Dans le dernier numéro de « Poitiers mag », l’organe de communication de la municipalité de Poitiers, un article rappelle et précise la décision municipale qui organise l’extinction de l’éclairage public de minuit à cinq heures du matin. Ceci est bien, à un moment où il faut protéger la biodiversité, surtout réduire la consommation d’électricité et que les collectivités territoriales doivent faire des économies. Mais, on s’interrogera sur les exceptions signalées dans ce magazine : « Quelques exceptions demeurent toutefois. Hors centre-ville, les zones piétonnes et celles sous vidéosurveillance, les abords des discothèques et une portion de la promenade des cours sont éclairés… dans le centre-ville, l’éclairage fonctionne toute la nuit en zone piétonne ainsi que sur quatre axes situés aux quatre points cardinaux. »
Que sont les zones piétonnes hors centre-ville, les quatre axes situés aux quatre points cardinaux ? Une explication serait la bienvenue. Je terminai cet article lorsque le courrier m’amenait, comme à l’ensemble des citoyens de la ville, une lettre de la Mairie concernant l’éclairage public ; j’obtenais donc les explications espérées. Les zones piétonnes hors centre-ville concernent des centres commerciaux dont je me demande s’ils sont tellement fréquentés entre minuit et 5 heures du matin. Les « quatre axes situés aux quatre points cardinaux » sont tous des rues qui conduisent au centre-ville où s’amassent les discothèques, les bars de nuit. Chacun peut comprendre que faute d’être des caméras thermiques celles de la vidéosurveillance de Poitiers ont besoin d’être baignées dans la lumière. Les policiers aussi ont besoin pour effectuer leur mission que les rues soient éclairées : comment expliquer que les « quartiers » soient plongés dans l’obscurité alors que ce sont les lieux où les trafics et autres incidents sont les plus fréquents et où officie intensément la BAC alors que le centre-ville, qui restera éclairé, ne bénéficie pas d’une présence policière conséquente faute d’effectifs suffisants pour la police nationale et que la police municipale cesse son service à 22 heures laissant alors le champ libre aux fêtards éméchés et braillards.
Dans le discours municipal il faut donc surtout relever qu’échapperont à l’extinction des lumières les lieux fréquentés par les fêtards (la portion de la promenade des cours ‑excentrée‑ citée accueille une discothèque) qui continueront à empuantir de leurs déchets sonores la nuit en polluant le sommeil des riverains et les trottoirs en les tapissant de leurs vomissures. Quant aux gens, souvent appartenant aux classes les plus modestes, qui travaillent tard le soir et la nuit ou qui partent très tôt le matin n’y voyant goutte ils devront rentrer chez eux ou partir au travail en frôlant les murs à tâtons et la peur au ventre alors que les fêtards bénéficieront de la lumière créant ainsi une distinction de classes. La lettre de Madame la Maire nous indique : « En mars 2021, Poitiers a profité de la période du couvre-feu pour engager une expérimentation d’extinction de l’éclairage public dans plusieurs quartiers et remis de la ville. », reconnaissons que ce n’est pas banal, ce serait plutôt innovant que d’expérimenté l’extinction de l’éclairage public à des périodes où les gens ne peuvent pas sortir de chez eux car, sauf erreur, le couvre‑feu de mars 2021 débutait à 19 heures pour s’achever à 6 heures le lendemain. Comment si les gens ne pouvaient pas sortir de chez eux ont-ils pu avoir une idée « claire » des effets de l’extinction de l’éclairage public ?
Les habitants de Poitiers savent que la municipalité, majoritairement animée par des écologistes, privilégie la fête, les lieux festifs : encouragement des débits de boissons à envahir les trottoirs avec leurs terrasses, soutien aux bars de nuit et aux discothèques au détriment du sommeil des riverains, et cela au prétexte que Poitiers est une ville d’étudiante.s. Ce ne sont pas les 30 000 étudiants de l’université de Poitiers qui déferlent dans le centre-ville la nuit, seulement les moins désargentés (certains auront économisé 300€ grâce au Pass-Culture qu’ils réinvestissent dans la beuverie) et les plus débauchés créant une nuisance sonore rarement entendue dans d’autres villes. La municipalité pourrait au-moins exiger de ces établissements notamment les discothèques (voir la photo) qu’ils éteignent leur enseigne qui illumine la rue, comme on demande aux autres commerçants de renoncer à laisser leur vitrine éclairée ; on pourrait aussi restreindre l’amplitude horaire d’ouverture de ces établissements, etc. En résumé, la municipalité dorlote et gâte une minorité de braillards et méprise les humbles « travailleurs ».
En ça Poitiers ne fait pas figure d’exception, Paris avec une municipalité qui se réclame à la fois du socialisme et de l’écologie va faire payer le stationnement aux motos et les scooters à moteurs thermiques et exempter de cette taxe les motos et les scooters à moteur électrique. D’abord il y a là une atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi comme l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme en dispose : "La loi doit être la même pour tous", relevons toutefois que le Conseil constitutionnel a admis des modulations notamment lorsque celles-ci reposent sur des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif recherché par le législateur et que cet objectif n'est lui-même ni contraire à la Constitution, ni entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. » Dans ce cadre on comprendra que la municipalité de Paris veut « exterminer » les moteurs thermiques et promouvoir ceux électriques, nous pourrions donc considérer que nous serions en présence de critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif recherché par le législateur si toutefois il n’y avait pas une erreur d’appréciation qui ne prend pas en compte la dépense carbone de la fabrication des batteries, des dégâts qu’elle provoque au vu de l’extraction et de l’utilisation de métaux rares, et surtout qu’elle oublie les effets en matière de consommation d’électricité. En outre, et c’est plus important, chacun sait que ce ne sont pas les plus modestes financièrement qui achètent des scooters à moteurs électriques. Donc la municipalité de Paris et celle de Poitiers, veulent pénaliser les plus humbles.
Curieusement ce type de comportement semble universel dans le cerveau des dirigeants : à un moment où l’État de Californie vient de décréter l’extinction des véhicules à moteur thermique en 2035, ce qui empêchera les moins aisés financièrement à abandonner l’idée de posséder une voiture, ce même État qui comme les autres n’a pas discerné que les voitures électriques consomment de l’électricité en masse, vient d’interdire de recharger les batteries entre 16 heures et 21 heures.
Il ne s’agit donc pas d’écrire que ces politiques seraient mauvaises, il s’agit de montrer comment et pourquoi elles créent de la discrimination et comment elles restreignent leur objectif autour de ce qui apparaît comme une sanction infligée aux plus modestes des citoyens.
Ces trois politiques publiques, outre la communauté d’objet, se regroupent autour de deux caractéristiques de gestion des politiques publiques : la non-prise en compte voire le mépris des classes les moins aisées financièrement, et la volonté de mettre en œuvre, coûte que coûte, une idéologie dépourvue de sens humain et social pour les écologistes ou pour les autres (notamment les « progressistes ») la volonté de coller au plus près d’une modernité assise sur un progrès technique et surtout technologique tout aussi dépourvus de sens humain et social, les deux -écologistes et les autres‑ s’appuyant sur un curieux scientisme. Dans chacune de ces trois situations citées ici les gestionnaires politiques font reposer leurs décisions sur un postulat simpliste : le pétrole pollue et les réserves diminuent alors il faut le remplacer par une énergie moins polluante dont on serait certains qu’elle ne manquera pas. La raison voudrait que l’on s’interroge sur les techniques de production d’électricité, sur les dangers pour la planète des outils alternatifs de production d’électricité, sur le coût environnemental de la fabrication puis de l’élimination des batteries, etc., et qu’on prenne en compte la complexité de la société et celle de la science. Ainsi on voit se construire par les pouvoirs politiques des politiques publiques basées essentiellement sur l’image et la communication, dépourvues de sens humain et social autant que de fondement scientifique, d’où toute raison (faculté de l'esprit humain à organiser ses relations avec le réel…) et tout bon sens sont absents.
Sans parler de décroissance, mot à la fois tabou en politique et difficile à définir nous sommes amenés à voir se mettre en place des « usines à gaz » (et ce n’est guère le moment de solliciter le gaz) là où il faudrait faire appel à la sobriété. La voiture électrique n’est sûrement pas la solution aux problèmes énergétiques ni à ceux liés à la pollution atmosphérique et autre, pas plus que les énergies renouvelables ne le sont vis-à-vis d’une consommation énergétique qui ne cesse de s’accroître, indiquant aux « pauvres » qu’ils bénéficient d’une réduction de leurs droits alors que les « riches » conservent voire augmentent les leurs. D’autre part, les exceptions à l’extinction de l’éclairage public envoient de très mauvais signaux à ceux qui continueront à bénéficier de la lumière qui s’installeront dans une sphère psychologique de la toute-puissance, du « tout m’est dû », dans un monde (pour l’exemple de Poitiers) où la fête aurait un statut supérieur au travail, où le respect de ceux qui ne font pas la fête disparaît sous les volutes des cigarettes au tabac illicite et sous les vapeurs alcoolisées. Ces exceptions seront reçues par ceux qui n’en bénéficient pas comme un manque de respect de leurs droits, de leurs difficultés, de leur dignité : elles génèreront une image de mépris pour les plus humbles parmi lesquels on rencontre les « précaires énergétiques » et ceux pour lesquels la fin de mois se situe au 15 du mois.
Il est temps que les politiques cessent d’élaborer des actions publiques à court terme dans un cadre communicationnel et qu’ils réfléchissent pour le long terme et sur la base d’analyses de situations complexes et multifactorielles. Il faut, mais je n’y crois plus, qu’on sorte d’une politique en faveur des classes supérieures et qu’on prenne en compte l’ensemble de la société : ça doit s’appeler vouloir le bien commun, peut-être le bonheur comme le clamait Saint-Just le 3 mars 1794 : « Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre, qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur. Le bonheur est une idée neuve en Europe. »
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