Et sur la scène internationale, comme ils disent ? Sur ce théâtre où, forcément, il est le seul à savoir jouer, et où un Éric Zemmour ou une Marine Le Pen donnerait de la France une image évidemment détestable. Comment nos voisins et partenaires européens ont-ils reçu la phrase désormais historique d’Emmanuel Macron : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et, donc, on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. » Bien sûr, c’est le em… qui a concentré les efforts des traducteurs.
Du côté anglais, où le monde des tabloïds se réjouissait de tenir enfin un responsable français bien vulgaire, l’heure était aux perplexités de traduction dont 20minutes s’est fait l’écho, mercredi : « Du côté des anglophones, certains ont opté pour un timide annoy, à l’instar du site de la chaîne américaine CNBC, qui écrit que “Macron suscite l’indignation en promettant d’agacer les non-vaccinés”. L’agence Associated Press fait dans le suggestif en indiquant qu’“avec un langage salé, Macron réprimande les non-vaccinés de la France”. Le très sérieux New York Times, lui, mise sur une périphrase polie : “Macron sous le feu des critiques après avoir déclaré que la France devrait rendre la vie misérable aux non-vaccinés.” Dans l’article, “emmerdé” est traduit par piss off. »
En Allemagne, pas de ça chez eux. Toujours selon 20minutes : « De l’autre côté du Rhin, Die Welt y va d’un gentillet “Macron veut énerver les non-vaccinés” sans jamais évoquer, dans l’article publié en ligne, la trivialité du terme employé par le Président français. Le tabloïd Das Bild a traduit “emmerder” par le verbe schikanieren qui présente une proximité étymologique avec notre “chicaner”. Dans la langue de Goethe, cela signifie “embêter”, “intimider”, “harceler”… À noter que ce journal au lectorat populaire n’a pas titré sur l’expression vulgaire d’Emmanuel Macron. »
D’où, peut-être, cette réaction de la présidente de la Commission européenne, interrogée vendredi : « La question qui se pose est la suivante : quelle est la nature de notre responsabilité ? C’est ça, qui est essentiel. » Comment dit-on « botter en touche » en allemand ?
C’est de Belgique, où la traduction ne posait pas de problème linguistique insoluble, qu’est venue la première véritable réaction politique européenne aux propos de celui qui est, depuis quelques jours, le président en titre du Conseil de l’Union européenne. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette réaction est sévère. Mais tellement juste. Dans une interview au Soir, le Premier ministre belge Alexander De Croo a nettement marqué son désaccord avec Emmanuel Macron. Sur la forme : « Clairement, ce n’est pas mon vocabulaire », a-t-il déclaré. Et sur le fond, il a condamné une « politique de division qui consisterait à aller embêter une partie de la population », affirmant : « Je pense pour ma part qu’il faut embêter le virus et pas embêter les gens. […] Je continue à penser qu’il vaut mieux convaincre des gens que les obliger. » Quant à l’instauration du passe vaccinal, le Premier ministre belge a répondu que cette solution était à « analyser ». « Mais, quelle que soit la décision prise, il me paraît très important d’ajouter que le Covid Safe Ticket [passe sanitaire belge, NDLR] est et doit rester un outil d’exception, temporaire. ».
À côté de l’hystérisation macronienne, tant de sagesse et de prudence rassure. Mais qu’un Premier ministre belge en poste depuis un an seulement fasse la leçon au Président français au début de sa présidence du Conseil de l’Union est tout de même humiliant. En fait, notre stagiaire de l’Élysée avait bien besoin d’un dernier stage dans la capitale belge avant de terminer sa période d’essai chez nous. Six mois ? Non, trois mois suffiront.
Frédéric Sirgant