette tendance au paroxysme. Elle suscite le repli sur soi, la crainte des festivités joyeuses où explose le plaisir d’être ensemble pour chanter à la messe de minuit, pour partager le plus généreux des repas. Mais cette peur de vivre s’accompagne plus profondément de la honte d’être soi. Notre civilisation doit désormais s’écrire avec une gomme, celle qui efface les noms des hommes à admirer, et même leur sexe ou leur couleur. Que la civilisation occidentale ne soit pas parvenue à absorber le monde comme elle l’a fait en Australie ou aux Etats-Unis est une excellente chose. Son économie y est davantage parvenue, c’est-à-dire sa dimension matérielle. Et aujourd’hui, avec la mondialisation, le rapport de forces s’inverse. C’est pourquoi, il est plus que jamais nécessaire de rejeter ce renoncement à être soi qu’on nous impose.
Une brochure destinée aux fonctionnaires de la “Commission Européenne”, présentée par la Commissaire chargée de l’Egalité, conseille de remplacer dans leur communication “Joyeux Noël” par “Joyeuses fêtes”. Ce n’est pas grave, dit-on, c’est plus inclusif pour ceux qui ne fêtent pas Noël. Mais cela vient après le refus de rappeler les racines chrétiennes de l’Europe, cela vient après de multiples signaux faibles, comme cette séance de cinéma suspendue par des enseignants stupidement laïcards d’un dessin animé évoquant la nativité, comme l’idiotie d’une des ces figures des tables rondes télévisuelles parlant de Noël comme d’une fête “laïque et républicaine”. Laïque et république ne sont plus de vrais mots désignant le non-religieux, ou le régime politique, mais des mots-gommes pour effacer le catholicisme et la France. On peut vouloir un monde plat et vide, comme un terrain vague, où les hommes seraient tous égaux et semblables, utilisant la même langue, fêtant les mêmes choses aux mêmes jours, séparés uniquement par la quantité de monnaie unique dont ils disposeraient. Ce serait le sommet du “métissage” qui est l’abolition des différences et non leur respect. Ce serait un monde d’ennui mortel, et il faut parier que certaines identités y ranimeraient le goût de vivre et d’être soi, sauf la nôtre qui aurait accepté de mourir. C’est pourquoi il faut pied à pied mener ce combat quotidien, parler notre langue, exprimer notre culture, dire joyeux Noël et non “fin” d’année, car cette expression est un aveu avec le mot “fin”, quand Noël est un début !
https://www.christianvanneste.fr/2021/12/26/ne-pas-ecrire-notre-civilisation-avec-une-gomme/