Évidemment, on peut se poser, avec un étonnement feint, la question du pourquoi. Ça, alors ! Les gendarmes et les flics sont déçus par leur métier ! Mais pourquoi donc ? Les grilles indiciaires ont pourtant été revalorisées, avec force argent magique. On a sans doute cru, en haut lieu, qu'un peu d'argent suffirait à calmer la grogne. C'est le problème, voyez-vous, quand on confie le destin de son pays à des ambitieux sans âme, qui sont là pour se remplir les poches : ils ont tendance à croire que tout le monde est comme eux et qu'avec trente deniers, on achète n'importe qui. Il semble que le malaise des forces de l'ordre soit bien plus profond : beaucoup des démissionnaires dénoncent un décalage entre leur idéal et la réalité du métier. C'est le propre du passage à l'âge adulte, pourrait-on dire avec un brin de cynisme. C'est surtout le propre des métiers que l'on choisit par passion et, vous le croirez si vous voulez, flic ou gendarme, contrairement à coach en bonheur ou manager d'open space, est de ces métiers dont on rêve quand on est petit.
Et le réel, alors, il ressemble à quoi ? Pas de moyens, pas de considération, pas de concrétisation des arrestations, des remises en liberté pour des agresseurs sauvages qui se moquent de vous le lendemain matin, des horaires pénibles, la peur au ventre quand on rentre chez soi, les représentants du peuple qui vous traitent d'assassin, des juges gauchistes qui démolissent ce que vous faites : la vie d'un policier ou d'un gendarme n'est pas amusante. C'est ce que l'on appelle un métier de sacrifice. Et des sacrifices comme ceux-là, peu de gens veulent les faire.
Quand les policiers ou les gendarmes ne démissionnent pas, c'est parfois pour se suicider. Aucune profession ne connaît ces sinistres taux, et la détention d'une arme de service n'est pas seule en cause. Alors que la France s'apprête à accueillir, en 2024, les Jeux olympiques et la Coupe du monde de rugby, le ministère de l'Intérieur peine à recruter. Et, si ce n'est guère surprenant, comme on l'a dit, ce n'en est pas moins alarmant.
À la différence des professeurs, les flics n'ont pas renoncé à faire leur métier. On peut penser ce que l'on veut des éborgneurs de gilets jaunes, de certains nervis de la BRAV-M ou de ceux qui, à la nuit tombée, avec un extraordinaire courage, contrôlent systématiquement les passants bien élevés des beaux quartiers. On peut détester le côté procédurier et légaliste du poseur de radars, on peut fustiger ce corps d'État éminemment politique et parfois suspect de collaboration avec un pouvoir méprisable. Tout cela est vrai, mais il n'empêche : les forces de l'ordre méritent le respect des gens ordinaires. Les policiers, les gendarmes, sont des gens ordinaires. Et comme si cela ne suffisait pas à leur malheur, on ne cesse de leur dire que tout le monde les déteste.
Quand on donnera aux serviteurs de l'État - les vrais, pas les fonctionnaires territoriaux ou les inspecteurs des impôts - de la considération et de l'empathie au lieu de billets de Monopoly™ et d'insultes à peine voilées, on recrutera. En attendant, force et courage à ceux qui restent.
Arnaud Florac
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