Une autre mauvaise nouvelle pour l’UE est que la pire crise de ces dernières décennies ne fait que commencer. Avec l’hiver, les problèmes ne vont pas disparaître. Les Européens n’ont pas à attendre un répit face aux prix élevés. Igor Iouchkov – expert à l’Université financière du gouvernement de la Fédération de Russie et au Fonds national de sécurité énergétique – le confirme : « Nous pouvons dire avec confiance que la crise ne se terminera pas le 1er avril, à la fin de la saison de chauffage ». Le déroulement de la saison de chauffage va dépendre uniquement de la météo : du niveau de la température et du vent, qu’il souffle ou non. Le début de saison s’est avéré chaud, mais personne ne sait exactement ce qu’il adviendra de la météo. L’illusion des européens serait de considérer que l’hiver se terminant, ils pourraient pousser un soupir de soulagement. Ce ne sera pas le cas …
Qu’est-ce qui attend les Européens en 2023 ?
Iouchkov en explique la raison : « Avec quelles réserves de gaz les Européens sortiront de la saison de chauffage, c’est difficile à dire, cela dépend de la météo. Mais je supposerai que dans le stockage souterrain, le niveau de résidus sera d’environ 30 %. Cela conduira au fait qu’au printemps, en été et en automne, les Européens devront s’approvisionner intensivement en gaz pour l’hiver prochain ».
Contrairement à 2022, le nombre de fournisseurs de la nouvelle année sera limité. Presque tout le premier semestre de 2022, Gazprom a été en mesure de fournir tous les volumes contractuels. L’histoire du démantèlement des turbines de Nord Stream 1 n’a commencé qu’au début de l’été, et le volume de pompage a diminué progressivement vers la fin de la saison, jusqu’à ce qu’il s’arrête complètement. Puis les tuyaux ont complètement « explosé ». Le transit par l’Ukraine a également été au plein jusqu’en mai, après quoi, à l’initiative de l’Ukraine, il est passé de 109 millions par jour aux 42 millions de mètres cubes de gaz actuels. « Cependant, en 2023, les Européens devront pomper de gros volumes de gaz dans les installations UGS (sous-terraines) avec des importations limitées. Par conséquent, les prix du gaz resteront relativement élevés tout au long de 2023.A cet égard, cela peut-être une répétition de l’année en cours », prévient Iouchkov.
C’est donc une nouvelle réalité pour l’énergie européenne. Car avant la situation était complètement différente : dès la fin de la saison de chauffage, les prix baissaient immédiatement. Les Européens pompaient du gaz au printemps ainsi qu’en été, entre autres, parce que les prix étaient plus bas qu’en hiver et que c’était économiquement rentable. En été, il était pompé à bas prix, et en hiver, il était pompé et vendu aux consommateurs à un prix plus élevé. Le marché est principalement dans les mains des entreprises privées commerciales.
Des ventes à perte ?
Pour l’avenir, l’expert apporte des précisions : « Déjà cet hiver et dans les mois suivants, nous observerons une situation intéressante. Cette année, les Européens ont pompé du gaz dans les installations UGS dans la panique tout l’été et à l’automne jusqu’en novembre. Ils ont même acheté 2.500 voire 3.000 dollars le millier de mètres cubes. Alors que maintenant les prix ont chuté à 1.500, voire moins. À quoi cela mène-t-il ? Les entreprises s’approvisionnent désormais en gaz dans des stockages souterrains et le revendent non pas pour 2.500, c‘est-à-dire au prix qu’elles l’ont acheté, mais pour 1.500 au mieux, voire moins cher. Les entreprises européennes enregistrent ainsi des pertes ».
Partant de ce constat, cet « hiver non rentable » conduira au fait qu’en 2023, les entreprises privées européennes se demanderont sérieusement s’il vaut la peine pour elles de stocker autant de gaz dans les installations UGS à des prix élevés, au risque ensuite de subir des pertes pendant la saison de chauffage ? « Par conséquent, la grande question est de savoir qui pompera du gaz dans l’installation de stockage souterrain au cours de la nouvelle année, et dans quelles conditions », interroge Iouchkov.
Les autorités européennes devront prendre des décisions à ce sujet. « Soit elles mettront en place leur « acheteur unique », ce dont elles discutent activement. Mais ce dispositif est juste conçu pour simplifier l’injection de gaz dans les stockages souterrains. Soit les Européens devront continuer à subventionner les entreprises gazières, et plus encore, afin d’inciter leurs entreprises à acheter encore du gaz pour l’hiver », estime l’expert du Fonds national de sécurité énergétique.
Très probablement, l’UE sera obligée de continuer les énormes subventions pour soutenir les entreprises énergétiques et industrielles. Selon le groupe de réflexion bruxellois Bruegel, les gouvernements ont fourni plus de 700 milliards de dollars d’aide aux entreprises et aux consommateurs en 2022, afin d’amortir le choc des prix. Cela ne couvre pas tous les dommages causés par des ressources énergétiques coûteuses de 1.000 milliards de dollars. Et l’effet de ces injections est finalement là, mais partiel.
En outre, cette mesure n’a pas été suffisante pour stopper l’inflation. La BCE doit donc encore augmenter ses taux. Et cela, à son tour, va rendre les prêts plus chers et conduire l’économie européenne à la récession. A un moment donné, il y aura une impasse. « Il ne se passe rien de positif pour les Européens pour le moment. Les prix restent élevés, les pénuries d’énergie persistent, l’inflation augmente, les taux augmentent, et tout cela plonge l’économie de la région dans la récession », constate Iouchkov.
La pénurie de gaz ne va pas disparaître
Elle se poursuivra jusqu’en 2023. Cela signifie qu’à l’hiver 2023-2024, il sera nécessaire de porter le taux d’occupation des stockages souterrains à 90-100 %. De plus, en 2023, la pénurie de gaz pourrait s’aggraver.
Premièrement, la Chine peut mettre fin à ses mesures de confinement et recommencer à croître au même rythme qu’auparavant, augmentant ainsi la demande de gaz. Puis Pékin reprendra une partie du GNL, qui cette année a été redirigé vers les marchés européens car inutile en Asie.
Deuxièmement, il existe un risque objectif d’arrêt complet du transit ukrainien. Bien sûr, ce n’est plus désormais un volume aussi important, mais dans des conditions de pénurie, les Européens en subiront l’impact.
Enfin, le troisième point est qu’en 2023, il n’y aura pas de nouveaux volumes de GNL sur le marché qui pourraient améliorer la situation dans l’UE. De nouveaux volumes de GNL pourraient apparaître au plus tôt en 2026, lorsque de nouvelles capacités aux États-Unis et au Qatar seront mises en service. Et Iouchkov n’est pas sûr que ces volumes couvriront la baisse des volumes de gazoduc russe. La demande pourrait encore dépasser l’offre. « L’Europe s’est créée ces problèmes, car en 2023, 6,6 millions de tonnes de GNL d’Arctic LNG 2 pourraient entrer sur le marché, soit même plus que la capacité de conception. Puis en 2024 encore 6,6 millions de tonnes, en 2025 encore 6,6 millions de tonnes. L’Europe pourrait obtenir tous ces volumes », rappelle l’expert. Les sanctions occidentales ont ralenti le projet. Aujourd’hui, les Européens achètent presque tout le GNL russe.
Aussi, selon l’Agence internationale de l’énergie, l’UE pourrait faire face en 2023 à une pénurie de 27 milliards de mètres cubes de gaz. Cela se produira si les approvisionnements russes tombent à zéro et que les importations chinoises de GNL reviennent aux niveaux de 2021.
Tout ceci va renforcer la désindustrialisation de l’économie européenne
En 2023, la tendance à la réduction de la consommation de gaz dans l’UE et le processus de désindustrialisation de l’économie européenne devraient se poursuivre. « La force avec laquelle ce processus se développera soulève une question difficile. Par exemple, à certaines périodes de 2022, la baisse de la consommation de gaz dans le secteur industriel a atteint 30 %, et en moyenne, l’industrie consommera 15 % de gaz de moins qu’en 2021 », argumente l’expert.
Le seul avantage pour les acheteurs dans cette situation est que si l’industrie meurt encore plus activement en 2023, cela maintiendra les prix du gaz bas.