Ce 9 novembre, le chef de l'État doit prononcer à Toulon un discours préfigurant la future loi de programmation militaire, pour la période 2024-2030, qui devrait être votée mi-2023.
Le budget de la défense, en démocratie, n'est jamais adopté qu'aux risques de l'opinion publique. C'est ainsi, qu'en ce début novembre nos institutions, parlement comme pouvoir exécutif, peinent à s'accorder sur le projet de loi de finances 2022 et sur celui de la sécurité sociale. Nous en sommes au 4e déclenchement de l'article 49-3 de la Constitution.
Or, que l'on se fie au Canard enchaîné ou au Monde, l'opinion française semble surtout sollicitée, à tort ou à raison. par la facture des passoires thermiques ou par les urgences hospitalières. Quel est en revanche le niveau de prise conscience nationale relativement aux impératifs de défense ? Sans doute assez médiocre !
Dans mon petit livre [bleu] "Pour une libération fiscale" en réponse au livre [rouge] de Piketty "Pour une révolution fiscale" je tendais à conclure sur une double nécessité.
- D'abord diminuer globalement la facture des impôts et taxes, de toutes sortes, que subissent les citoyens ; il s'agit globalement de diminuer les prélèvements obligatoires énormes qui pénalisent l'économie, donc de restreindre la dépense publique et les interventions économiques, généralement aberrantes, de la haute administration.
- Et, "en même temps", expression devenue à la mode les véritables missions régaliennes de l'État ne sont pas celles pour lesquelles on s'agite dans les médias. Elles commencent par la nécessité d'assurer la sécurité des citoyens et celle des frontières du pays.
Certes, la critique que l'on peut faire à ce type d'affirmations est que leur concrétisation risque d'achopper, à la fois, sur le coût des nouveaux moyens donnés principalement à l'armée, à la police et à la justice – et sur la nature des coupes budgétaires qui s'imposent.
En effet, il y a 10 ans, à l'époque de la campagne électorale présidentielle de 2012, cette triple priorité pouvait sembler évidente, du point de vue civique. Or, elle ne l'était absolument pas, pour des raisons que l'on peut tenir pour politiques. Depuis le IVe siècle, et l'étude concrète par Aristote des constitutions de son temps ce qui inspira sa rédaction de "la Politique", on connaît le chemin funeste qui mène la démocratie vers la démagogie.
On ne saurait dire que, depuis la présidence Hollande, la conscience s'en soit vraiment améliorée. Entre 2012 et 2017, sous prétexte de "diminuer les impôts", on a fait en sorte que 57 % des ménages français se croient "non-imposables" parce qu'ils ne payent pas l'impôt sur le revenu. Depuis la première élection d'Emmanuel Macron la suppression promise de la taxe d'habitation joue le même rôle auprès de 80 % des assujettis, idem, pour l'ISF en direction, plus ciblée, du ralliement des catégories les plus aisées.
Je laisse aux spécialistes le soin de détailler les besoins et les choix de ces fonctions régaliennes elles-mêmes. Je constate simplement qu'elles tendent à être de plus en plus délaissées au profit d'aspirations très éloignées des compétences véritables de la puissance publique.
Car la réponse des bons esprits, celle de nos politologues, de nos sondeurs et de nos influenceurs semble hélas unanime. Elle reste la même que dans la Rome impériale décadente. Supprimer, ou même restreindre, le "panem et circenses" ? Vous n'y pensez pas !
La question que l'on peut se poser est alors de savoir : en quoi doit-il être considéré, aujourd'hui plus encore qu'hier, urgent de mettre l'accent sur les besoins prioritaires de la défense nationale.
Une première réponse nous a été donnée par le discours du chancelier Scholz, prononcé le 27 février lors d'une session extraordinaire du Bundestag, au lendemain du déclenchement de l'attaque russe en Ukraine. Et, à notre intention, le 22 juillet, il publiait une tribune libre dans Le Monde intitulée : "Après le tournant historique qu’a constitué l’attaque de Poutine contre l’Ukraine, rien ne sera plus comme avant".
Il y soulignait ceci : "La nouvelle réalité, ce sont aussi les 100 milliards d’euros dont nous sommes convenus comme fonds spécial pour la Bundeswehr, et qui marquent le revirement le plus important de la politique de sécurité de l’Allemagne."
Or, depuis 1962 et les rencontres entre le général De Gaulle et Konrad Adenauer, nous avons été habitués à l'idée d'une Europe franco-allemande. Principale discordance au sein du tandem : Paris aspirant constamment à ce qu'on appelle "souveraineté" ou "autonomie stratégique" du Vieux Continent ; de son côté, le gouvernement de Bonn, transféré à Berlin par une décision de décembre 1991, a toujours privilégié, jusqu'ici, la protection du pacte atlantique.
Nous pourrions nous féliciter de voir désormais notre partenaire consentir un effort supplémentaire, et quel effort, pour la défense commune de l'Europe.
Nous le pourrions et nous le devrions, à une condition – jusqu'ici implicite : celle que l'équilibre entre les deux pays soit, au moins grossièrement, maintenu.
Or, il ne l'est plus, les deux partenaires ne peuvent plus parler d'égal à égal, et ceci pour des raisons largement économiques et budgétaires. De plus, aussi bien la hausse des taux d'intérêt, qui ne fait que commencer, que la dérive du niveau général des prix, vont cruellement, et peut-être ouvertement, le confirmer : ceci parce que Paris, depuis 30 ans, n'a jamais su tenir ses engagements monétaires.
Voici donc les chiffres du problème budgétaire global pour nos armées…
Les propositions les plus optimistes, pour les sept années de la future LPM, tournent autour d'un volume de dépenses qui se situerait entre 410 et 420 milliards d’euros, soit en moyenne 60 milliards par an. Ce sont des besoins. Cela représenterait sans doute une augmentation notable par rapport à la loi de finances pour l'année 2023 qui ne projette que 44 milliards, alors que les communicants soulignent qu'il s'agit d'une hausse de 25 % par rapport à 2017.
Mais il semble bien que le conseil de défense qui se tenait à l'Élysée le 28 septembre ne se soit pas bien passé relativement à cette addition. Le point de vue de l'armée était représenté par le général Thierry Burkhard, chef d'état-major ; il était soutenu par le ministre de la défense Sébastien Lecornu, successeur de Florence Parly. Son évaluation des besoins porte sur environ 435 milliards sur les 7 ans à venir. Or, elle aurait été repoussée par Emmanuel Macron, lui-même appuyé par les estimations de Bercy qui voudrait s'en tenir à 375 milliards : 53 milliards par an, en moyenne au lieu, de 62 milliards. À comparer par conséquent avec les 100 milliards de l'Allemagne.
Certes la question quantitative n'est pas la seule qui se pose.
À Paris, on se pense en général en numéro 1 de la Défense en Europe : une grande puissance dotée d'une "armée complète", disposant de la force nucléaire, d'un siège permanent au conseil de sécurité des Nations unies, faisant fonction de pilote de l'espace eurafricain, etc.
D'autres choix, d'autres problèmes d'ordre géopolitique, qui sans doute n'entrent pas dans le champ de compétence de l'économiste, vont donc se présenter aux décideurs et ceci ne restera pas sans conséquence financière.
Une armée complète ? La force de dissuasion ? Une puissance mondiale ? cela impose à l'évidence des surcoûts.
On peut s'étonner ainsi d'une contradiction bien parisienne : la France détient, par exemple, un domaine maritime immense notamment dans l'Océan Pacifique. Celui-ci se trouve en première ligne, menacé bien évidemment par l'expansion chinoise pour laquelle, par exemple, la Nouvelle-Calédonie paraît à prendre alors que le domaine américain développe des moyens de défense autrement considérables. Si l'on y ajoute la mer Baltique et la Méditerranée orientale, pas besoin de sortir de l'École Navale pour comprendre que la possession d'un unique porte-avions à partager entre les trois théâtres d'interventions semble très insuffisante.
Les besoins de l'Allemagne, en comparaison, limitant son domaine d'interventions au nord et au centre de l'Europe, et s'abritant sous le parapluie nucléaire des États-Unis, s'en trouvent allégés d'autant. Un seul adversaire désigné par Berlin : la menace russe tandis que la Chine reste un partenaire de l'industrie allemande.
La France au contraire s'est certes engagée dans le soutien à l'Ukraine, mais elle est également impliquée en Méditerranée orientale, contre la Turquie pan-islamiste, et se trouvera inéluctablement confrontée dans le Pacifique aux ambitions de la Chine, sans parler de l'espionnage systématique. Deux fois plus de moyens pour des tâches deux ou trois fois moins lourdes, voilà le véritable rapport quantitatif entre les deux rives du Rhin.
Quid dès lors de l'industrie de défense ?
C'est probablement sur ce point que l'offensive conjointe des coupeurs de budgets et des campagnes gauchisantes contre les "marchands de canons" se révèle la plus pernicieuse.
En rognant sur le budget de la défense on a singulièrement restreint, pour ne citer qu'un exemple, la dotation de nos armées en canons Caesar, une arme excellente, certes fabriquée en France – en collaboration entre GIAT-industrie et l'industriel allemand Wegman &Co GmbH, qui détient 50 % des parts du fournisseur Nexter – mais que l'on vend à l'Étranger : on le livre à l'Ukraine, en dégarnissant notre artillerie, et on l'exporte dans plusieurs pays, en Belgique, au Danemark, en Tchéquie, en Thaïlande, au Maroc, en Indonésie et en Arabie saoudite… mais trop peu à nous-mêmes. Faute de budgets suffisants.
Là encore on doit se souvenir des travaux de François Perroux, l'un des plus grands, sinon le plus grand [au dire de Raymond Barre, par exemple] des économistes français du XXe siècle. Celui-ci démontrait, dans son livre "Indépendance de la nation" publié en 1969, combien les investissements militaires se révèlent constamment ceux dont les retombées positives, – pour l'exportation, pour la recherche scientifique comme pour la croissance industrielle – se révèlent les plus substantielles. De ce point de vue, les États-Unis nous donnent des leçons qui sanctuarisent les budgets de la défense, quitte à faire hurler les adversaires de leur "complexe militaro-industriel".
Il semble par conséquent urgent de réveiller sur ce point l'opinion populaire de l'Hexagone en commençant, peut-être, par éclairer celle des élites dirigeantes.
JG Malliarakis