Le démon a ses gorgones et les caresse. Dans la plus infâme laideur !
Dans une précédente chronique nous avons eu l’occasion de le dire : le désastre, au plus juste du mot, signifie la perte de l’étoile. Perdre l’étoile, c’est perdre la lumière, c’est perdre le guide de la pensée et de l’action ordonnées au bien, au beau, au vrai, au juste ; c’est se mouvoir à l’aveugle dans le noir des ténèbres et rien que lui. Au mieux, c’est marcher à la lunette infrarouge non pour éviter les obstacles mais pour s’aider à les franchir et ne point tomber en les franchissant. Mais c’est toujours marcher dans le noir. Dans le noir des idées, dans le noir de la conscience ; dans celui de la haine et celui de la révolte. Permanente révolte. Car le propre du désastre est de ne point sortir de la caverne de Platon et de se figurer qu’au-delà de l’apparence il y a encore de l’apparence. Alors, puisque le ciel des idées claires n’est qu’une affaire bourgeoise contre laquelle il faut produire des utopies révolutionnaires, la mouvance de l’ultra gauche s’enfonce dans les abîmes du très obscur matérialisme athée.
L’ultra gauche n’aime pas l’appellation qui lui colle à la peau depuis l’affaire de Tarnac (ruptures des caténaires des lignes TGV), en 2008.
Elle lui préfère celle de révolutionnaire et celle de communiste, mais d’un communisme placé à la gauche du communisme, un communisme non institutionnalisé qui rejette tout parlementarisme. Un communisme conseilliste, c’est-à-dire non étatique et qui relèverait des conseils ouvriers tels que la Russie les a pratiqués en 1905 et 1917 et tels que l’Allemagne les a pratiqués à son tour dès les années 20. Au fond, Lénine, figure tutélaire de la mouvance, est critiqué pour la pratique étatiste et dictatoriale qu’il a développée au cours de la révolution bolchevique mais pas pour sa pensée politique.
A l’origine de la mouvance, il y a François Noël Babeuf (1760-1797), dit Gracchus, en référence à de lointaines tentatives réformistes des frères Gracchus sous la Rome consulaire.
Babeuf s’affranchit vite des promesses de son prénom et de son baptême catholique. Dès le début de l’emphase révolutionnaire, il tient la plume dans quelques journaux sans grande destinée politique jusqu’à produire le sien pour y lâcher toutes les récriminations que lui suggère la condition paysanne et ouvrière de son temps. Il gravit ainsi sa montagne et deviendra le soutien des Montagnards contre les Girondins se faisant alors l’instigateur d’un « égalitarisme parfait ». Très tumultueux, il fera connaissance à plusieurs reprises avec les geôles thermidoriennes et celles du Directoire, fera de Robespierre un ennemi qu’il jugera à raison « populicide » et soutiendra un communisme dit pacifique, non violent, hostile à tous champs politiques institutionnels car très critique sur le principe même de la représentation politique. « L’égalité parfaite » et « le bonheur commun » de Babeuf ne feront pas le sien qui s’achèvera rapidement sous le couperet de la guillotine, la Révolution se retournant sans états d’âme contre ses zélateurs.
Puis Marx et Engels, imprégnés de « babouvisme », nourrissent bien sûr la pensée de la mouvance. Lénine également, avec les réserves mentionnées plus haut, ou encore Trotski mais aussi et surtout la germano-polonaise Rosa Luxemburg (1871-1919).
Toutes ces sinistres figures servent encore de matrice historique à ce courant de pensée arc-bouté sur les idéaux sombres de l’internationale ouvrière révolutionnaire.
Cette pensée est redoutable par son efficacité à retourner les esprits les plus faibles et les moins cultivés, à les conduire sur le chemin de la lutte permanente sans autre horizon que la lutte elle-même. Elle a néanmoins séduit des « intellectuels de gauche » dans les années d’après-guerre (Cornelius Castoriadis et Claude Lefort). Elle s’est nourrie de leur revue politique « socialisme et barbarie » (1949-1965) ainsi que de « l’internationale situationniste » de Guy Debord qui voulut en finir avec la marchandisation de tout ou la dictature de la marchandise et qui devint l’un des moteurs de la révolution de 68. Elle s’est par ailleurs imprégnée du mouvement « autonome », d’origine italienne, qui revendique une pensée libertaire radicale avec, à la clé, un projet de changement radical de société. Projet collectif et même projet individuel de changement de vie, et projet de développement de nouvelles thématiques plus ou moins éloignées du logiciel communiste tutélaire : féminisme, écologisme (et maintenant transition écologique), droits des minorités ethniques ou sexuelles, question animale, etc…
Cet anarchisme de la pensée libertaire se manifeste en toute circonstance mais plus particulièrement à l’occasion des réformes sociales gouvernementales telles que le CIP (gouvernement Balladur, 1993-1994), le CPE (gouvernement Villepin, 2005) ou la réforme actuelle des retraites (2023) ; à l’occasion aussi du soutien des « sans-papiers », des « squats », des « migrants », des « LGBT » ou des projets soutenus par l’Etat, destinés à l’agriculture, tels que le barrage de Sivens (2014-2015) ou, aujourd’hui, celui des « méga-bassines » dans le département des Deux Sèvres (2023)…
A chaque fois les gouvernements ont reculé devant la pression de la mouvance car elle est formidablement relayée par les médias toujours plus acquis à sa cause (Médiapart, en particulier).
Il n’est plus une rédaction pour oser une critique intellectuelle rigoureuse du tentacule ultra gauchiste car l’effectif rédactionnel est issu de la mouvance.
L’ultra gauche, aujourd’hui, se décline en une multitude de formations qui ne cessent de s’ajouter ou de se succéder depuis les années 74-77. Elle est protéiforme et poly-active : elle compte, entre autre, les autonomes (marges, enragés, camarades, fossoyeurs du vieux monde, prolétaires pour le communisme, mouvement Zadiste), les antifas, les anti-industriels (Encyclopédie des Nuisances), Les mobilisations altermondialistes, le mouvement « des sans », le Nouveau parti anticapitaliste (Besancenot), les black blocs, Révolution permanente…
Toutes ces formations ont en commun les sources tutélaires révolutionnaires citées plus haut et dégagent toutes la même noirceur idéologique. Les figures qui animent la mouvance sont aussi paradoxales qu’éloquentes : Anasse Kazib, Edwy Plenel, Geoffroy de Lagasnerie, Assa Traoré, Olivier Besancenot, Basile Dutertre, et tant d’autres visages masqués, casqués ou encapuchonnés, dont la seule raison d’être est la lutte pour des causes subverties, lugubres et mortifères. Le démon a ses gorgones et les caresse. Dans la plus infâme laideur !
Gilles Colroy