En septembre dernier, par 433 voix pour et 123 voix contre, le Parlement européen avait voté en faveur d’un rapport qualifiant l’État hongrois de « régime hybride d’autocratie électorale » : cela ne veut rien dire, à moins que la définition de la démocratie en Occident, dont le socle et la légitimité reposent sur l’onction populaire accordée par le vote, n'ait changé. À ce compte-là, pour reprendre les mots de Ghislain Benhessa, l’État de droit n’est « que l’illusion d’une perfection juridique et rien de plus que la somme des principes que l’on choisit de lui injecter » : le parfait prétexte pour contourner ce qui reste de démocratie dans l’Union européenne. Depuis avril dernier, la Commission a introduit spécialement pour la Hongrie (et demain l’Italie, qui vote si mal ?) le mécanisme de conditionnalité des fonds au respect de l’État de droit sous prétexte que ce non-respect mettrait en danger l’équilibre budgétaire de l’Union européenne.
Lors du vote de ce rapport, la députée européenne Fabienne Keller (Renew Europe) avait déclaré, dans les colonnes du Monde, que la loi hongroise qui interdit la propagande LGBT dans les écoles « ressemble aux lois poutiniennes ». Fustigeant la politique conservatrice hongroise, elle avait averti : « Si la Hongrie était candidate aujourd’hui pour rentrer dans l’UE, ce ne serait pas possible, elle ne remplirait plus les critères d’adhésion, c’est le triste constat du rapport. »
Les députés européens ont donc fait pression depuis septembre sur la Commission, laissant même planer le doute sur une éventuelle motion de censure de ladite Commission si le gel des fonds destinés à la Hongrie n’était pas mis en place.
Peu importe que la Hongrie ait mis en chantier différentes réformes, dont celle de la Justice, ou encore l’installation d’une autorité indépendante pour mieux contrôler les fonds de l’Union européenne. La date butoir du 19 novembre pour la mise en place de ces réformes n’a pas été respectée, estime la Commission. Peu importe, également, que la Hongrie qui, comme le reste de l’Europe, connaît une grave crise économique ait promis, par la voix de Tibor Navracsics, le ministre du Développement régional du gouvernement hongrois et chargé de négocier avec l’Union européenne, de « mettre en place les mesures supplémentaires exigées et, en 2023, nous ne doutons pas que nous parviendrons à convaincre la Commission […] qu’il n’est pas nécessaire de suspendre les fonds ». La balle est dans le camp des 27 : pour que ce gel des fonds soit effectif, il faudrait que 15 pays sur 27 ratifient cette décision de la Commission.
On l’aura compris, tout cela n’est que politique. Sinon, comment expliquer la réaction de Stéphane Séjourné ? Le très macroniste président de Renew Europe se « félicite que la Commission européenne ait écouté [s]on groupe Renew Europe ». Le même Stéphane Séjourné martèle, sur twitter, que « pas un euro ne doit aller au gouvernement hongrois qui ne respecte pas l’État de droit ». Séjourné est allé rencontrer les autorités suédoises qui doivent prendre la présidence du Conseil de l’Europe en janvier : « À Stockholm, j’ai rappelé au gouvernement nos exigences : aucun populiste ne doit influencer l’agenda européen. »La Hongrie a-t-elle aussi été sanctionnée car elle bloque, pour l’instant, le plan d’aides commun à l’Ukraine de 18 milliards d’euros ? Ou parce que, à l’instar de la Turquie, elle est le seul pays de l’OTAN qui ne soit pas favorable à l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’organisation ?
Au fond, ces avertissements et sanctions infligés à la Hongrie depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orbán ont peut-être pour but de forcer celle-ci à sortir de l’Union européenne – l’UE ne serait plus alors bloquée par le veto de la Hongrie lorsque le vote à l’unanimité est requis. C’est évidemment un avertissement aux autres pays de l’Union européenne qui seraient tentés de mener une politique dissidente… et souveraine.
Marie d'Armagnac