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Sous le vernis du baccalauréat – Le français, langue morte

baccalauréat

Le 14 juin se tenait l’épreuve de français des « bac pro » : « Selon vous, le jeu est-il toujours ludique ? » Ce mot, ludique, a semé le trouble, beaucoup de lycéens n’en connaissant pas le sens. Le mot-clé #ludique a aussitôt fleuri sur les réseaux sociaux. Une prof de français explique sans fard : « Un élève de 17 ans ne se sert pas de ce terme au quotidien, il parle plutôt de quelque chose de “fun”. » Il aurait donc suffi de rédiger le sujet de la sorte : « Selon vous, le jeu est-il toujours fun ? », et le problème était réglé.

Cela n’est rien comparé à ce qu’a déclenché le bac de français des filières générales, le 16 juin. En cause, le texte à commenter, tiré de Sylvie Germain : Jours de colère (1989). Décontenancés par un texte très… littéraire qui évoque neuf frères vivant dans une forêt, les élèves à peine sortis de l’épreuve se sont répandus sur les réseaux sociaux pour insulter et menacer l’auteur. Ne prenons que quelques exemples polis : « Sylvie Germain tu connais les capotes ? D’où tu fais 9 gosses alors que t’habites dans une cabane ? » « Sylvie Germain va te faire foutre toi et ta personnification de la nature », « Se taper Sylvie Germain au bac de français alors que même wikipédia a pas de résumé de son livre », « Sylvie Germain prépare tes 9 fils car ce soir je vous zigouille – grosse folle », « elle m’a niquer mon bac », « tes ptn [putains] de 9 frères tu te les mets au cul », « Sylvie Germain va te faire foutre simple », etc.

Pour mesurer le décalage, voilà un extrait du texte en question : « Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. A leur puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce socle de granit d’un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources, troué d’étangs, partout saillant d’entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, – des étés écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. »

Des professeurs ont tenté de prendre la défense de l’auteur : « Je suis effarée de voir la réaction des élèves… Ils font preuve d’une violence inadmissible à l’encontre de cette autrice (qui en outre n’est en aucun cas responsable de leur inculture) ». Mais justement, qui est responsable de leur inculture, sinon les professeurs eux-mêmes et l’Education nationale ? Une fois qu’on a aboli le latin et l’étymologie, réduit à la portion congrue l’orthographe, la syntaxe et le vocabulaire, une fois qu’on a fait du rap « un outil pédagogique » (France Info, 09/09/2019), on peut bien proposer le texte d’une « autrice » supposée être plus accessible parce que contemporaine et mieux considérée parce que femme : il reste inaccessible à des lycéens dont la langue est constituée de rudiments de français, dénaturés d’un peu d’anglais globish et assaisonnés de beaucoup d’arabe de cité, et dont la seule forme d’expression est l’imprécation sur les réseaux sociaux.

Détail complémentaire : ce que Sylvie Germain redoute, ce n’est pas l’inculture crasse et l’illettrisme agressif de la jeune génération, c’est… Marine Le Pen. Avec 34 autres écrivains, elle signait en mai 2017 une tribune appelant à lui faire barrage : « il en va de nos libertés, de l’idée que l’on se fait de la France aujourd’hui et surtout de notre avenir et de celui de nos enfants. Une nation solidaire, ouverte, joyeuse, éduquée. » Mots creux alors que l’abîme est grand, voire total, entre l’enseignement dispensé, misérable et veule, et l’examen à passer, exigeant, qui paraît ne subsister que pour sauver les apparences de l’école républicaine.

Guy Denaere

Article paru dans Présent daté du 22 juin 2022

https://fr.novopress.info/page/2/

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