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Elargissement des BRICS

Elargissement des BRICS

De Thomas Flichy de La Neuville sur Asie stratégique:

Le sommet des BRICS, qui s’est réuni du 22 au 24 août à Johannesburg permet d’esquisser la nouvelle stratégie de cette alliance. En effet, l’intégration de six nouveaux membres au 1er janvier 2024 donne une coloration géopolitique à la fédération des émergents : elle permet aux usines asiatiques de sécuriser les combustibles indispensables à leur bonne marche et à s’emparer de deux bras de mer stratégiques tout en renforçant la crédibilité d’échanges monétaires alternatifs. Les nouveaux entrants, que sont l’Arabie Saoudite, l’Argentine, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte l’Iran et l’Éthiopie représenteront désormais 11 % du PIB total du groupe, ce qui représente une croissance maîtrisée si l’on prend en compte le nombre important de pays ayant sollicité leur intégration pour 2024. Les nouveaux entrants, indiqués en orange sur la carte et le graphique vont reléguer l’Afrique du Sud, organisatrice du sommet, au 9e rang.

 

Il n’en reste pas moins que le continent asiatique conservera une prééminence écrasante au sein des BRICS représentant à lui seul 80 % du PIB de l’alliance.

Si l’on procède à une analyse plus fine, l’on note qu’au sein même de ce continent, le centre de gravité des BRICS se déplacera légèrement vers l’Occident en raison de l’intégration de trois pays du Moyen-Orient : l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis.

Après ce tribut rendu au chiffre qui est, selon le joli mot de Lamartine, la négation de toute pensée [1] , il convient d’interroger la signification politique de l’élargissement afin de répondre aux rieurs qui, faute de profondeur historique ne voient dans ce nouveau groupe qu’un assemblage hétéroclite de contestataires frappés de retard technologique.

A l’échelle du continent asiatique l’intégration de l’Iran fait rentrer le troisième membre du nouvel empire mongol [2] au sein des BRICS. Outre le potentiel créatif de la Perse, brusquement annexé, cette extension signifie que l’ancienne alliance de circonstance entre les émergents pourrait prendre une tournure résolument géopolitique. Par souci d’équilibre, le concurrent saoudien de l’Iran, qui s’est progressivement tourné vers la Chine et la Russie au cours des derniers mois, a été lui aussi intégré. L’on sait que la Chine avait joué un rôle non négligeable dans le rapprochement irano-saoudien. Désormais, l’enceinte des BRICS pourrait permettre de structurer ce partenariat fragile et naissant. La troisième pièce du puzzle moyen-oriental est celle des Émirats Arabes Unis qui s’étaient ostensiblement rapprochés du Nouvel Empire Mongol en recevant Bachar Al-Assad à Abou Dhabi le 18 mars 2022. Ce tournant diplomatique avait généré des sanctions financières immédiates de la part des Etats-Unis. Mohammed Ben Zayed, le dirigeant de fait des Émirats, entretient de longue date des relations étroites et chaleureuses avec Vladimir Poutine. Elles sont fondées sur l’intérêt partagé de ces deux régimes à maintenir, sous l’égide de l’Arabie saoudite, les prix les plus élevés du pétrole. L’importance des investissements des oligarques russes à Dubaï a ajouté une dimension aussi profitable que sensible à cette relation bilatérale. Selon les agents immobiliers dubaïotes, les marchés haussiers n’ont jamais connu un tel pic : une quantité notable d’investisseurs russes y achètent des appartements.

D’un point de vue global, l’élargissement des BRICS se présente comme un signal faible supplémentaire du basculement géopolitique en cours : en 1945, les Etats-Unis se substituaient à la puissance tutélaire britannique au Moyen-Orient. Près de quatre-vingts ans plus tard, la Chine se rapproche significativement des réserves pétrolières et gazières qui fondèrent la domination historique du dollar. Ce basculement va s’opérer insensiblement, et ne se traduira pas immédiatement par une guerre des monnaies. Celle-ci a en effet pour préalable la mise en place d’une infrastructure numérique permettant une alternative au dollar. Or les géants occidentaux du numérique se sont efforcés de sécuriser ces infrastructures qu’il s’agisse des satellites ou des câbles. Celles-ci constituent en effet le nouveau squelette matériel des monnaies et la lutte va être âpre pour s’en emparer. Pour les puissances technologistes mercantiles, l’accélération de la révolution numérique conditionne la survie même du dollar. Face à elles, le groupe des BRICS, qui intègre en janvier 290 millions de musulmans supplémentaires dont un tiers de chiites, renforcera sa présence sur deux bras de mer stratégiques : le golfe Persique et la partie septentrionale de la mer rouge par laquelle transitent 25 millions de containers tous les ans. Au-delà des effets de communication, l’on peut s’interroger pour savoir si les BRICS n’ont pas ici mis en œuvre une stratégie du XXe siècle consistant à s’emparer des sources d’hydrocarbures et des principales routes maritimes alors que les Etats-Unis concentrent leurs efforts sur l’accaparement des infrastructures numériques afin de pouvoir monopoliser les bénéfices de la révolution digitale du XXIe siècle.‍

[1] « Le chiffre seul était permis, honoré, protégé, payé. Comme le chiffre ne raisonne pas, comme c’est un merveilleux instrument passif de tyrannie qui ne demande jamais à quoi on l’emploie, qui n’examine nullement si on le fait servir à l’oppression du genre humain ou à sa délivrance, au meurtre de l’esprit ou à son émancipation, le chef militaire de cette époque ne voulait pas d’autre missionnaire, pas d’autre séide, et ce séide le servait bien. Il n’y avait pas une idée en Europe qui ne fût foulée sous son talon, pas une bouche qui ne fût bâillonnée par sa main de plomb. Depuis ce temps, j’abhorre le chiffre, cette négation de toute pensée, et il m’est resté contre cette puissance des mathématiques exclusive et jalouse le même sentiment, la même horreur qui reste au forçat contre les fers durs et glacés rivés sur ses membres et dont il croit éprouver encore la froide et meurtrissante impression quand il entend le cliquetis d’une chaîne. Les mathématiques étaient les chaînes de la pensée humaine. Je respire ; elles sont brisées ! » Alphonse de Lamartine, Des destinées de la poésie, Paris, Librairie de Furne, 1834, p. 7

[2] Le Nouvel Empire Mongol, qui reprend en partie la construction géopolitique de Gengis Khan constitue une alliance continentale souple entre la Russie, l’Iran et la Chine. Il s’oppose aux républiques maritimes commerciales nées dans le sillage de l’Angleterre.

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