À la porte des commerce, il reste parfois l’épave d’un distributeur de gel hydroalcoolique, qui fait doucement rigoler (jaune). Et dire qu’il y a quelques mois, on nous bassinait avec l’hygiène ; le vigile nous renvoyait comme des enfants punis si, d’aventure, nous n’avions pas frotté nos mains avant de rentrer.
Mais le plus désolant, ce sont les touristes étrangers. Le soir, ils ont droit au son et lumière des Black Blocs, en journée, en fait de musée, à une exposition à ciel ouvert d’ordures ménagères. Un couple d’Américains tient bien serré un mouchoir sur le nez, avec peut-être de l’eau de Cologne, et les Asiatiques gardent leur masque vissé plus haut que jamais. Une Allemande prend des photos du désastre. Elle pourra dire qu’elle y était. Mon regard croise celui d’une passante d’âge mûr, de je ne sais quelle nationalité. Je voudrais lui dire que j’ai honte. Que la France, ce n’est pas ça, n’est-ce pas ! Qu’il faut qu’elle revienne à un autre moment. Quand on aura eu le temps de remettre un peu d’ordre dans les jolies façades du village Potemkine. Nous savons bien, nous autres Français, que notre pays est une ruine, mais comme les familles déclassées, nous voudrions donner le change et garder le secret.
Car on peut y voir une allégorie, cruelle mais fidèle, de ce qu’est devenue Paris, aux mains d’une gauche dite progressiste, mais en fait régressiste : sous l’action combinée structurelle d'Anne Hidalgo et conjoncturelle d’Emmanuel Macron, c’est le retour en fanfare d’un Paris insalubre d’avant le baron Haussmann. Jusqu’aux rues sombres - économie oblige.
On dit qu’en décrivant la mort atroce et solitaire de Nana - défigurée par la variole : « Vénus se décomposait […] ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri. » -, Zola avait voulu représenter la chute du Second Empire, avec les prémices de la guerre franco-prussienne.
Les éboueurs en grève ne sont pas des écrivains, mais dans leurs œuvres, le résultat est parfois le même.
Gabrielle Cluzel
https://www.bvoltaire.fr/edito-a-t-on-vu-plus-belle-allegorie-que-ces-poubelles/