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Impact du projet de loi sur l’immigration : des chiffres très sous-évalués

Impact du projet de loi sur l’immigration : des chiffres très sous-évalués

Par S. Quintinius ♦ Actuellement examiné au Sénat, le projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » devrait être débattu à l’Assemblée nationale à partir du mois de mars. Quelles en seront les répercussions en termes quantitatifs sur l’immigration et le marché du travail ? Le gouvernement a fait, dans l’étude d’impact réalisée pour l’occasion, quelques évaluations qui apparaissent singulièrement basses. En dépit des propos rassurants de membres du gouvernement, ce projet de loi devrait, s’il est adopté en l’état par le parlement, se traduire par encore plus d’immigration légale et clandestine.

L’étude d’impact du gouvernement

Depuis 2009, certains projets de loi doivent impérativement faire l’objet d’une étude d’impact. Il s’agit, selon le législateur, de définir les objectifs poursuivis et d’exposer les motifs du recours à une nouvelle législation (1). Dans ce cadre, le gouvernement a rendu public le 31 janvier 2023 une étude d’impact relative au projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » (2). Le document de 370 pages contient notamment des prévisions quantitatives et des indicateurs qui doivent permettre d’en connaître l’efficacité.

Nous nous attarderons plus particulièrement dans le présent article sur deux mesures susceptibles d’avoir un impact sur l’immigration légale et clandestine et le marché du travail :

  • l’accélération de l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ressortissant de pays bénéficiant d’un taux de protection internationale élevé ;
  • la création d’une carte de séjour temporaire portant la mention « travail dans des métiers en tension ».

Accélérer l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile

La mesure – « Instaurer un dispositif dérogatoire d’accès au marché du travail sans délai des demandeurs d’asile dont il est le plus probable, au regard de leur nationalité, qu’ils obtiendront une protection internationale en France. » Pour mémoire, les demandeurs d’asile peuvent actuellement être autorisés à travailler passé un délai de 6 mois si l’OFPRA n’a pas encore statué sur leur demande.

L’évaluation quantitative du gouvernement – « Dans le contexte actuel, pour un taux de protection minimal de 50 %, cela concernerait principalement les nationalités suivantes : Afghanistan, Érythrée, Syrie, soit, pour ces trois nationalités, en 2021, 12 713 primo-demandeurs majeurs. »

Commentaires – L’évaluation faite par le gouvernement apparaît particulièrement basse pour plusieurs raisons :

  • elle ne retient pas certaines nationalités – guinéenne, ivoirienne – ayant un fort taux d’octroi de protection et donc susceptibles de bénéficier de cette mesure (3) ;
  • l’évaluation a été réalisée à partir des chiffres de l’asile en 2021. Son actualisation avec les données de l’année 2022 n’est, à périmètre constant, pas possible. Le ministère de l’Intérieur n’a en effet pas communiqué le nombre de demandes d’asile déposées l’année dernière par des Érythréens et des Syriens dans les chiffres clés de l’immigration parus en début d’année (4). Néanmoins, depuis la réalisation de cette évaluation, des tendances lourdes peuvent être constatées ;
  • le nombre de demandes d’asile déposées auprès des autorités françaises ne fait globalement qu’augmenter. Alors qu’il s’élevait chaque mois en début d’année 2022 autour de 11 000, il était mensuellement proche de 15 000 en fin d’année (156 455 au total en 2022) selon les chiffres communiqués à Eurostat (5) ;
  • le nombre de demandes d’asile déposées auprès des autorités françaises plus particulièrement par des Afghans en 2022 (22 570) a été en progression de 40 % par rapport à 2021. Nous sommes déjà loin de l’estimation de 12 713 bénéficiaires.

La mesure prévue par le gouvernement a non seulement de fortes chances de contribuer à augmenter considérablement le nombre de demandeurs d’asile autorisés à travailler dès le dépôt de leur demande en France. Elle pourrait également contribuer à augmenter le nombre des demandes d’asile déposées dans notre pays, qui auraient auparavant été déposées dans un autre pays européen. L’accès au marché du travail de certaines catégories de demandeurs d’asile sera en effet immédiat en France alors qu’il est différé dans d’autres pays européens. L’Allemagne, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie permettent en effet aux demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail, mais après un délai plus ou moins long (de 2 à 9 mois) à partir du dépôt de la demande d’asile (5).

Pour ces différentes raisons, l’évaluation par le gouvernement français du nombre de demandeurs d’asile susceptibles d’être concernés par l’accès au marché du travail dès le dépôt de leur demande apparaît fortement minorée.

Créer une carte de séjour temporaire portant la mention « travail dans des métiers en tension »

La mesure – Elle vise à « compléter le dispositif d’admission exceptionnelle au séjour en ouvrant une voie d’accès au séjour à la seule initiative des ressortissants étrangers présents irrégulièrement sur le territoire national » et justifiant d’une activité professionnelle de 8 mois dans un métier et une zone géographique en tension, et de 3 ans de présence sur le territoire français.

L’évaluation quantitative du gouvernement – L’étude d’impact ne contient pas d’évaluation quantitative de cette mesure. Le ministre du Travail a indiqué en novembre 2022 que « quelques dizaines de milliers de personnes » seraient concernées (6).

Commentaires – Il est important de préciser que cette disposition du projet de loi s’ajoute aux possibilités déjà existantes de régularisation par le travail. De plus, elle ne consiste pas en une opération ponctuelle de régularisation, mais en une mesure pérenne, qui rendra possible des régularisations « au fil de l’eau ».

Le gouvernement indique dans l’étude d’impact que « la création de la carte de séjour “travail dans des métiers en tension” pourra améliorer l’emploi dans les métiers en tension et diminuer l’emploi irrégulier dans ces secteurs ». Le ministre du Travail ne précise pas s’il a fait son évaluation de « quelques dizaines de milliers » de salariés potentiellement régularisés uniquement sur un panel de salariés actuellement en poste mais également sur des salariés susceptibles de pourvoir un emploi en tension en vue de leur régularisation. Sans doute pour calmer l’opposition de droite, il laisse entendre qu’un plafonnement du nombre de régularisations pourrait être mis en place.

Le risque est grand que l’exercice pendant une durée plus ou moins longue d’un métier en tension soit pour de nombreux étrangers en situation irrégulière, encore plus que par le passé, un sas transitoire vers la régularisation, entraînant de fait un appel d’air considérable, sans compter la prime à l’illégalité (séjour irrégulier, travail dissimulé) que cette mesure constitue.

Les expériences passées ont montré que les différentes vagues de régularisation n’ont aucunement résolu les « tensions » sur le marché du travail, qui ont comme causes principales le niveau des prestations sociales, le manque de formation, les bas niveaux de rémunération et les conditions de travail difficiles.

À l’heure où les différentes formes d’immigration légales et clandestines sont en forte hausse, le gouvernement s’apprête, en facilitant la régularisation de clandestins, à donner un très mauvais signal. Comme l’O.I.D. le soulignait récemment, la proclamation d’un message politique de fermeté tend à faire diminuer les flux illégaux (7). La France est sur le point de prendre le chemin inverse.

S. Quintinius 20/02/2023

(1) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020521873
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/etudes-d-impact-des-lois/ei_art_39_2023/ei_-iomv2236472l_cm_1.02.2023.pdf
(3) https://www.lacimade.org/asile-en-france-premier-bilan-2021/
(4) https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Actualites/L-actu-immigration/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023
(5) https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/tps00189/default/table?lang=fr
(6) https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-la-liste-des-metiers-en-tension-sera-revisee-debut-2023-indique-olivier-dussopt_5455300.html
(7) https://observatoire-immigration.fr/limmigration-illegale-en-france/#post-692-footnote-20

https://www.polemia.com/impact-du-projet-de-loi-sur-limmigration-des-chiffres-tres-sous-evalues/

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