Réveillant par sa beauté l’amour d’un souverain endormi par le deuil récent de son épouse la reine Marie Leszczynska, la jeune Comtesse du Barry devint, en 1768, la nouvelle maîtresse royale. Elle succédait ainsi aux nombreuses autres conquêtes amoureuses de Louis XV, comme Madame de Pompadour. Mais les titres, les robes et les parures somptueuses, ainsi que les manières de cour apprises rapidement, ne firent pas effacer aux yeux de la noblesse de Versailles les origines roturières de la nouvelle venue et dont la seule présence était une injure au sang des rois. La locataire du lit de Louis XV finit par se faire accepter par l’aristocratie et devint même un enjeu politique de premier ordre : ayant l’oreille et le cœur du souverain, elle pouvait l’influencer. Ainsi, la comtesse du Barry se retrouva au milieu des intrigues menées par le duc de Richelieu et le duc de Choiseul, ministre d’État. Ce dernier travaillait notamment au mariage du futur Louis XVI et de celle qui fut l’une des plus grandes rivales de la maîtresse royale : l’archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche.
Mariée en 1770 avec le dauphin, la future reine de France ne supportait pas la présence de cette roturière dont la beauté égalait la sienne : comment le sang des Habsbourg pouvait-il côtoyer celui des gens du commun, et comment le roi de France, roi très chrétien, pouvait-il avoir une vie aussi dissolue ? Naïve, Jeanne du Barry chercha obstinément à devenir l’amie de la dauphine mais ne reçut en récompense qu’une froide hostilité. Cette relation faillit même menacer l’alliance franco-autrichienne que Louis XV était prêt à sacrifier au nom de son amour. Marie-Antoinette, consciente des enjeux pour son pays natal, ravala son orgueil et accepta publiquement de mettre fin à sa rivalité en adressant la parole à la comtesse du Barry à l’aide de quelques mots passés à la postérité : « Il y a bien du monde, aujourd’hui, à Versailles. »
Mais le roi et sa santé déclinaient. Tombé malade en 1774, Louis XV demanda à sa maîtresse de quitter Versailles, malgré les bons soins qu’elle lui avait prodigués, afin qu’il puisse se préparer chrétiennement à sa mort. Après une vie de plaisir, le roi de France devait rendre désormais son âme à Dieu. Pour Jeanne du Barry, les portes de Versailles se clôturaient définitivement. S’exilant dans son château de Louveciennes, la comtesse du Barry tenta d’y revivre son bonheur passé en compagnie de nouveaux amants, mais qui est loin de la cour tombe peu à peu dans l’oubli.
La Révolution française éclatant, elle ne fuit pas à l’étranger comme le reste de l’aristocratie, pensant être protégée par ses origines dont elle avait pourtant cherché à effacer toute trace. Subissant un cambriolage en 1791, elle partit en Angleterre afin de retrouver les voleurs mais, apprenant en 1793 la volonté d’apposition de scellés sur sa propriété et ses biens de Louveciennes, elle revint en hâte. Devenue suspecte aux yeux de la Révolution pour son séjour anglais et pour son passé versaillais, elle fut arrêtée et condamnée à mort par le terrible tribunal révolutionnaire. Montant à la guillotine le 8 décembre 1793, elle tenta jusqu’au dernier instant de retarder son exécution, suppliant Samson de lui laisser « encore un moment, Monsieur le bourreau ! »
Jeanne Bécu, comtesse du Barry et maîtresse royale, ne réussit jamais à trouver réellement sa place entre le mépris d’une noblesse pour sa basse extraction et un peuple qui lui reprocha son amour pour celui qui fut considéré comme un tyran. Louis XV le Mal-Aimé aura su léguer a posteriori son sobriquet comme ultime héritage à sa dernière amante.
Eric de Mascureau