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Sabotage de Nord Stream : la révolte de l’Allemagne contre l’Amérique

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Marc Rousset

Vous trouverez ci-dessous, tout d’abord la traduction en français par nos soins de l’excellente et très longue interview, fin novembre 2022, par « Die deutschen Wirtschaftsnachrichten im Gepräch » du grand homme politique allemand Oskar Lafontaine, ancien Président de la Sarre, ancien Président du SPD, ancien ministre des Finances, ancien candidat à la Chancellerie. Son analyse non seulement francophile, ce qui est très rare en Allemagne, mais aussi tout à fait identique à celle du général De Gaulle et de Konrad Adenauer sur le plan géopolitique, interpelle, même si sa sensibilité SPD humaniste, socialiste, pacifiste est à l’antipode de celle du Général.

Oskar Lafontaine a toujours stigmatisé la dangerosité de l’alignement des intérêts européens sur ceux de l’OTAN qui ne sont rien d’autres que ceux des Américains et uniquement ceux des Américains. ll a toujours eu horreur de la guerre, a toujours milité pour l’indépendance de l’Allemagne, en étant assez proche de la pensée de Jacques Chirac, dernier Président d’une France indépendante et souveraine pour avoir refusé la guerre en Irak et le retour de la France dans l’OTAN, alors que l’hypocrite et vendeur de soupe « Sarko l’américain » s’est fait un plaisir de brader les intérêts de la France en intégrant l’OTAN ,sans faire quoi qu ce soit, malgré ses promesses de charlatan, pour combattre l’invasion migratoire en cours.
Oskar Lafontaine met en garde dans l’interview ci-dessous d’une façon fracassante sur le déclin économique possible de l’Allemagne, sur la guerre par procuration entre la Russie, l’Otan et l’Amérique en Ukraine. Il exige même le retrait des troupes américaines d’Allemagne, ce qu’avait aussi réalisé le général De Gaulle pour la France !

Titre de l’interview en allemand d’Oskar Lafontaine : « L’Europe paie le prix de la lâcheté de ses propres dirigeants »

DWN : Quelles seront les conséquences du sabotage à l’explosif des gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 ?

Oskar Lafontaine : L’explosion des deux gazoducs est une déclaration de guerre à l’Allemagne et c’est à la fois pathétique et lâche que le gouvernement fédéral veuille mettre l’incident sous le tapis. L’Allemagne dit qu’elle sait quelque chose, mais qu’elle ne peut pas le dire pour des raisons de sécurité nationale. Les moineaux le sifflent pourtant depuis longtemps sur les toits : les États-Unis ont soit directement mené l’attaque, soit au moins donné le feu vert. Sans la connaissance et le consentement de Washington, la destruction des gazoducs, qui est une attaque contre notre pays, paralyse notre économie et va à l’encontre de nos intérêts stratégiques, n’aurait pas été possible.
C’était non seulement un acte hostile contre la République fédérale, mais aussi la démonstration une fois de plus que nous devons nous libérer de la tutelle américaine.

DWN : Dans votre nouveau livre « Ami, il est temps de partir ! », vous appelez au retrait des troupes américaines d’Allemagne. N’est-ce pas irréaliste ?
Oskar Lafontaine : Bien sûr, cela ne se fera pas du jour a lendemain, mais l’objectif doit être clair : le retrait de toutes les installations militaires et nucléaires américaines d’Allemagne ainsi que la fermeture de la base aérienne de Ramstein. Il faut y travailler avec persévérance et construire en même temps une architecture de sécurité européenne, car l’OTAN dirigée par les États-Unis est obsolète, comme l’a reconnu à juste titre, le président français Emmanuel Macron. C’est parce que l’OTAN n’est plus une alliance défensive, mais un outil pour faire respecter la prétention des États-Unis à rester la seule puissance mondiale. Nous devons donc formuler nos propres intérêts qui ne sont en aucun cas conformes à ceux des États-Unis.

DWN : Vous dites que les Américains sont responsables de l’explosion des gazoducs. Croyez-vous sérieusement qu’ils abandonneraient l’Allemagne sans combattre ?
Oskar Lafontaine : Non, ça va être très dur, mais je ne vois pas d’alternative. Si nous et les autres pays européens continuons à rester sous tutelle américaine, ils nous pousseront jusque vers la falaise pour protéger leurs propres intérêts Nous devons donc progressivement élargir notre champ d’action, de préférence avec la France. Comme Peter Scholl-Latour, j’ai réclamé il y a de nombreuses années, une union franco-allemande. Ensuite la défense des deux États pourrait également être intégrée, en tant que noyau d’une Europe indépendante. Pour utiliser une expression désormais éculée : nous vivons les affres de l’enfantement de la phase de transition d’un ordre mondial unipolaire à un ordre mondial multipolaire. Et là se pose la question de savoir si nous avons notre propre place dans ce nouvel ordre mondial ou si nous nous laissons entraîner dans les conflits de Washington avec Moscou et Pékin en tant que vassaux américains. Nous ne pourrions alors que perdre.

Oskar Lafontaine : La scène où le Chancelier Scholz apparaît comme un petit écolier muet sur l’estrade pendant une Conférence de presse à Washington, à côté du grand Maître américain, le Président Biden, lorsque celui-ci l’informait que son gazoduc Nord Stream 2 n’allait pas faire long feu, représentait une véritable mortification provocatrice et arrogante pour l’Allemagne.

DWN : Vous citez Machiavel dans votre ouvrage : « Ce n’est pas celui qui agresse militairement qui est le responsable du mal, mais celui qui est à l’origine véritable du conflit ».  Cette citation s’applique-t-elle au conflit ukrainien ?
Oskar Lafontaine : Cette citation vaut pour le conflit en Ukraine depuis qu’il a commencé en 2014 avec le coup d’État américain à Maîdan. Les États-Unis ont ensuite équipé et préparé les Ukrainiens à une guerre contre la Russie, en faisant de l’Ukraine, non pas en droit, mais de fait, un membre de l’OTAN. Ces préliminaires sont intentionnellement passés sous silence par les médias et les hommes politiques occidentaux.

Depuis 100 ans, l’objectif officiel de la diplomatie américaine est d’éviter à tout prix un rapprochement entre l’économie, la technologie allemande et les matières premières russes. Il y a là trahison par le SPD de la politique de réconciliation, de paix , initiée par Willy Brandt, tout comme une irresponsabilité impardonnable de ne pas avoir fait respecter les accords signés de Minsk

DWN : Est-ce que les États-Unis ont atteint leurs objectifs de guerre ?
Oskar Lafontaine : Oui et non ! Les États-Unis ont magnifiquement réussi à séparer l’UE de la Russie, à mettre l’Allemagne hors-jeu comme rival économique, à dicter leur politique à l’UE et aux États européens. Ils ont aussi réussi à vendre leur saleté de gaz de schiste et à réaliser des affaires en or pour leurs industries d’armements.

Mais les États-Unis n’ont pas réussi à faire s’écrouler l’économie russe., à provoquer le départ de Poutine et à mettre en place un gouvernement fantoche, comme avec Eltsine, afin de mettre la main sur les matières premières russes. Les États-Unis sont tombés sur un bec de granit. Les États-Unis face à la force nucléaire russe hautement technologique sont impuissants, avec le simple envoi d’armements et de conseillers militaires. De plus, les sanctions sont contre-productives et reviennent comme un boomerang dans la face des États européens. Tout cela va conduire à la désindustrialisation, la pauvreté et au chômage. Les classes populaires et travailleuses en Europe vont payer la note des ambitions de l’Amérique et de la lâcheté des dirigeants européens.

DWN : A partir de maintenant, c’est donc la dégringolade ?
Oskar Lafontaine : Les États-Unis doivent renoncer à mettre la Russie à genoux avant leur prochain combat au corps à corps avec la Chine. C’est pourquoi une initiative franco-allemande s’impose !
Si l’on ne parvient pas rapidement à un nouvel accord avec la Russie pour les importations d’énergie et de matières premières, il faut alors s’attendre à un écroulement de l’économie européenne et à la montée en puissance des partis de droite.

Fin de l’interview d’Oskar Lafontaine par DWN

Mitterrand, à la veille de sa mort, avait pris conscience de cette révolte européenne à venir, de la guerre économique à mort que nous font continuellement les États-Unis

Oskar Lafontaine n’est pas sans nous rappeler les célèbres constatations et recommandations de Mitterrand avant sa mort : « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils ont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre méconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort ».

De Gaulle, Pompidou et Jacques Rueff, eux, en ont toujours été pleinement conscients, aussi bien dans la politique monétaire, économique, étrangère, linguistique que militaire.

La plupart des partis politiques allemands, à l’exception de la SPD, ont bien réalisé le coup de Jarnac de l’Amérique qui ne perd rien pour attendre

L’AfD demandait déjà la réouverture de Nord Stream avant le sabotage et les responsables de la CDU ne sont pas non plus des idiots sans mémoire. La réaction viendra. Seul le SPD a effectué un virage idéologique étrange en prenant le contre-pied de son mentor Willy Brandt car il voit aujourd’hui dans la Russie, une menace militaire.

La Russie s’est étonnée par contre de l’hypocrisie actuelle des élites allemandes en se demandant « pourquoi Berlin s’est si honteusement et lâchement abstenu d’enquêter sur le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, qui a coupé l’économie allemande du gaz russe bon marché ». Il se trouve pourtant qu’le SPD d’Olaf Scholz, lors de l’anniversaire du Comité de l’économie allemande pour l’Europe de l’Est, a déjà proposé à Moscou de reprendre la coopération économique lors de la fin de la guerre en Ukraine !

L’Allemagne, valet de l’Amérique, est un rival très jaloux de la France, mais n’est pas viscéralement, comme la Pologne, pro-américaine et anti-française.

L’Allemagne, après avoir mis en échec un grand nombre de projets militaires industriels franco-allemands, après avoir torpillé la politique nucléaire énergétique de la France, suite à son immense erreur de l’ « Energiewende », a montré cependant un peu de compréhension avec Paris sur trois dossiers récents .
Le très important projet d’armement aéronautique franco-allemand SCAF continue avec un nouveau contrat signé, Dassault étant le seul maître d’œuvre. L’Europe vient aussi de trouver un accord sur le plafonnement des prix du gaz à 180 euros par mégawattheure, alors que les Allemands n’en voulaient pas au départ. Il semble également que l’Allemagne et la France vont finalement réagir conjointement face au protectionnisme de Washington et à l’immonde IRA (Inflation Reduction Act)

Les dirigeants allemands dont Scholz, comme Macron et tous les Européens, ont sauté à pied joint dans le piège de « l’ami américain », mais la révolte viendra !

Les dirigeants européens ont accumulé les erreurs en matière énergétique, passant d’une soi -disant dépendance au fournisseur russe à une véritable dépendance américaine, qui est de plus catastrophique sur le plan écologique et coûte un prix exorbitant. Cela n’empêche pas les États-Unis d’acheter des millions de dollars de marchandises à la Russie et de mettre en place un protectionnisme économique qui menace de ruiner l’industrie européenne.

Ce sont l’obsession de la transition énergétique, alors que le réchauffement de la planète par l’homme est une sinistre plaisanterie non prouvée scientifiquement, ainsi que les sanctions économiques suicidaires contre la Russie, qui ont poussé les Européens dans la direction souhaitée et rêvée depuis longtemps par Washington !

Le réaliste et visionnaire Viktor Orban a pu déjà déclarer à ce sujet : « Le prix de la guerre entre la Russie et l’Ukraine n’est pas le même des deux côtés de l’Atlantique. Si nous voulons que l’industrie européenne survive, nous devons résoudre rapidement le problème de la crise énergétique européenne. Il est temps de revoir les sanctions. Toute nouvelle sanction sur le gaz ou l’énergie nucléaire russe aurait des conséquences tragiques »

Dans l’immédiat, en apparence, il n’y a pas de réaction publique de l’Allemagne et d’autres dirigeants européens, suite au sabotage du gazoduc Nord Stream par l’Amérique, mais cet acte ignoble, comme le coup de pied de l’âne, finira par ressortir un jour ou l’autre sur la place publique en Europe, avec des conséquences géopolitiques graves quant au protectorat économique et militaire de l’Amérique sur l’Allemagne, la France et l’Europe. Oskar Lafontaine aura été un courageux pionnier clairvoyant !

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