Vue de coupe du sous-marin nucléaire USS Ohio (cliquez pour agrandir). Ce type d'armement constitue l'épine dorsale de la stratégie actuelle des thalassocraties, comme nous l'expliquent Philippe Masson et Ange Sampieru.
1) les sous-marins nucléaires lance-engins (SNLE), instruments très fiables dans le cadre d'une politique de dissuasion ; ils sont armés de missiles balistiques (entre 16 et 24) dont la portée a été régulièrement augmentée depuis les années 60… En 1960, les missiles américains Polaris avaient une portée de 1.500 miles nautiques ; les futurs Trident IID5 auront, eux, une portée de 6000 miles nautiques ! L'Union Soviétique possède les missiles SS N8 d'une portée de 4.500 miles nautiques, les nouveaux SS-20 étant en cours d'élaboration. Quant aux cinq SNLE français, ils sont armés de missiles M20 (portée : 3.000 km), en attendant la nouvelle génération des M4 ayant une portée de 4.000 km.
Ajoutons à ces performances de longue portée et de vitesse, celle de la précision. Le “cercle d'erreur probable”, autrement dit la dispersion des engins, varie de 1.200 mètres pour les anciens missiles américains Poséidon à 500 mètres pour les Tridents 14. Tous ces missiles sont d'autre part améliorés dans le sens d'une multiplication des ogives portées et d'une réduction de leur puissance. Les missiles américains possèdent de 8 à 14 têtes de 50 à 100 kilotonnes qui, de surcroît, sont “marvées”. C'est-à-dire qu'ils assument eux-mêmes leur trajectoire, de façon à éviter les risques d'interception et à faciliter la pénétration. La flotte soviétique est demeurée, quant à elle, au stade des missiles dits “mirvés”, c'est-à-dire non guidés et lancés en grappe. Les nouveaux SS-N-20 seront sans aucun doute “marvés” et prêts à recevoir de 7 à 9 têtes marvées.
2) La seconde catégorie de sous-marins est celle des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA). D'un tonnage moins important que les SNLE, ils peuvent atteindre 40 nœuds en plongée et 450 m d'immersion. Leur armement est à la fois très sophistiqué et très varié. À la base, une panoplie de torpilles filo-guidées ou auto-guidées, ainsi que des missiles aérodynamiques (type Subharpoon ou SM39, dérivé de l'Exocet français). La mission des SNA est plutôt d'ordre stratégique, de “mission stratégique”. Repérer, pister et éventuellement détruire les SNLE adverses. D'où la constante amélioration en matière de silence et de discrétion des SNLE pour échapper aux recherches des SNA. Leur deuxième mission est l'attaque des forces de surface. Durant le conflit des Malouines, le SNA Conqueror a torpillé le bâtiment de surface argentin “General Belgrano”, prouvant ainsi le danger de ce type de submersible mais aussi le caractère indispensable, dans une flotte moderne, de posséder des moyens réels et efficaces de lutte anti sous-marine. Le SNA est en outre armé de missiles qu'il peut lancer en immersion, à des distances variant entre 30 et 300 miles nautiques. Une troisième mission est celle, plus classique, d'action contre les lignes de communication. Le SNA peut aussi assurer, mission nouvelle, l'attaque contre des objectifs continentaux, soit situés sur le littoral soit franchement à l'intérieur des terres.
Face à cette diversification des tâches confiées à l'arme navale, l'Europe semble ne pas avoir répondu. Si, en 1939, ses flottes de guerre représentaient la majorité en terme de tonnage (60%), en 1980, elle n'est plus que de 15% ! Les marines européennes, en dépit de capacités technologiques et industrielles élevées, ne peuvent plus répondre à l'éventail des missions exigées, à l'éventail des menaces potentielles ni même au maintien d'ensembles homogènes. Le cas le plus frappant est celui des pays nordiques, notamment en ce qui concerne un éventuel affrontement en Mer Baltique. Face aux forces du Pacte de Varsovie, en général bien adaptées aux conditions hydrographiques locales, les forces navales des pays riverains (RFA, Norvège, Danemark, …), englobés dans le système de défense occidental, ne pourraient pas aligner des qualités au moins égales aux forces qui leur font face.
La stratégie navale soviétique
Une évolution remarquable est celle de l'Union Soviétique. À l'origine puissance continentale, elle est devenue aujourd'hui une véritable puissance navale. D'où une politique efficace où la géostratégie joue un rôle majeur. Les mutations technologiques ont été intégrées par ailleurs dans une politique mondiale où l'engagement naval tient une place prépondérante. Cette œuvre historique est, en partie, le résultat des efforts de l'Amiral Gortchkov qui a quitté son poste en 1986. La mission actuelle de la marine soviétique apparaît double. En période de paix, « elle constitue la projection de la puissance de l'URSS au-delà des mers » (p. 310), autrement dit, elle assure la présence physique de la volonté politique soviétique sur les cinq continents (visites amicales, surveillance des “points chauds”, etc.). Elle constitue aussi un vecteur de la propagande et de l'action révolutionnaires dans le monde. Comme le déclarait l'Amiral Gortchkov lui-même : « La marine soviétique marque et neutralise les forces navales américaines et facilite les processus révolutionnaires en Occident ». Par là même, l'arme navale retrouve sa place dans une vision clausewitzienne de la politique extérieure d'un État. En outre, elle s'inscrit dans une approche traditionnelle des relations entre les forces armées et le pouvoir politique. La célèbre dichotomie proposée par le stratège allemand entre finalité politique et objectif militaire stratégique est implicitement restaurée dans la doctrine militaire de l'armée et de la marine soviétiques. Cette mission de présence et d'action “subversive” (nous préférons écrire “politique”) est réservée à la flotte de surface, en liaison avec des navires “civils” soviétiques (flottilles de pêche, navires océanographiques, etc.) dont les missions complètent celle de la première (surveillance, observation, etc.). En temps de guerre, la mission de la marine soviétique est plus “traditionnelle”. Elle assure la défense des approches maritimes de l'URSS, mais surtout participe directement aux actions de destruction du “potentiel militaro-économique” de l'adversaire. Pour le chef de la marine soviétique, il s'agit là de l'objectif majeur de son arme. Le but est moins le contrôle de la mer en soi que la participation à la guerre contre la terre adverse. La marine, ici, ne joue pas un rôle préventif mais préemptif, c'est-à-dire qu'elle devance une action d'offensive générale contre l'ennemi. Dans ce cas, elle a pour objectif la destruction des forces navales ennemies, autrement appelée dans le langage soviétique “bataille de la première salve”, suivie d'opérations de plus grande ampleur contre les territoires ennemis en liaison étroite avec les forces de terre et de l'air. Les SNA soviétiques pourraient ainsi détruire le potentiel industriel ennemi situé en bordure du littoral au moyen de missiles aérodynamiques.
Nous nous devons donc de signaler la double nature de l'Union Soviétique en tant que grande puissance mondiale: elle est à la fois continentale et maritime. En dépit de certaines erreurs d'appréciation (comme la prétendue supériorité des transports terrestres sur les transports maritimes), le géopoliticien britannique Mackinder a trouvé, a posteriori, dans le jeu mondial de l'URSS, une éclatante confirmation de ses théories. L'Union Soviétique est bien en effet le Heartland identifié par le théoricien Mackinder. Sa politique extérieure consiste bien en une destruction ou un affaiblissement réguliers des “croissants extérieurs”, des cordons surpeuplés et sur-industrialisés, qui, par leur puissance économique et l'attraction qu'ils exercent, pourraient menacer à terme la sécurité et l'expansion de l'URSS. L'exportation de la révolution communiste comme soutien à l'objectif géopolitique jette un éclairage nouveau sur l'histoire des quarante dernières années, rejetant comme superficiel et schématique les analyses des anti-communistes professionnels.
Cette mission de présence et d'action “subversive” (nous préférons écrire “politique”) est réservée à la flotte de surface, en liaison avec des navires “civils” soviétiques (flottilles de pêche, navires océanographiques, etc.) dont les missions complètent celle de la première (surveillance, observation, etc.). En temps de guerre, la mission de la marine soviétique est plus “traditionnelle”. Elle assure la défense des approches maritimes de l'URSS, mais surtout participe directement aux actions de destruction du “potentiel militaro-économique” de l'adversaire. Pour le chef de la marine soviétique, il s'agit là de l'objectif majeur de son arme. Le but est moins le contrôle de la mer en soi que la participation à la guerre contre la terre adverse. La marine, ici, ne joue pas un rôle préventif mais préemptif, c'est-à-dire qu'elle devance une action d'offensive générale contre l'ennemi. Dans ce cas, elle a pour objectif la destruction des forces navales ennemies, autrement appelée dans le langage soviétique “bataille de la première salve”, suivie d'opérations de plus grande ampleur contre les territoires ennemis en liaison étroite avec les forces de terre et de l'air. Les SNA soviétiques pourraient ainsi détruire le potentiel industriel ennemi situé en bordure du littoral au moyen de missiles aérodynamiques.
Nous nous devons donc de signaler la double nature de l'Union Soviétique en tant que grande puissance mondiale: elle est à la fois continentale et maritime. En dépit de certaines erreurs d'appréciation (comme la prétendue supériorité des transports terrestres sur les transports maritimes), le géopoliticien britannique Mackinder a trouvé, a posteriori, dans le jeu mondial de l'URSS, une éclatante confirmation de ses théories. L'Union Soviétique est bien en effet le Heartland identifié par le théoricien Mackinder. Sa politique extérieure consiste bien en une destruction ou un affaiblissement réguliers des “croissants extérieurs”, des cordons surpeuplés et sur-industrialisés, qui, par leur puissance économique et l'attraction qu'ils exercent, pourraient menacer à terme la sécurité et l'expansion de l'URSS. L'exportation de la révolution communiste comme soutien à l'objectif géopolitique jette un éclairage nouveau sur l'histoire des quarante dernières années, rejetant comme superficiel et schématique les analyses des anti-communistes professionnels.
En conclusion
[Ci-contre : Soldats américains fraîchement débarqués à la Grenade en 1983. La maîtrise des îles est une nécessité impérieuse pour tous les États qui tirent leur puissance de la mer. Les États-Unis ne pouvaient tolérer la moindre mainmise d'une puissance hostile sur une île stratégiquement importante, située dans leur arrière-cour, la Mer des Caraïbes, « Méditerranée américaine »]
Philippe Masson, en près de 350 pages, où les annexes assurent une fonction importante dans l'analyse des stratégies maritimes (notamment les cartes), nous démontre que, loin de disparaître, les marines tendent à jouer un rôle croissant dans la politique extérieure des États. Par l'intégration intelligente des progrès technologiques, les forces navales conjuguent une certaine autonomie vis-à-vis des points fixes (aérodromes et pistes terrestres) à une souplesse d'adaptation aux missions qui lui sont imparties. L'invulnérabilité des SNLE et autres SNA, totalement invisibles et irrepérables dans les fonds marins, permet une quasi efficacité de la politique de dissuasion, notamment dans le cadre de la doctrine de la seconde frappe.
Le seul handicap est la lenteur de leurs interventions. Aujourd'hui, les mers ne sont plus seulement des soutiens aux conflits terrestres ; elles jouent désormais un rôle “à part entière” que personne ne peut plus leur contester. Aux Européens de prendre en compte cette nouvelle dimension de la politique, la dimension planétaire.
Philippe Masson, De la mer et de sa stratégie, éd. Tallandier, 1986.