Charles d’Orléans, le prince charmant, le prisonnier d’Azincourt qui resta de si longues années captif en Angleterre, parlait de la France de la même manière :
En regardant vers le pays de France
Un jour m’advint à Douvres sur la mer...
Qui ne se souvient de cette poésie ? et qu’y demandait-il ?
De voir France que mon cœur aimer doit.
Charles d’Orléans représentait le parti d’Orléans : c’était le parti national.
Et Christine de Pisan ? Elle parlait de la France pareillement ! Et voilà comment elle en vint à écrire son “Dittié en l’honneur de la Pucelle” ! Comme Alain Chartier écrivit lui aussi sa “Lettre sur Jeanne”.
Comme également cet homme extraordinaire que fut Jean Le Charlier, dit Gerson, qui fit ses études à l’abbaye Saint-Remi de Reims et qui fut procureur de la nation France à l’université de Paris avant d’en devenir le chancelier, théologien et philosophe immense, français de cœur et de raison, fuyant Paris sous domination bourguignonne et anglaise, s’interrogeait sur le destin de la France. Il était fidèle, et lui aussi, il écrivit un De puella Aurelianensis. Ce théologien français donnait son avis : il disait que la Pucelle venait de par Dieu pour sauver le royaume de France. Car voici le fait le plus extraordinaire : Jeanne la Pucelle vient, en effet, de par Dieu sceller à nouveau le pacte antique. Légende, peut-être ! Mais tout est confirmé par la plus étonnante histoire que nation ait jamais connue. Dieu lui-même, Jésus-Christ Notre Seigneur veut que le légitime héritier de France soit sacré à Reims comme ses pères. C’est la condition première et essentielle du salut de la France. Les promesses sont faites à une dynastie précise, à ce que Jeanne appelle, elle-même, le “Sang de France”, et de fait les promesses se réalisent. Le royaume est reconquis : Formigny ! Castillon ! Et Charles d’Orléans peut chanter : Dieu t’a rendu Guyenne et Normandie !
Le XVIe siècle, si tragique, mais aussi si beau dans notre France, fut rempli de la légende de Clovis. Il y eut tant de débats ; comment citer tant d’auteurs qui se sont penchés comme Claude de Seyssel, l’évêque ami de Louis XII, sur “La grande monarchie de France” ? Pour ajouter à la grandeur des rois de France, des auteurs ont inventé une généalogie selon laquelle Clovis descendrait de Francion ou Francus, fils d’Hector, petit-fils de Priam ! Ronsard s’en fit l’écho dans sa Franciade. Pourquoi pas ? Il fallait que les rois de France aient une ancienneté plus prestigieuse que toutes les autres dynasties !
Après les guerres de religion, Henri IV, pour conquérir son trône, se soumet à la nécessité : il abjure l’hérésie. S’il n’est pas sacré à Reims (Reims appartient à la Ligue), il reçoit à Chartres, autre ville sainte et royale, l’onction du chrême auquel on ajoute l’huile de saint Martin. Il se fait représenter en Clovis. Alors il est pleinement roi. Et comme à chaque fois, un renouveau français commence. Louis XIII devra reconquérir l’Aquitaine, lui aussi. Vous vous souvenez des vers de Malherbe : Louis, lance ton foudre... Comme Clovis !
Cependant les historiens qui s’essayent aux premières méthodes critiques, jettent un doute circonspect sur certains faits. Même un Mezeray, historiographe officiel. Même un Bossuet ne s’appuie jamais sur la légende de Clovis. Qu’importe ! La monarchie est au-dessus de la légende. Mais parmi les critiques, il y a des partisans : par exemple, ce Chifflet de la célèbre tribu des Chifflet de Besançon, qui, au service de la Maison d’Autriche et d’Espagne, éprouve le besoin de ruiner la gloire antique de la Maison de France. Il a pour lui la science ! Mais les Français répondent à ces critiques, et notamment les mauristes, le célèbre Mabillon. D’ailleurs, rien n’y fait : la légende demeure. Peut-être que Desmarets de Saint-Sorlin est celui qui l’exprime en ce XVIIe siècle avec le plus de grandiloquence et, il faut bien l’avouer, le moins de science :
Quittons les vains concerts du profane Parnasse,
Tout est auguste et saint au sujet que j’embrasse.
A la gloire des lys je consacre ces vers ;
J’entonne la trompette et répands dans les airs
Les faits de ce grand Roy qui sous l’eau du baptême,
Le premier de nos rois courba son diadème,
Qui sage et valeureux...
Boileau, censeur impitoyable, mais maître du bon goût, condamna sévèrement l’épopée ; il s’en gaussa. Il n’aimait point ce genre du merveilleux chrétien et, il faut bien l’avouer, les vers étaient franchement mauvais. Desmarets de Saint-Sorlin avait sans doute aussi le tort d’être ami des jésuites et ennemi farouche des jansénistes. Savez-vous que cette épopée est cependant à l’origine de la querelle des anciens et des modernes ? Eh oui, Desmarets, avec son Clovis, était un moderne ! Heureuse époque où nos disputes franco-françaises étaient théologiques et littéraires.
Desmarets a donné le caractère le plus complet à la légende des origines de la France. A cet égard, ce poème est un sommet, tout y est : l’ange qui donne à Clovis les armes fleurdelysées et la bannière de saint Denis, le romanesque mariage avec Clotilde, l’accord et le soutien de tous les évêques gallo-romains, le vœu et le miracle de Tolbiac, la colombe du sacre qui est le Saint-Esprit lui-même apportant à saint Remi le baume céleste pour la royale onction, la vertu de guérir les écrouelles, miracle continuel et successif, la destruction de l’hérésie arienne, la biche qui indique le gué de la Vienne et les clartés fulgurantes de saint Hilaire qui de Poitiers abattent les Goths, et les murs d’Angoulême qui s’effondrent d’eux-mêmes comme jadis ceux de Jéricho, la France enfin rassemblée sous un monarque unique ! Il y a, en effet, un peu de quoi sourire ! Desmarets peut écrire dans son épître dédicatoire au roi : “Les merveilles de Dieu sont si éclatantes et les bontés qu’Il a témoignées à cet État si admirables, qu’il n’y a rien dans les histoires de toutes les autres nations qui soit comparable à ce qu’Il a fait pour ce royaume. J’ose même dire que les rois du peuple (juif) qui lui fut si cher n’ont pas eu de plus visibles marques de leur élection que les rois de France qui ont été choisis de Dieu en la personne de Clovis pour les fils aînés et les protecteurs de son Église et pour être les premiers et comme les chefs de tous les princes du monde”.
Et Bossuet, dans ses Devoirs des rois, peut écrire : “Vous êtes des dieux, encore que vous mourriez mais votre autorité ne meurt pas”. Sommet de gloire !
À suivre