Jarente de Senac
Frontex ? Ce nom ne vous dit peut-être pas grand-chose. En fait, il s’agit de l’agence européenne chargée de défendre les frontières européennes face à l’afflux d’immigrés clandestins qui, en Méditerranée essentiellement, tentent de gagner l’Europe.
En avril, Fabrice Leggeri, le patron français de l'agence européenne de gardes-frontières et de gardes côtes, démissionnait. Une décision qui lui a été vivement suggérée.... Derrière ce départ se joue un affrontement idéologique entre Européens sur le rôle de Frontex, l'accueil des migrants et la façon même de penser nos frontières.
Le 14 juin dernier, le futur ex-patron de Frontex était auditionné au Sénat et devait déclarer : « Certains auraient voulu faire de Frontex une agence humanitaire ! » et d’ajouter « certains veulent faire de Frontex une agence qui vérifie comment les Etats membres appliquent les droit fondamentaux ». en fait, Fabrice Leggeri est confronté depuis des années à l’hostilité de membres de la Commission, de pays de l’UE – ceux du Nord notamment – d’ONG et de groupes parlementaires européens qui ne voient pa du même œil le rôle de l’agence.
Il doit faire face à un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) chargé par la Commission d’enquêter sur les dérives de la gestion de Frontex et que très peu de personnes ont pu consulter mais qui aurait atterri sur le bureau de Gérald Darmanin. Les accusations contre Fabrice Leggeri sont nombreuses. Dont des opérations de refoulement de groupes de migrants, notamment de la part des Grecs qui en ont assez du déferlement incessant de migrants en provenance de la Turquie. Et pour ne rien arranger, Fabrice Leggeri a envoyé vertement paître la commissaire suédoise Ylva Johansson, chargée des affaires intérieures et la Française Monique Pariat, directrice générale de la Migration, toutes deux à la Commission. Paris a longtemps soutenu le soldat Leggeri. Mais Paris redoute que l’enquête Olaf ne vienne faire de l’ombre à la présidence française de l’UE. La situation risquant de devenir sensible, le soldat Leggeri doit sauter. Il démissionne.
Inutile de dire que cela réjouit de nombreuses ONG tout comme celle du ministre de l’intérieur turc, Süleyman Soylu qui voit en Frontex « une nouvelle inquisition ». Le cas Fabrice Leggeri est emblématique des débats qui touchent l’agence de la sécurité des frontières européennes. Au départ, l’agence ne devait être qu’un centre de formation de gardes-frontières. Quand en 2015, l’UE traverse sa première grande crise migratoire, notamment en Grèce. L’agence est alors minuscule : 200 personnes, 80 M€ de budget et aucun agent de sécurité. La gestion des frontières devient alors une priorité. La dualité Nord-Sud européen repart de plus belle. Lorsque la Finlande prend la présidence de l’UE, elle divise par deux le budget prévu de Frontex qui passe de 10 à 5,6 Mds€. Beaucoup de responsables européens ne veulent pas voir qu’en 2020 la migration a changé de nature, notamment de la part de la Turquie qui en fait une arme politique et de chantage contre l’UE. En 2021 c’est au tour de la Biélorussie d’ouvrir ses frontières aux migrants par le biais de circuits organisés. Lors d’une réunion à Venise en 2022 des ministres européens en première ligne (Italie, Espagne, Grèce, Chypre et Malte), la question sur le rôle de Frontex revient sur le tapis. A Luxembourg, le 8 juin dernier, s’est tenue une réunion présidée par Gérald Darmanin où les ministres ont réaffirmé l’importance du rôle de l’agence pour la protection des frontières et les améliorations à apporter. Et la nomination d’un nouveau directeur. Le cas de Fabrice Leggeri n’a pas été évoqué. Mais la lutte demeure au sein de la Commission entre ceux qui ne veulent pas que Frontex grandisse trop vite et ceux qui prônent son renforcement. Il serait temps de définir un mécanisme européen efficace de gestion des migrants.
Source : Marianne, 11/8/2022
http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2022/08/11/frontex-le-grand-foutoir-6395833.html