« Beaucoup de députés RN ont été élus par hasard […] Comment ces gens-là vont-ils apprendre en quelques jours à maîtriser leur parole ? », s’était interrogée la journaliste de BFM TV Amandine Atalaya, lors d'un duplex à l'Assemblée nationale. « L'un d'entre eux est un viticulteur, qui a apparemment la parole très fleurie, qui était encore sur son tracteur il y a quelques jours et qui débarque à l'Assemblée nationale », avait-elle affirmé, ce mercredi 29 juin.
Une saillie qui a provoqué une forte réaction de l’intéressé. « Oui, je suis fier d’être viticulteur, d’avoir fait pour être présent à l’Assemblée nationale ce matin 15 heures sur mon tracteur hier, et si vous n’étiez pas déconnectée de la réalité et des problèmes des Français, vous sauriez que c’est pour ça qu’ils m’ont élu député », a-t-il réagi sur Twitter, immédiatement rejoint par Marine Le Pen : « Le mépris de classe d’Amandine Atalaya envers notre député n’honore pas son métier de journaliste. Nos députés sont des agriculteurs, des ouvriers, des employés et je suis très fière que tous les Français soient désormais représentés à l’Assemblée nationale. »
Ce viticulteur sur son tracteur, c’est le député Christophe Barthès, 56 ans. Élu dans l’Aude, département qui a vu ses trois circonscriptions passer dans l’escarcelle du RN, le nouveau député est outré : « Ce n’est pas tant pour moi, affirme-t-il au téléphone, c’est davantage pour mes collègues et surtout mes électeurs qui se sont vus méprisés. » Ayant accepté les excuses de notre consœur, le député à la langue fleurie et au parler franc (pour rendre justice aux analyses de Mme Atalaya) tient néanmoins à rétablir la vérité : « Nous sommes élus tout sauf par hasard, il y a 15 ans, j’étais pour ainsi dire seul à Trèbes. Notre progression a été constante à force de travail. »
Effectivement, la progression du FN puis du RN dans l’Aude s’est faite progressivement. Canton après canton, élection après élection, le parti de Jean-Marie puis Marine Le Pen y a mis le temps dans une terre partagée entre socialistes et gaullistes. Barthès est lui-même issu d’une famille RPR, parti qu’il a quitté lors de la dissolution de l’Assemblée nationale pour suivre Pasqua. En 2002, il glisse un bulletin Jean-Marie Le Pen dans l’urne, « un dépucelage douloureux », sourit celui qui n’a pas la langue dans sa poche. Même constat chez son double collègue, Grégoire de Fournas, élu RN et viticulteur dans le Médoc : « Je viens d’une famille plutôt souverainiste mais dans le sens Pasqua-Villiers », nous dit-il (en référence à l’alliance des deux politiques lors des élections européennes de 1999). Chez l’un comme chez l’autre, on n’a donc pas été biberonné par la figure de Jean-Marie Le Pen, loin de là.
À l’épreuve de la nature
« J’étais sur mon tracteur dès le lundi matin », explique Barthès, parce que, contrairement à l’agenda politique et médiatique, la nature est un cycle immuable, j’espère que je ne l’apprends pas à votre consœur de BFM TV, lâche Barthès ironiquement. D’ailleurs, l’un et l’autre vont affronter la même problématique : les allers-retours entre la vigne et le palais Bourbon. « J’avoue avoir un peu repoussé à l’après-élection cette question », confie Grégoire de Fournas. « Je vais être sincère, jusqu’au soir du premier tour, j’étais convaincu que cela ne passerait pas », affirme de son côté Barthès, qui est allé de surprise en surprise, puisque en plus de se voir élu, il a vu l’intégralité du département porter un député RN à l’Assemblée. « C’est surprenant dans un sens mais cohérent dans l’autre », affirme-t-il. Effectivement, le progrès du RN est palpable à chaque élection dans cette terre rurale que l’on peut qualifier de périphérique. Des territoires lassés de ne pas être écoutés : « Ils ne nous prennent ni pour des amateurs ni pour de dangereux extrémistes, en fait les gens là-bas sont las des promesses. On leur a tout promis pendant des décennies et regardez le résultat. Les gens étaient de la chair à voter… Moi, je ne leur promets rien, mais ils savent que je ferai tout pour faire entendre leur voix et que je me battrai à l’Assemblée pour ces territoires. »
« Ils vont vite s’apercevoir que nous ne sommes pas des amateurs. Ce matin, nous avons reçu les syndicats viticoles, les gens ont une attente énorme vis-à-vis de nous. Ils sont confiants. Je ne vous promets rien mais je ferai tout pour vous. » La colère, le dépit, le sentiment d’abandon… Le fait qu’on leur a tout promis mais qu’on ne leur a rien donné.
Du côté de Grégoire de Fournas, on espère pouvoir « défendre les petites exploitations familiales et enracinées qui parfois peinent à être rentables ». Pour ce père de famille nombreuse, le succès du RN tient au slogan de la campagne : « Quand le peuple vote, le peuple gagne. »
Finalement, Fournas et Barthès s’amusent de la surprise de l’opinion, sachant tous les deux que tout cela est le fruit d’un enracinement à la fois familial et politique : ils ne sont pas élus sous les couleurs des Le Pen pour rien !
Marc Eynaud