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Royauté et incarnation, par Vladimir Volkoff.

 

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Eric Muraise dit dans "Le Grand Monarque", que la France possède encore quelques monarchistes mais des royalistes, non. Différence : les monarchistes préfèrent un régime; les royalistes aiment un homme.

La monarchie est à la royauté ce que le déisme, avec son horlogerie, est à l'Église avec ses chapiteaux et ses encensoirs. Eric Muraise peut avoir raison. Nous en connaissons tous de ces monarchistes grincheux qui n'ont qu'un sujet de conversation : dénigrer le Prince. Ils ont le choix, pourtant, surtout à notre époque où il y a de moins en moins de trônes et de plus en plus de prétendants. Mais non : le Prince, qu'ils se reconnaissent est toujours celui qui leur plaît le moins. Ils s'arrangent pour regretter l'aïeul, préférer l'oncle, attendre le petit-fils. Dans l'histoire, même, aucun Louis, aucun Henri ne les satisfait. Au mieux, ils vénèrent un Childebrand quelconque, dont personne n'a jamais entendu parler. Ces monarchistes Jean-­qui-grogne ne sont pas des royalistes ; car la monarchie ne sera jamais qu'une idée, tandis que la Royauté est une incarnation.

Entre tous les régimes politiques, c'est l'homme qui fait l'originalité de la Royauté. Curieusement, les régimes dits "humanistes" sont les plus déshumanisés : justice immanente ! La grande machine électorale qui repose sur le principe abstrait : 1 = 1, qui rend ses oracles sous forme de statistiques, qui aplatit les visages en bulletins de vote, ne s'adresse, dans les meilleurs des cas, qu'à une fonction de l'homme : l'intelligence. Élire bien, c'est élire intelligemment. Élire le meilleur, c'est élire le plus intelligent. Le suffrage universel pourrait être avantageusement remplacé par un ordinateur bien programmé. Paradoxe : ce qu'il y a encore d'humain dans la procédure élective - les pots-de-vin, les poignées de main, les caméras, les accordéons - c'est tout cela qu'il faudrait éliminer pour que la république fonctionnât rationnellement.

La Royauté est autre. Pourquoi ? Parce que, révérence parlée, elle commence là où commence l'homme : dans les reins d'un monsieur et dans le ventre d'une dame. La Royauté passe par la naissance et elle passe par la mort. Un roi immortel serait un dieu, ou un automate, pas un roi. Il y a eu des périodes - on voit cela dans Richard II - où le prestige des rois était tel que l'on doutait qu'ils eussent des fonctions naturelles, comme les autres hommes. Ils en ont ! Il n'y a pas plus de royauté désincarnée qu'il n'y a d'amour platonique. Le corps importe peu en république. Le corps de tel président -je ne veux pas citer de nom le corps de tel président quelles qu'aient été les qualités de l'homme, il y a eu des présidents de la république qui étaient de fort honnêtes hommes - n'est très exactement rien : tout juste bon à mettre au Panthéon ! Il est grotesque de supposer qu'on puisse avoir de la piété pour le corps d'un élu. Les royalistes, eux, savaient ce qu'ils faisaient quand ils trempaient leurs mouchoirs dans le sang de Louis XVI. La royauté n'a de sens que si le corps du Roi est reçu comme sacré.

C'est le corps du Roi qui est royal. Peu importe que Charles VI soit fou, c'est un fou royal, parce que son corps est royal. Peu importe que Louis XVI soit guillotiné. Couper le corps en deux ne sert à rien : les deux moitiés restent des morceaux de Roi. Malgré que nous en ayons nous sommes tous devenus si matérialistes, que paradoxalement nous avons perdu le sens du corps.

Le corps nous apparaît comme un outil, comme un grattoir pour nous chatouiller l'âme. En réalité, le corps est un gage. Les martyrs donnaient leur corps en gage de leur foi. La main qui signe, la main qui étreint donne des gages. Les genoux qu'on fléchit donnent un gage. Qu'est-ce que s'engager, sinon engager son corps ? Un prince d'une nationalité qui épouse une princesse d'une autre nationalité, ce sont les deux puissances qui échangent des gages. "J'en mettrais ma main au feu", 'J'en mettrais ma tête à couper" : ne sont-ce pas là des gages que l'on risque ? Notre corps n'est peut-être pas ce que nous avons de plus précieux, mais il est ce que nous avons de plus vulnérable. C'est sa noblesse. C'est pourquoi il est notre gage. Et avant tout notre gage d'identité. "J'aime Béatrice" pouvait dire Dante. J'aime Béatrice peut signifier j'aime Béatrice telle que Dieu la reçoit dans son Paradis mais comment faire pour reconnaître une Béatrice sans visage ? Je vais à sa rencontre, je la regarde, je l'écoute, je reçois des lettres écrites de sa main : Le corps de Béatrice est le gage de Béatrice.

J'ai remarqué tout à l'heure que le Roi était celui qui attirait l'amour. Aimer le Roi : sans cela il n'y a pas de Royauté. Il faut l'aimer de trois manières : d'abord parce qu'il est le Roi et qu'on ne le connaît pas, comme les fiancés du temps jadis qui n'avaient jamais rencontré leur promis et qui l'aimaient déjà d'avance, de confiance. L'aimer ensuite, quelques fois, bien qu'on le connaisse.

 Une paysanne normande, parlant de son mari, ivrogne, violent, disait à ma mère "paraît qu'y a des femmes qu'aiment point leur homme. Mais comment qu'elles font puisque c'est leur homme ?". Et un proverbe russe dit : "A force de souffrir, on finit par aimer". C'est comme cela qu'il faut aimer le Roi, aussi. Il faut l'aimer, enfin, ou du moins essayer, parce qu'on le trouve aimable, se battre un peu les flancs, si besoin est, l'aimer avec ses faiblesses en mettant les choses au pis, avec ses vices, ses médiocrités, ses couardises, l'aimer tendrement, presque charnellement, comme Monluc aima Henri II, comme Sully aima Henri IV. Ne pas oublier que les règnes des reines - je pense à Élisabeth d'Angleterre, Catherine de Russie, Marie ­Thérèse d'Autriche - ont été particulièrement réussis parce que ces reines étaient des rois et que pour un homme il est plus facile d'aimer son roi lorsque c'est une reine.

Le corps du roi est le gage de la royauté. Les bâtardises et les usurpations mises à part, le gage royal est le corps du roi, tel qu'il est hasardé dans les combats, tel qu'il est martyrisé par les régicides, tel qu'il engendre le roi qui lui succédera, tel qu'il apparaît physiquement désigné lorsque son crâne reçoit la couronne, que sa poitrine, ses pieds, ses mains, ses paupières, ses narines reçoivent le Saint Chrême.

Tous les peuples ont eu des monarques, mais lorsque nous disons Roi, nous pensons surtout à un roi chrétien parce que l'incarnation est l'axe de la foi chrétienne. Pour être chrétien, il faut croire que le Verbe se fit chair, et cela suffit. Le gage de l'amour du Père, c'est le Fils et plus précisément, c'est le corps du Fils, dans lequel nous nous empressons d'enfoncer des clous ; pas n'importe quel corps, mais un certain corps, apparu en Palestine huit siècles après la fondation de Rome. Il n'importe pas que nous soyons contents ou non de ce que le corps du Fils soit celui de ce charpentier rabbin. Certains auraient préféré qu'il fût Grec, ou Viking , ou Africain. Nous n'y pouvons rien. Le gage a été donné.

Il est là. Les théologiens pensent que le Fils a trois fonctions : il est prophète, grand-prêtre, Roi. Le psalmiste dit : Le cœur du Roi est dans la main de Dieu... Le premier prodrome du Christ est Melchisédech, roi de Chalem, la future Jérusalem. Jésus est un prince de la maison de David. C'est en tant que Roi qu'il fait son entrée à Jérusalem. Le beau nom de Roi figure sur l'inscription placée en haut de la croix. Lorsqu'il parle du monde d'où il vient, il l'appelle Le Royaume et chaque fois que nous répétons le Notre Père, nous demandons un règne, pas une république.

Dans la mesure où le Christ est Roi, tout roi participe du Christ. Oui, même le Louis XV du Parc aux Cerfs, même le Charles IX de la Saint-Barthélemy. La personnalité du Roi peut être en contradiction avec la vérité incarnée en lui, la vérité demeure. On serait loin de compte si on voyait le Roi comme une personne dans laquelle se serait logé un principe, comme un Bernard-l’ermite dans sa coquille. Il n'y a pas de principe royal. La république a des principes, la Royauté a des princes. Il y a simplement une vérité royale. Et la vérité est que cet homme que je vois devant moi est Le Roi. Le Roi est l'époux de la Patrie comme le Christ est l'époux de l'Église. Il en est quelquefois le sacrifié expiatoire comme le Christ l'est de l'humanité. La Royauté est sur terre, l'objet privilégié des vertus théologales car notre amour s'oriente vers le Roi, icône du Père, notre espérance vers le Prince, icône du Fils, et notre foi en la Royauté elle-même, qui est Esprit. L'Ancien et le Nouveau Testament utilisent une expression essentielle et singulière : ils parlent du Dieu vivant. Cette qualité, la vie, est l'attribut le plus glorieusement divin de la Royauté.

Au XVIIIème siècle, le voyageur anglais, Young, remarquait : "Un Français aime son Roi comme sa maîtresse, à la folie". Sage folie ! Un autre Anglais, contemporain celui-là, Lawrence Durrel écrit que les structures royales reproduisent l'architecture même de la personne humaine, structure organique. Rien dans tout cela qui sente l'abstrait, le construit, le prémédité. Dans la Royauté, il y a le grain qui meurt et qui ressuscite, il y a les fils qui s'engrainent sur les pères, il y a l'homme tel qu'il a été créé à l'image de Dieu, il y a... il y a la vie.

Ce n'est pas un hasard si, en Royauté, la même formule a pu servir à la fois de prière, de cri de joie, de cri de guerre, de simple interjection. Ce n'est pas un hasard si, lorsqu'on pense au Roi on exprime pour lui le vœu le plus charnel et le plus religieux : QU'IL VIVE !

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