28/09/2022
Saïd Ouichou a décidé de quitter le cabinet où il consulte depuis quinze ans.
Pour entrer dans le cabinet médical Oddo, il faut désormais montrer patte blanche. Le rideau de fer, qui donne sur la petite rue, reste systématiquement baissé. Les patients sonnent puis patientent sur le trottoir, jusqu’à ce que le docteur Ouichou ait fini la consultation en cours. Quand il raccompagne son visiteur, il ne fait entrer dans sa salle d’attente que les visages qu’il connaît. Dans ce quartier pauvre du nord de Marseille, situé derrière le marché aux puces, tout le monde sait désormais que le médecin, installé ici depuis quinze ans, va partir. «Le téléphone arabe a fonctionné», confirme Hakim.
Ce commerçant était présent quand l’agression s’est produite. «La salle d’attente était pleine, comme à l’accoutumée. Deux jeunes qu’on ne connaissait pas se sont énervés, au motif qu’ils étaient pressés. Ils ont tambouriné à la porte du bureau du docteur, et quand celui-ci est sorti pour leur dire d’arrêter et d’attendre leur tour, ils l’ont pris à partie.» Si la violence n’a été que verbale, c’est uniquement parce que, parmi les patients présents ce soir-là, il y avait des hommes en nombre. Salim fait partie de ceux qui se sont interposés: «Même s’il est costaud, le docteur n’aurait rien pu faire. Ils avaient la rage. Parlaient mal. Insultaient. Autour, il y avait des femmes et des petits. Ça ne se fait pas». Le gabarit impressionnant de ce trentenaire et l’attitude des autres patients ont fait battre en retraite les agresseurs
Mais quelque chose s’est brisé dans la vie du médecin du quartier. «Il y a une insécurité croissante et un sentiment d’impunité total, constate, avec amertume, Saïd Ouichou. On peut agresser un médecin ou la pharmacienne qui est en face sans risquer quoi que ce soit. Résultat, nous sommes de moins en moins nombreux à exercer dans ces arrondissements difficiles.» Le praticien a pris une décision irrévocable: il va dévisser sa plaque et quitter le secteur avant la fin octobre. «Je vais m’abriter dans une structure où nous serons plusieurs. La tendance pour les soignants est de se regrouper pour pouvoir exercer leur profession sans avoir à se préoccuper du comportement agressif de certains patients», déplore le médecin, très impliqué dans le tissu associatif local. «À plusieurs, nous pouvons intégrer le coût de la sécurité, ce qui est impossible seul.» Dans la file d’attente qui se forme dans la rue, les gens commentent. Issus pour la plupart de l’immigration maghrébine, tous dénoncent l’abandon du quartier aux squatteurs et aux migrants. «Regardez notre rue: la boulangerie, la boucherie… Tous les commerçants tirent le rideau et s’en vont.»
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