Le Canard enchaîné a sorti, ce mercredi, une info qui se voulait croustillante : Emmanuel Macron aurait poussé un coup de gueule contre la DGSE lors du Conseil de Défense du samedi 29 juillet.
Il aurait reproché à Bernard Émié, diplomate de choc qui dirige le fleuron du renseignement français depuis 2017, de n'avoir « rien vu venir » du putsch du général Abdourahmane Tchiani. Comme un professeur principal devant un élève faiblard au terme d'un deuxième trimestre sans éclat, Macron aurait même conclu : « Le Niger, après le Mali, cela fait beaucoup. » Le Canard, qui semble décidément bien informé, livre la réplique du DGSE : « J'avais rédigé une note sur la situation au Niger en janvier. » Et un ministre servile, dont le nom n'est pas communiqué, l'a immédiatement taclé : « Soit on est tous bêtes, soit la note était incompréhensible. » « Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir », comme disait La Fontaine (Les animaux malades de la peste).
Bernard Émié n'est pas n'importe qui. On lui doit, outre des postes d'ambassadeur dans les pays les plus importants ou les plus tendus du globe entre 1998 et 2014, la prise en main d'un service mythique à la suite du brillant mais clivant Bernard Bajolet : c'est un chef de terrain. Il a servi dans les cabinets ministériels, il est normalien et énarque : il sait lire et écrire. Par conséquent, si l'on ajoute à cela le fait que Macron a pris, depuis 2017, la triste habitude de s'entourer de tocards sûrs d'eux, il est possible que le ministre ait fourni lui-même un élément de réponse en posant l'alternative de cette façon. La note n'était probablement pas incompréhensible (même si Émié ne l'a évidemment pas rédigée lui-même), ce qui amène le lecteur facétieux à en déduire logiquement ce qu'il sentait d'instinct : Bernard Émié, comme d'autres avant lui, est tout simplement entouré de ministres c.. Il n'en demeure pas moins que son maintien à poste, qui pouvait logiquement être décidé jusqu'à la fin des Jeux olympiques, dans une optique de départ une fois la menace terroriste écartée, n'est plus du tout garanti.
Peut-être la Macronie a-t-elle obligeamment laissé fuiter cet échange tendu pour mettre Émié sur la sellette. Cela lui permettrait de virer un vieux mâle chiraquien sexagénaire pour le remplacer, comme cela se murmure dans les médias, par une femme. Il n'en demeure pas moins que le mode opératoire rappelle étrangement le renvoi du général Vidaud, directeur du renseignement militaire, après l'offensive ukrainienne. La DRM, à l'époque - de nombreux blogueurs en avaient parlé -, disposait de sérieux renseignements de terrain, notamment américains, et n'avait nullement failli. Ce qu'il avait manqué, c'était la mise en perspective politico-stratégique, qui serait logiquement du niveau des cabinets ministériels ou même de la DGSE, par exemple. Cette fois, la DGSE semblait avoir pris la mesure de la situation nigérienne en amont, et même averti le niveau politique, si l'on en croit Bernard Émié (et pourquoi mentirait-il ? Même les ministres « abrutis », comme dit Élisabeth Borne, ne semblent pas en disconvenir), mais c'est le niveau politique, celui du président de la République, qui s'obstine à faire systématiquement le contraire de ce que ses subordonnés militaires pourraient sagement lui conseiller.
Ce que payait Macron en Ukraine, ce n'était pas le manque de niveau de la DRM. Ce qu'il paie au Niger, ce n'est pas l'ahurissement de la DGSE. Dans les deux cas, ce que paie la France, c'est un empilement de négligences, une sédimentation de certitudes : une absence de valeurs respectables à l'étranger, autres que la soupe tiède de l'humanisme et des Lumières sauce Alliance française ; un activisme woke et LGBT qui ne lui a rapporté que des camouflets (récemment au Cameroun) dans des pays qui respectent la loi naturelle ; un mépris de jeune blanc-bec, de « petit mec », pour reprendre la formule ciselée de Bernard Lugan, pour une Afrique qui respecte ceux qui la respectent, et dont les anciens ne détestent rien tant que les morveux de Sciences Po en petit costume venus leur donner quelques subsides pour pouvoir continuer à dispenser leur propagande ; un réseau diplomatique à la ramasse, confit dans un aveuglement idéologique total (pour l'Ukraine, l'alignement pro-américain ; pour le Niger, la confiance dans une Françafrique morte) ; un néo-colonialisme totalement hors-sol, qui a éclaté en 2017, avec la blague de Macron prétendant que le président burkinabè Kaboré était parti « réparer la climatisation ». Pour reprendre les mots de Macron lui-même, une fois de plus, décidément, blessant et irrespectueux, face à des responsables de haut niveau qui en valent dix comme lui (hier Villiers, aujourd'hui Émié, même principe), « ça fait beaucoup ».