Née en 1957, sa petite-fille, dans une tribune publiée par le Guardian du 22 octobre, se dit ainsi « sous le choc » devant la performance exécutée par deux activistes du mouvement Just Stop Oil : ils venaient d'arroser un tableau de Vincent van Gogh de soupe à la tomate, à la très londonienne National Gallery. On a les émois qu’on peut, ce « choc » ayant été « nécessaire », à l’en croire : « Just Stop Oil a choqué le monde, mais nous devons prendre des mesures disruptives face à la crise climatique avant qu’il ne soit trop tard. »
Et Libération, arbitre des élégances progressistes, d’enfoncer le clou : « Aileen Getty a fièrement financé le Climate Emergency Fund, qui à son tour accorde des subventions aux activistes climatiques engagés dans la désobéissance civile et légale non violente, y compris Just Stop Oil. » C’est-à-dire que cette gosse de riches se fait pardonner à peu de frais une opulence issue des dividendes de l’entreprise pétrolière familiale en subventionnant des « activistes » antipétroliers. Autrefois, du temps où le Vatican régentait les consciences et où les puissants de ce monde payaient pour expier leurs péchés, réels ou putatifs, on appelait ça des « indulgences ». Rien ne semble avoir fondamentalement changé depuis.
On notera que le cas d’Aileen Getty n’est pas nouveau. Patricia Hearst, par exemple, l’une des cinq filles de William Randolph Hearst, magnat de la presse qui inspira le Citizen Kane (1941) d’Orson Welles, après avoir été enlevée en 1974 par l’Armée de libération symbionaise, mouvement américain d’extrême gauche, épousa un temps la cause de ses ravisseurs. Histoire de se faire pardonner d’être bien née ? En partie, tel qu’elle le confesse au magazine Playboy, en mars 1982 (Paroles de lapin, Éditions du sous-sol) : « C’était un acte conscient : je n’ai pas eu beaucoup à me forcer. […] L’argumentaire de l’ALS en faveur de ma conversion était que mes parents avaient été horribles, qu’ils étaient extrêmement décadents et que j’avais été libérée de cette épouvantable vie bourgeoise que je menais ; n’étais-je pas une petite veinarde d’avoir été choisie par eux ? »
Voilà qui rappelle le syndrome des « radicaux chics », si bien analysé par l’écrivain américain Tom Wolfe, à l’occasion d’un réjouissant reportage publié en juin 1970 dans le New York Magazine, quand le musicien Leonard Bernstein invitait le gratin des Black Panthers dans son duplex de treize pièces avec vue sur Central Park. Extraits : « Tout est pour le mieux. Les domestiques sont des Blanches […] des Sud-Américaines blanches. […] En fin de compte, tout est une question de domestiques. C’est là qu’est la pierre de touche du chic gauchiste. Il est bien évident, en effet, que si vous donnez une party pour les Black Panthers […] vous ne pouvez pas avoir un maître d’hôtel noir. […] C’est tout simplement inimaginable. C’est pourquoi la vogue actuelle du chic gauchiste a donné le signal de départ à une chasse éperdue au domestique blanc. »
Être à la fois riche et de gauche demeure un sacerdoce de chaque instant. Sans aller si loin, on se souviendra de l’immense écrivain Romain Gary. Parfois à juste titre fatigué des frasques révolutionnaires de son épouse Jean Seberg, actrice hollywoodienne elle aussi très en pointe dans la fraternisation avec le FLN algérien et les mêmes Black Panthers, Gary aimait à dire : « L’ironie est toujours une bonne garantie d’hygiène mentale. »
Pensait-il à tous ces Tartuffes et ces Tartuffettes ? Il n’est pas interdit de l’imaginer.
Nicolas Gauthier