Le vieux sage de Lyon est sorti de son silence. Gérard Collomb, jadis maire flamboyant de la ville, naguère premier rallié de France à Emmanuel Macron et aujourd’hui simple conseiller municipal, vient de donner un long entretien au Point dans lequel il livre son analyse sur le quinquennat qui se termine ainsi que ses prédictions pour celui qui s’ouvre. À l’évidence, on est loin de l’enthousiasme des premiers temps ! Celui qui mit les pieds dans le plat lorsqu’il quitta le ministère de l’Intérieur, en octobre 2018, en déclarant qu’« aujourd’hui, on vit côte à côte… Je crains que demain on vive face à face », remettant ainsi en question le sacro-saint dogme du vivre ensemble, met le doigt aujourd’hui sur la question de l’immigration, pourtant passée au second plan durant la campagne présidentielle.
« Je n'ai jamais confondu l'immigration économique et celle qui répond aux vrais besoins d'asile, au sens de la convention de Genève. Quand on voit aujourd'hui que la seconde catégorie de demandeurs d'asile est représentée par les personnes venant de Côte d'Ivoire, qui est un pays sûr et économiquement pas le plus défavorisé, c'est un non-sens. » Cinq ans qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, bientôt quatre ans que deux ministres se sont succédé place Beauvau, après Gérard Collomb, et le non-sens perdurerait dans le pays où, paraît-il, règne le bon sens près de chez vous ? On va faire du populisme bas de plafond : un État capable de fliquer toute une population pendant des mois pour lutter contre le Covid, avec une ingéniosité qui force le respect, serait donc dans l’incapacité de faire le tri entre vrais demandeurs d’asile et profiteurs du système ? Franchement, on a du mal à le croire.
Mais, semble-t-il, à écouter le ministre émérite de l’Intérieur, il ne s’agirait pas tant d’une question de capacité que de volonté. En effet, que dit Gérard Collomb ? « On évoque le sujet seulement sous l'émotion, avec des coups de balancier. C'est sur ces sujets-là que nous nous sommes séparés avec le Président. Je ne me sentais pas soutenu. » En clair, le sujet de l’immigration n’est pas un sujet pour Emmanuel Macron. Du reste, souvenons-nous de la présentation du programme, vite fait bâclé, du Président-candidat, en mars dernier, il y a deux mois, il y a une éternité. Le non-sujet de l’immigration fut rapidement abordé sous l’angle réducteur des demandeurs d’asile. Il s’agissait de « réduire la lourdeur des procédures pour les demandeurs d’asile ». Traduire : plus de laxisme à la clef ? Pas du tout, car dans le même temps, le candidat-Président assurait que « le refus d’asile fera l’obligation de quitter le territoire français ». De l’art d’enfoncer les portes ouvertes. L'obligation d'obéir à la loi existe depuis qu'il y a des lois !
L’immigration, un non-problème pour Emmanuel Macron. Ou, plutôt, une question qui n’entre pas dans son logiciel progressiste. Là encore, que dit Collomb ? « Le Président voyait bien que ce problème se posait avec toujours plus d'acuité dans notre pays mais, à l'échelle européenne, face au groupe de Visegrád rassemblant les États partisans du “pas d'immigration chez nous” (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie), il voulait incarner le visage humaniste de l'Europe. » Cela veut dire qu’Emmanuel Macron se moque de la volonté des Français sur ce sujet. Ce qui compte, à ses yeux, c’est sa posture de leader du camp « humaniste » ou, tout du moins, qualifié comme tel, dans le concert des nations.
Mais comme tout est en tout, revenons à la fameuse phrase de Gérard Collomb qui lui a tant été reprochée (« Aujourd’hui, on vit côte à côte… »). Lors du débat d’entre-deux-tours, Emmanuel Macron jeta à Marine Le Pen, à propos de son intention d'interdire le voile dans l’espace public, si elle avait été élue : « Vous allez créer la guerre civile. » En creux, n’était-ce pas avouer que le déclenchement de la guerre civile ne tient finalement qu’à un fil ou, tout du moins, à un bout de tissu ? On peut donc craindre qu’à la fin du quinquennat qui s’ouvre aujourd’hui, on vivra « face à face » en France. Le vieux sage de Lyon aura pourtant prévenu.
Georges Michel
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