Les mots sont importants car il s’agit en réalité dans ce rapport d’étudier les raisons pour lesquelles le manque d’indépendance en matière d’énergie a des conséquences sur la souveraineté de la France. Que le lecteur veuille bien me pardonner cette longue digression, mais l’emploi « à toutes les sauces » du mot souveraineté vise à en atténuer la portée et le sens. Il est regrettable que les rédacteurs de ce rapport aient voulu continuer à utiliser ce terme de « souveraineté énergétique » à contre-emploi, alors que le terme « autonomie » semble beaucoup plus adapté.
Un contexte sous influence
On ne peut que déplorer qu’un sujet de cette importance soit en partie tributaire de choix imposés par ce qui tient plus du dogme religieux que d’une réalité démontrée par le cheminement qui permet de passer de la simple hypothèse à l’ébauche d’une théorie, laquelle devrait être ensuite crédibilisée par une expérience dite « cruciale ».
Personne ne peut aujourd’hui affirmer que les variations climatiques, qui sont une constante de l’histoire du globe, trouvent leur cause unique dans l’activité humaine. Cette hypothèse, bien que non vérifiée a trouvé, de par la loi, une existence légale qui rend nécessaire sa prise en compte et influence nécessairement les termes et les conclusions de ce rapport. Il est également regrettable que les allusions et les rappels concernant la soi-disant intégration européenne et notamment l’épisode concernant la CECA, dans lequel on connaît aujourd’hui le rôle prépondérant joué par les USA dans ce projet auquel de Gaulle, ardent défenseur de la souveraineté nationale, s’était opposé avec succès.
Malgré cela, la qualité de ce rapport et le sérieux avec lequel il a été élaboré méritent d’être soulignés.
Une production d’énergie rendue insuffisante
Le rapport met en lumière la suite des décisions contestables, pour ne pas dire absurdes, prises au cours des trente dernières années, qui, pour des motifs souvent idéologiques, ont conduit au désastre actuel. (page 14 et suivantes).
L’origine de la débâcle nucléaire
Le rédacteur pointe notamment comment la décision d’arrêt du programme « Superphénix » a détruit la cohérence du programme nucléaire français, dans lequel il était prévu dès le départ de passer de la fission « lente » à la fission « rapide » par l’emploi de ce qu’il est souvent appelé des « déchets » ou des « résidus » comme combustibles fissiles de cette dernière génération. Aujourd’hui, ces combustibles qui auraient pu apporter une autonomie de plusieurs siècles, sont effectivement réduits à l’état de déchets difficiles et dangereux à stocker pour de très longues durées. Il devenait évident, et peut-être était-ce le but recherché, que ce danger latent risquait de compromettre toute la filière en raison d’une absence de solution sur le très long terme. La décision de mettre un terme au programme Astrid en 2019 montre que les pouvoirs publics n’avaient jamais remis en question cette approche qui, visiblement, les avait muré dans leur certitude.
Autre erreur : l’alignement sur la politique énergétique allemande
Le programme des « réacteurs à eau pressurisée » (EPR) était un projet franco-allemand. Au début des années 2000, le Chancelier Schröder décide de l’arrêt du nucléaire pour se concilier les voix des écologistes, puissants en Allemagne. Il s’en suivit d’énormes difficultés pour les Français de mener à bien ce projet, au prix de coûts énormes. Ces réacteurs ne sont toujours pas opérationnels dans notre pays.
Mais l’influence allemande ne s’arrêta pas là. Engagée très tôt dans une voie qui privilégiait, pour des raisons idéologiques, la production d’énergie dite « renouvelable », cette antériorité allait lui donner un avantage en matière de norme et de réglementation qui allait lui permettre de garder un avantage en décidant de ce qui serait acceptable ou non. Cela a permis aux Allemands de nous imposer un certain nombre de choix.
Une anticipation désastreuse sur la réduction non compensée de la production
Durant la décennie 2010 – 2020, les décisions ont tardé à être prises en France, malgré le calendrier rigide de la loi sur la transition énergétique de 2015. Anticipant sur une baisse de la consommation globale, le gouvernement s’est contenté de réduire les moyens de production, notamment en origine thermique (charbon et pétrole) de l’ordre de 10 GW de puissance nominale, soit de l’ordre de 50 TWH en quantité produite.
Anticipant sur la diminution prévue de la part du nucléaire, les investissements dans ce domaine ont été réduits au strict minimum. Entre 2012 et 2016, à des degrés divers, Emmanuel Macron a été en charge de ce dossier. Le rapport fait état d’une certaine « opacité » dans le processus de prise de décision et c’est le même qui, élu président, est resté dans la stricte continuité de cette politique, actant dès 2019 la fermeture de la centrale de Fessenheim.
La programmation énergétique de 2019 a encore aggravé les choses en prévoyant, en corrélation avec une baisse de la consommation d’énergie, la fermeture de 14 réacteurs nucléaires entre 2020 et 2028.
Toutes ces mesures allaient rendre indispensable une baisse proportionnée de la consommation d’énergie, puisqu’aucune augmentation ne venait équilibrer cette baisse planifiée des moyens de production.
La responsabilité indéniable des gouvernements successifs
Avant même que le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre de la transition économique Elisabeth Borne ne signent l’arrêt de Fessenheim, il apparaissait déjà clairement dans les chiffres que la consommation d’énergie prévue en baisse augmentait en réalité.
Malgré ce fait, aucune remise en question n’eut lieu. De même l’abandon dogmatique du programme ASTRID dont l’auteur du rapport cherche encore ce qui a pu le justifier, si ce n’est une volonté de mettre le pays sur la voie du déclin.
Hormis une déclaration de principe du président candidat en février 2022 annonçant un plan de relance nucléaire, aucune décision n’a, à ce jour, été rendue effective. Aucune affectation budgétaire n’a été communiquée.
Réhabiliter la compétence scientifique
C’est une des recommandations du rapport. Les 150 heures d’audition ont permis aux rapporteurs de constater et de s’interroger sur « l’énorme décorrélation entre les politiques et les scientifiques ». Cela conduit inévitablement à une politique totalement dépourvue de la prise en compte des réalités, le temps politique étant essentiellement le temps de la « communication » alors qu’un programme énergétique doit être basé sur un temps « industriel » beaucoup plus long. Ce procès en « non compétence » des membres de l’exécutif est malheureusement amplifié par un fonctionnement administratif des cabinets ministériels, dans lesquels les conseillers « techniques » sont souvent des conseillers en communication du ministre. Au delà de l’aspect purement énergétique, ce mode de fonctionnement semble se reproduire dans les autres domaines. Beaucoup de décisions sont prises en s’appuyant sur un « consensus scientifique » non réellement explicité et qui sert de bouclier au cas où la décision se révélerait inappropriée.
Corrélativement, les rapporteurs ont également constaté la déconsidération générale pour la science et les scientifiques, dont le rôle semble relégué à des tâches subsidiaires.
Afin de remédier à ce qui précède, les rapporteurs préconisent de « créer une responsabilité personnelle pour les ministres qui ne réunissent pas les organes de conseil scientifique collégiaux créés par la loi ».
Surplombant les choix en matière énergétique, un choix de société
C’est un peu la conclusion de ce rapport. L’énergie est à la base même des révolutions industrielles et de l’incontestable progrès social. Vouloir orienter la production d’énergie sans prendre en compte l’aspect social des conséquences est un non-sens. L’ensemble de notre société occidentale s’est édifiée sur une croissance ininterrompue de l’économie. Celle-ci nécessite une quantité d’énergie importante et à bon marché.
La raréfier ou en augmenter le prix ne peut conduire qu’à une économie de décroissance.
Immanquablement, ceci aura des conséquences sur les formidables outils de solidarité.
S’engager sans réflexion préalable dans ce domaine, uniquement guidé par le dogme religieux de la préservation à tout prix de la planète, fut-ce au détriment de l’Humanité, peut ouvrir la porte à des troubles sociaux dont personne aujourd’hui ne peut mesurer l’ampleur.
Jean Goychman
Crédit photo : François Goglins/Wikipedia (cc)
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