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La « french connerie »

La « french connerie »

De Marion Duvauchel, Professeur de français :

Nul ne l’ignore : nos assemblées parlementaires montrent la concentration du pouvoir entre les mains d’une minorité de privilégiés, à peu prés tous issus des mêmes écoles et des mêmes milieux et qui se cooptent. La langue fait partie de ces problèmes que la classe politique bien-pensante ne veut pas aborder ou plus exactement qu’elle aborde désormais à la mode Macron, entre illusionnisme et mots d’esprit de mauvais goût.

La langue de la République est le français » affirme l’article 2.2 de la Constitution.

Pourquoi la France a t-elle décidé dans les années suivant l’adoption de cette disposition solennelle à l’unanimité de ses parlementaires réunis en congrès, de sacrifier la langue nationale aux impératifs de marché, de sombrer dans un sabir néolithique ?

La revendication de l’autonomie linguistique, pour un pays qui se prétend le guide et l’inspiratrice des nations européennes est le minimum qu’on puisse exiger.

Lors de la journée internationale de la Francophonie du 20 mars 2023, devant les académiciens et trois cents étudiants, jeunes et créateurs de tout le monde francophone, le président Macron a lancé cette phrase mémorable :« le français s’est émancipé de la France, il est devenu cette langue monde, cette langue archipel ».

Peut-on nous dire au nom de quoi le français devrait s’émanciper de lui-même, de son histoire, de son berceau géographique, de sa grammaire et de la variété de ses accents régionaux? C’est une mauvaise blague, au mieux une boutade comme celle qu’il a lancé en accueillant le premier ministre québécois en ne se voulant pas un défenseur grincheux du français. Ah bon… on est grincheux quand on défend sa langue, sa culture, son histoire et surtout son avenir ?

En 2005, la langue de Molière n’était déjà plus que la cinquième dans le monde. Aujourd’hui, il est probable qu’elle a encore baissé dans le classement général.

Le président Macron a donc présenté son grand plan d’ensemble « pour la promotion de la langue française et du plurilinguisme », projet qui n’est pas« de vouloir imposer le français comme la deuxième ou la troisième langue dominante, mais d’être le chef de file d’un combat planétaire pour le pluralisme des langues, des cultures, des idées ».

Ce combat planétaire n’est qu’une chimère fondée sur une contradiction pure : soit on défend la langue française, soit on défend le plurilinguisme qui ne désigne en réalité rien d’autre que le bilinguisme planétaire dont le grand gagnant est l’anglais.

En 2000, le linguiste Claude Hagège (Halte à la mort des langues, Odile Jacob 2000) écrivait ceci :

« chaque fois qu’une langue est menacée au sein d’une communauté se constitue un groupe d’individus qui s’inspire pour se porter aux commandes, de modèles étrangers. Si ce groupe parvient à s’imposer, et s’il s’accroît, alors un moment peut arriver où la langue extérieure au groupe que celui-ci a adopté pour ce qu’elle représente de force économique exerce une pression sur la langue vernaculaire ».

Cette langue de la menace est évidemment l’anglais et ce moment a été planifié depuis quelques décennies déjà. La rupture est consommée dès 1995, avec l’avènement de Jacques Chirac à la présidence. Le prix de la Carpette anglaise peut alors être décerné à Claude Allègre pour avoir déclaré qu’il ne fallait plus considérer l’anglais comme une langue étrangère devant ses hôtes étrangers, y compris francophones ; à Bernard Larrouturou, président de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique pour son emploi exclusif de l’anglais dans les processus d’évaluation des projets de recherche ; à Alain Minc préconisant l’emploi de l’anglo-américain comme « langue naturelle » de l’Europe ; à Louis Schweitzer qui a généralisé l’anglais dans les comptes rendus internes du groupe Renault » (Bernard Lecherbonnier, Pourquoi veulent –ils tuer le français ? Albin Michel, 2005).

La liste est encore longue et n’a cessé de s’allonger mais personne n’a relayé la défense courageuse de M. Lecherbonnier. On parle le frenchsabir, la langue du maître, c’est l’anglais et le français lui a cédé la place sans coup férir.

Dans notre pays où le bilinguisme a fait chaque année de nouveaux adeptes dans les ministères Folamour qui nous dirigent, il était essentiel de refuser la réforme Fillon qui prétendait imposer le bilinguisme à l’école primaire. Le linguiste A. Bentolila avait alors souligné l’absurdité d’imposer l’apprentissage d’une langue étrangère à des enfants incapables de s’exprimer dans la leur : il fut renvoyé dans son coin d’un geste méprisant.

Depuis des années déjà, on avait réduit les postes mis aux concours dans les langues permettant de garantir la diversité culturelle et linguistique dont se sont gargarisé les présidents de la République et les premiers ministres successifs, de droite comme de gauche. L’école, cet « ancien sanctuaire de la langue » a été placée sous la houlette de gourous illuminés, de pédagogues défroqués, qui les premiers ont exprimé leurs doutes à propos de son utilité. En 2000, la France est classée quatorzième et le niveau moyen des élèves est inférieur à celui de 1920. Pour l’orthographe, le calcul des maîtres de Grenelle était simple et il n’a pas changé : si la phonétique remplace l’orthographe, on gagne effectivement bien des heures d’enseignement. La simplification de l’orthographe réduit de moitié le temps dédié à l’enseignement du français pendant la scolarité. Cela a d’autres conséquences : exit des concours l’épreuve de phonétique historique, celle d’ancien français. Suppression de ce qui reste de la recherche et de l’enseignement universitaire dans ces domaines. Bref exit l’histoire de la langue française, puisqu’elle est désormais désolidarisée de son berceau géographique. Cela signifie qu’on peut recruter des enseignants qui n’ont de leur langue qu’une connaissance élémentaire. Dans un monde « francophone » où désormais l’alternance passé simple/imparfait disparaît des livres, dont on a même interdit l’usage dans les écoles de journalisme, on imagine sans peine le niveau de langue de ceux qui auront vocation à l’enseigner.

L’impérialisme anglo-saxon dans le domaine de la recherche a été pire encore. L’inféodation de nos scientifiques à la domination anglo-saxonne a été spontanée. Leur environnement avait réussi à les persuader qu’on ne pouvait désormais plus progresser sans se faire reconnaître du monde anglo-saxon. Un professeur américain avait avoué d’ailleurs en toute simplicité que les articles leur arrivent en première exclusivité « sur un plateau d’argent ». Comment leur reprocher d’exploiter toutes les idées intéressantes qui leur étaient offertes, dans leur langue et sans aucun effort. Bien niais qui se priverait de pareilles aubaines.

Dans cet ensemble mondialisé gouverné par la  langue anglaise, les nouvelles alliances mises en place par le président Poutine vont au contraire dans le sens d’un véritable plurilinguisme et font évidemment offense à l’hégémonie anglophone qui a fait alliance avec le dollar.

Puisque nous avons eu un remaniement ministériel et qu’il semble que le nouveau ministre a entrevu (ou fait semblant d’entrevoir) l’ampleur du désastre de notre système éducatif, peut-être va t-on voir enfin se mettre en place une politique un peu ambitieuse : la réimplantation dans nos collèges et lycées de l’enseignement de l’allemand, du russe, du chinois et d’autres langues majeures comme l’espagnol ou le portugais/brésilien ; le rétablissement d’une vraie filière classique avec le latin et le grec ; l’anglais basique pour tous, quelques bases suffisent largement pour acheter des actions et ouvrir un compte en banque, pour demander sa route et un « tea for two » dans n’importe quel pays de la planète, même ceux où on préfère le café crème. Tout cela est bien plus urgent et infiniment plus nécessaire que l’enseignement de l’arabe mis en place pour des raisons idéologiques. Car ni le russe, ni l’allemand, ni le chinois n’ont vu l’intérêt ou l’urgence de s’émanciper de leur histoire ni de leur berceau historique et contrairement à la langue arabe, la langue parlée et la langue écrite ne sont pas dissociées l’une de l’autre.

Nous sommes aujourd’hui dans la situation prévue par Bernard Le Cherbonnier : un anglais abâtardi qui sert de langue véhiculaire (de lingua franca ! ) et un français appauvri qui n’est plus qu’une langue vernaculaire.

Le désastre programmé dont la jeunesse comme les enseignants paient aujourd’hui le prix va bien au–delà de la question linguistique. C’est la question de la nation française qui se pose. Et il y avait quelques raisons solides au refus annoncé d’une partie de la France envers la constitution européenne. En 2005, Bernard Lecherbonnier prophétisait le moment où « le peuple tomberait de haut, le jour où il apprendrait que ses représentants ont, sans débat public, fait acte d’apostasie, se sont convertis à la langue du maître, ont mis en place un dispositif pédagogique pour remplacer le français par une sorte de black french, une langue abâtardie, déboussolée, dépourvue de repères lexicaux et grammaticaux, une sorte de monstre linguistique sorti tout droit des tiroirs de Grenelle et Valois réunis. Un patois sans origines et sans racines. Un créole bafouillé, un conglomérat de mots qu’aucune syntaxe ne relie plus, une sorte de chaos grammatical, en un mot, un discours de Claude Allègre ».

On y est certes mais le peuple français n’est toujours pas tombé de haut : si ce créole appauvri n’est pas encore la langue qu’il parle, c’est celle qu’il entend dans la plupart des publicités dont on l’abreuve massivement entre deux feuilletons américains ou deux séries françaises qui font la promotion de la non hétérosexualité. Et c’est la langue que les Français se sont résignés à entendre leurs enfants la parler.

Aujourd’hui, le groupe d’individus qui s’est porté aux commandes a pour lui une force supplémentaire : la publicité et le monde bancaire. Feu les Postes et télécommunications, converti en service bancaire, s’appelle aujourd’hui la « french bank ». Cela ne trompe personne. La clientèle de cette « french bank » est essentiellement constituée de pauvres gens dont la situation financière ne leur permet pas d’ouvrir un compte dans un établissement plus prestigieux : là où un conseiller financier ne vous fait pas attendre dans un couloir, mais vous installe dans un fauteuil confortable en vous proposant un café. Mais, maigre consolation, c’est ce qui reste du service public.

Quant à la « pub », elle contribue activement à l’implantation de ce multilinguisme qui n’est qu’un vaste programme d’aliénation du français au monde anglo-saxon, cupide et sans honneur. Des parfums enivrants nous sont présentés en voix off avec un accent étranger supposé aussi envoutant que le parfum que cette voix vante et les images s’éteignent sur un slogan en anglais parfois sous titré ; tout cela sur fond de tube anglo-saxons. Orange et les autres opérateurs sont passés maîtres dans ce slogan final en anglais sous-titré.

Bref, tout doit être désormais « french quelque chose ».

Vous me direz : mais on a eu le « french cancan » ? Oui, parce qu’on avait la réputation d’être une nation grivoise et légère et que cette danse était supposée émoustiller le public anglophone, hypocrite et puritain comme la plupart des nations protestantes.

Pas d’alarme, l’islam va se charger de calmer nos vieilles coutumes rabelaisiennes et les transformer en mœurs d’un âge révolu.

En attendant cette heureuse perspective, consolons-nous avec l’idée que la « french connerie » n’est à tout prendre qu’un moindre mal.

https://lesalonbeige.fr/la-french-connerie/

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