Naissance d’une nation : Clovis et les principes fondateurs de l’identité française.
Cet article a été publié dans Renaissance Catholique (http://www.renaissancecatholique.org/ ).
Dans une ample vision de notre Histoire, avec le recul que lui donne le survol des siècles, Hilaire de Crémiers redonne le sens profond de l'aventure de Clovis, dont il situe bien le caractère éminemment politique -au sens fort et noble du terme- et ouvre à ces sentiments d'espérance qu'évoquait Jacques Bainville, lorsqu'il écrivait "Pour des renaissances, il est encore de la foi..."
On écoutera la version orale, si l'on peut dire, de ce Grand Texte en cliquant sur le lien ci-après, qui restitue le discours prononcé par Hilaire de Crémiers aux Baux de Provence, lors du Rassemblement Royaliste de 1996 :
Du Rhin aux Pyrénées, l’unité est faite, l’ordre civil est rétabli, la loi proclamée, la loi salique revue et corrigée, la justice rendue. La loi ecclésiastique, avec le concile d’Orléans, sous l’autorité du roi, fils de l’Église catholique —tel est son titre octroyé par le concile lui-même !— garantit la foi et la paix, l’ordre social et hiérarchique. Si l’on veut dénoncer ce que l’on appelle l’intrusion du pouvoir royal dans les affaires ecclésiastiques, il faut remonter à Clovis et d’ailleurs plus haut.
Cette œuvre est unique, naturelle et surnaturelle. Toute l’élite de l’époque en a conscience et Clovis tout le premier. Cette œuvre, il l’a placée lui-même sous le patronage de Martin, le patron de cette Gaule aimée et auquel il vient, comme il se doit, en rendre l’hommage légitime. Clovis, roi des Francs, est devenu le roi des Gallo-Romains, de cette population dont le professeur Dupâquier a montré d’une manière remarquable la permanence constitutive de notre histoire. Il est le roi catholique des évêques catholiques. Revêtu des insignes du consul, de la chlamyde, il est le représentant actuel de l’antique ordre romain. L’Empire, la civilisation se trouvent un successeur en lui. Si Sidoine l’avait su, il en aurait pleuré de joie, comme tous ses confrères. Clovis est le nouveau Constantin. Cela ne fait aucun doute pour les contemporains cultivés. Enfin, il est le roi de Paris, de la Lutèce de Geneviève ; il y tient. C’est là qu’il vient résider dans le palais de Constance Chlore. C’est de là qu’il commence à rendre justice. C’est là qu’il meurt. Il se fait enterrer à côté de Geneviève, sur la sainte montagne, dans cette basilique qu’avec son épouse Clotilde il a fait construire pour montrer sa fidélité romaine en l’honneur des apôtres Pierre et Paul.
La légende naquit aussitôt. Pourquoi ? Non pas parce que la nation France serait née à cette date. Les historiens nous mettent en garde contre cette trop facile assertion, et ils ont raison. Mais parce que les contemporains ont compris ce que nous comprenons encore à 1500 ans de distance : que c’était une histoire extraordinaire, une rencontre merveilleuse. Eh quoi ! Une si longue et si juste aspiration qui trouve en quelques années une satisfaction dans la réalisation d’un projet politique dont l’intelligente conception contente le cœur de tout un peuple ! C’est si vrai que Clovis est devenu un modèle ; oui, Clovis est le modèle du projet royal français. Son nom y est associé à tout jamais. Ça ne sera plus, ou du moins, ça ne pourra plus être, mais il faudra encore des années, des siècles pour le confirmer, ça ne pourra plus être pour la Gaule, pour la France qui naît de la Gaule, le modèle impérial. C’est fini. Il y aura encore des hésitations, certes, mais l’idée nouvelle est lancée, qui triomphera de l’ancienne.
Le modèle impérial est intégré dans le modèle royal de Clovis, modèle nouveau, forme politique pour cette Gaule qui va devenir la France. Et, pour passer les siècles, pourquoi croyez-vous que nos rois Valois, nos rois Bourbon jusqu’à Louis XVI se sont faits représenter en empereurs romains ? Au-delà du modèle sculpté à l’antique, il y a cette volonté de manifester encore et toujours que le véritable successeur de l’ordre romain, de l’empire romain, d’Auguste, de Constantin et du grand Théodose, c’est le roi de France, le successeur de Clovis et non..., non l’autre, le Germanique !
Et ce modèle royal ne serait plus, non plus, la royauté des peuples barbares, celles des coutumes germaniques, des partages, des règlements de comptes. Mais, là aussi, il faudra des années et des siècles pour que la notion nouvelle s’impose. Clovis reste un modèle. Ce sera le modèle d’un nouveau type de roi uni à son peuple dans une composition harmonieuse, répondant à son aspiration profonde d’unité, d’ordre, de paix, de dignité dans la civilisation, d’exactitude dans la foi.
Modèle ! C’est tellement vrai qu’il sera la référence dans toutes les époques troublées de notre histoire. Les Français, à chaque fois qu’il faudra de nouveau se rassembler, se réunir pour survivre, auront toujours l’impression de revivre quelque épisode de leur vieille histoire ! C’est toujours la même chose : arrêter les invasions, faire les frontières, rejeter l’étranger, aller à Reims faire le roi condition du salut, reconquérir le royaume, le pacifier par la justice. Ainsi faudra-t-il faire de crise en crise, de siècle en siècle.
Oui, combien de fois faudra-t-il le faire et le refaire ! Et puis, cette vieille Bourgogne, cette Armorique, cette Aquitaine, ce Midi, cette Provence, la “provincia” par excellence de cette Gaule romanisée dont elle garde le nom, les ramener dans la mouvance française sous l’autorité du roi de Paris ! Ils le savent bien, les politiques, les clercs, les légistes qui travaillent pour le roi, les hommes d’armes aussi.
Et chacun affûte ses arguments, et puise dans la légende. Elle est comme un arsenal de preuves. Les siècles ont aménagé cette légende et c’est bien compréhensible. Il y a des sots et des sots savants pour s’en étonner. Laissons-leur leur étonnement et leur science.
Oui, l’histoire façonna cette légende. Grégoire Florent, le fameux évêque de Tours, gardien du tombeau de saint Martin, un siècle après les événements, rédige la première Historia Francorum. Dès qu’il arrive à l’histoire de Clovis, son récit quelque peu ennuyeux se relève d’un style particulier ; il a des images éclatantes, des phrases frappées. Déjà des enjolivements. Pourquoi ? Il veut exprimer la signification que l’événement a revêtue. L’association d’idées l’amène à raconter les événements selon des schémas anciens, et par exemple il façonne l’image de Clovis sur celle de Constantin.
Autre exemple : Grégoire de Tours raconte que, lors de la bataille de Vouillé, des éclairs jaillirent de la basilique Saint-Hilaire qui abattirent l’armée wisigothique. L’a-t-il entendu dire ? L’a-t-il lu ? Peut-être. Fort bien. Mais surtout, il veut montrer par là à quel point Clovis dans son entreprise d’Aquitaine se trouvait être le successeur d’Hilaire dans sa lutte contre l’arianisme : Clovis parachevait sur le plan militaire l’œuvre spirituelle d’Hilaire de Poitiers.
À suivre