De Jérôme Fourquet interrogé par Eugénie Bastié dans Le Figaro :
Le centre de gravité de la vie politique française est-il passé à gauche ?
Pas vraiment. Si on le fait total Zemmour, Le Pen et Dupont-Aignan, cela représente plus de 30 % en faveur de la droite nationale. Parallèlement, Emmanuel Macron avec ses près de 28 %, affiche un positionnement idéologique nettement plus à droite qu’en 2017. Il a d’ailleurs perdu une partie de son électorat de gauche cette année, qui a été plus que remplacé par l’apport d’électeurs de droite. Ainsi, 45 % de l’électorat de Sarkozy du premier tour de 2012 ont voté pour Emmanuel Macron au premier tour cette année. Alors certes, Mélenchon a fait un assez gros score, mais il a été porté par une mécanique de vote utile, qui a quasiment tout siphonné à gauche. Et ce bloc mélenchoniste est aujourd’hui minoritaire face aux deux blocs macroniste et de la droite nationale.
Au clivage sociologique et géographique s’est ajouté un nouveau clivage, le clivage générationnel, avec des retraités votant à une écrasante majorité pour le président sortant. Ce clivage est-il appelé à se creuser ?
Historiquement, il y a toujours eu des différences très marquées, l’électorat âgé a toujours été l’apanage de la droite classique, tandis que le monde du travail votait plutôt à gauche. La vieille gauche et la vieille droite ayant disparu, ce clivage se recompose autrement. Au premier tour, Macron fait 39 % chez les plus de 65 ans, quand Le Pen est à 18 % et Mélenchon à seulement 13 %. Macron a mené une véritable OPA sur ces seniors, qui demeuraient le dernier carré fidèle de la droite depuis 2017. Les 65 ans et plus se sont ralliés à lui par légitimisme (vote en faveur du président sortant dans un contexte de crise) mais ont aussi été séduits par une proposition catégorielle majeure, les retraités étant la seule catégorie de la population acquise à l’allongement de l’âge de départ à la retraite. L’annonce de la réforme des retraites, quasiment seule mesure mémorisée avant le premier tour, lui a fait gagner au premier tour 13 points chez les retraités par rapport à 2017 et deux tiers des seniors ont voté pour lui au second tour, alors que le rapport de force s’établissait autour du 50 %-50 % auprès des 25-50 ans. Marine Le Pen, elle, s’adresse principalement à la France en âge de travailler. Scrutin après scrutin, la question du poids électoral des retraités devient centrale, car nous sommes dans une société qui vieillit. De la même manière que les seniors constituent une cible stratégique sur le marché automobile (un véhicule neuf sur deux est acheté par un retraité), ils sont devenus un électorat incontournable pour espérer l’emporter. La défaite de Marine Le Pen s’explique ainsi par son incapacité à réduire son écart avec Emmanuel Macron dans ce secteur stratégique, véritable armée de réserve macroniste. Ce fort soutien émanant des seniors explique par ailleurs le caractère relativement homogène de la géographie du vote Macron. Au premier tour, il disposait en effet partout d’un matelas minimum de 15-20 % de voix, lié à la présence sur le territoire des retraités, répartis de manière nettement plus homogène que les cadres ou les ouvriers.
L’ abstention importante qui caractérise ce second tour de présidentielle. Cela présage-t-il d’un quinquennat difficile, avec une perpétuelle remise en question dans la rue de la moindre réforme du président élu ?
L’abstention, et les bulletins blancs et nuls (il y en avait déjà eu 4 millions en 2017, soit 10 % des votants) ont battu des records. Une part importante de la population n’a donc pas voulu donner de blanc-seing au président face à Marine Le Pen. Parallèlement, cette dernière parvient à un niveau plus élevé qu’en 2017, en raison de sa stratégie de dédiabolisation, mais aussi en ayant capté un antimacronisme qui n’était qu’embryonnaire en 2017. Au premier tour, le total des partis contestataires a atteint un niveau inégalé de plus de 50 %. La fracture sociale et géographique ne cesse de se creuser. À Paris intra-muros, Macron fait 35 %, au premier tour, Marine Le Pen est à 5,5 %. L’un des candidats finalistes est quasiment inexistant dans la capitale, preuve d’une coupure abyssale entre les milieux décideurs et le reste de la population française. Le lieu où s’élabore la politique est profondément déconnecté du reste du pays. On a observé le même phénomène aux États-Unis, où Trump ne recueillait que 8 % à Washington DC. Par ailleurs, l’assemblée de 2017 n’avait jamais été aussi socialement peu représentative des Français. On s’achemine vers le même schéma en juin prochain, avec une Assemblée nationale qui ne permettra sans doute pas de faire émerger une représentation politique correcte du rapport de force qui existe dans la société française.
De surcroît, la campagne électorale ayant été assez évanescente, elle n’a pas servi de soupape ou de purge cathartique des tensions traversant le pays. Il est donc à craindre que celles-ci ne trouvent pas de débouchés dans l’Hémicycle mais dans la rue. […]