D’autre part, le Catholicisme a commis une gigantesque erreur en voulant se moderniser. Dans les rites, les textes sacrés, comme dans le discours théologal. Cet aggiornamento lui sera fatal. La force de l’Islam, c’est son immuabilité. En revanche, le Paganisme ressemble au roseau de la fable de La Fontaine, face au chêne monolithique d’une religion révélée, il est élan vital, et non organisation contingente bétonnée autour d’un dogme. Sa souplesse provient de son scepticisme et de son réalisme. Le Christianisme en Europe recule face à l’Islam, parce qu’il est opposé à un frère concurrent plus vigoureux que lui ; le Paganisme n’entre pas dans ces querelles de famille. Il est tout autre. C’est pourquoi, dans son entreprise logique et très ancienne — et aujourd’hui reprise — de progression en Europe, l’Islam aura comme principal adversaire la mentalité païenne. Je sais qu’il existe de prétendus Païens favorables à l’Islam. Ils se trompent lourdement, par méconnaissance de ce dernier et ignorent apparemment le sort que le Coran leur réserve, sous la dénomination de mécréants et d’idolâtres : alors que les Juifs et les Chrétiens se retrouveront minorés et soumis (dhimmis), eux, subiront le sort des moutons de l’Aït-el-Khébir. Il suffit de lire la sourate 4 du Coran, enseignée dans toutes les mosquées d’Europe et dans toutes les écoles coraniques pour s’en convaincre.
Je fais en général hurler certains Chrétiens quand je leur explique qu’en tant que Païen, je m’oppose à la transformation des églises en mosquées, alors que l’épiscopat l’admet. Il faut bien préciser que je n’éprouve envers l’Islam aucun mépris, aucune haine. Simplement, je refuse, en tant que Païen, son projet de société et de spiritualité pour mon propre peuple. Je le connais bien, je l’ai longuement étudié. J’ai lu le Coran, à l’inverse des intellectuels parisiens, partisans de la cohabitation communautarienne. J’ai été invité à parler “contre l’Islam” par des Musulmans ; ils ont été surpris par le fait que je connaissais bien leur volonté de conquête de l’Europe, de la transformer en Dar-Al-Islam, et que leur discours sur l’Islam laïc et intégrable harmonieusement était un double discours, un propos hypocrite, recommandé par le Prophète lui-même quand on prend d’assaut une nouvelle terre (« baise la main que tu ne puis encore couper »). Ces Musulmans, Arabes et Pakistanais, n’ont pas cherché à me contrer. Ils ont souri, et m’ont dit, en substance : “heureusement qu’il y a peu d’Européens qui nous connaissent comme vous nous connaissez”.
Sur le chapitre du danger de l’Islam, je suis en parfait accord avec un de ses meilleurs connaisseurs actuels, le jeune chercheur et prolixe Alexandre del Valle. Il appartient à ces milieux Chrétiens traditionnels qui ont parfaitement compris que contre le danger urgent de la progression de l’Islam à l’échelle mondiale, une alliance avec les forces du Paganisme, de l’Europe à l’Inde, est indispensable. L’Islam est un universalisme guerrier, le plus absolu de tous les monothéismes de la vérité révélée. Il ne tolère à terme rien d’autre que lui même et sa conception théocratique du monde, où la foi se confond avec la loi est, au sens étymologique, totalitaire. Même s’il défend très souvent de bons principes, même s’il s’oppose avec raison au décadentisme occidental, il demeure incompatible avec notre mentalité et nos traditions. Je n’ai rien contre l’Islam, sur sa propre terre, mais sa progression constante en Europe occidentale (déjà la seconde religion pratiquée en France ou en Belgique) inquiète davantage le Païen que je suis que les athées de la gauche laïque et que les Chrétiens.
• Quelles sont les figures divines qui vous inspirent le plus ?
Chaque divinité représente une des facettes de la nature humaine, et loin de moi l’idée de rejeter Vénus-Aphrodite ou Mercure-Hermès ou les modestes Dieux lares gardiens de la famille. J’admets parfaitement que mon interprétation prométhéenne du Paganisme soit critiquée par d’autres Païens. En réalité, il a toujours existé deux formes de Paganisme, qui peuvent d’ailleurs s’imbriquer ; l’un populaire (d’où le terme de pagani, paysans), qu’on retrouve chez tous les peuples de la Terre — jusque chez les populations islamisées —, adopte des croyances superstitieuses simples, mais nullement méprisables, et nécessaires au bon ordre social ; l’autre est le Paganisme des philosophes, qui ne croit évidemment pas à l’existence objective des divinités, mais, au sein d’un doute terrible et tragique, reconnaît l’existence de “quelque chose” de surnaturel, d’inexplicable, rejette le matérialisme athée, respecte toutes les religions de la Terre comme des parcelles de vérité. Mais il récuse absolument l’idée de vérité révélée. Des Brahmanes indiens aux Druides celtiques, il y a une force à la fois tellurique et cosmique qui échappe totalement aux religions de la révélation et du salut. Cette force ne peut pas être exprimée dans un dogme, un catéchisme. Elle se ressent et s’éprouve. Elle relève d’une initiation, à la fois populaire et spontanée, ou bien aristocratique. Le Paganisme est fait pour les peuples et les communautés d’appartenance, non pour les masses et les individus déracinés. Il relève à la fois de la superstition populaire et de la discipline mentale. Il associe les croyances magiques dans les divinités animales et forestières (pôle dionysiaque et enraciné) aux tonnerres apolliniens. Toutes les divinités m’inspirent, mais plus précisément Dionysos, symbole de fidélité et de durée vitale. Dieu souriant (mais au sourire inquiétant), il symbolise le flux du vivant, la révolte contre les ordres et les dogmes sclérosants ; il est le Dieu des plaisirs, du vouloir-vivre, mais aussi du lignage et de la continuité de la vie. Ce n’est pas un hasard si les Chrétiens ont emprunté certains de ses traits et attributs pour en attifer leur Satan. Principe chtonien, Dionysos le sensuel est l’inverse même du pervers. Il incarne des principes totalement contraires à ceux de la modernité. Il est l’exact opposé, plus que tous les autres Dieux de la Grèce, de toute la conception monothéiste et judéo-chrétienne du monde qui innerve notre civilisation. Ce que Nietzsche avait parfaitement compris, qui en faisait, lui aussi la divinité centrale de son panthéon personnel. Dionysos est le plus tragique de tous les Dieux : il joue, il rit, il appelle à jouir, mais il prépare aussi les mortels à leur inéluctable fin. Il est, bien entendu, comme l’a démontré Pierre Vial, l’exact pendant d’Apollon, la divinité solaire (contradictio oppositorum). J’avoue que j’ai découvert un des auteurs qui m’a le plus marqué par son œuvre exceptionnelle, Michel Maffesoli, grâce à son essai L’ombre de Dionysos où il démontre l’invaincue et invincible influence du Dieu des pampres et des sarments. J’ajoute que je ne partage nullement les analyses et options sociologiques de cet auteur, ce qui démontre que je relativise et n’absolutise pas les miennes, ayant conscience que nous sommes tous dans le champ de la doxa et rarement de l’épistémè.
Mais je n’en néglige pas pour autant Apollon, le Dieu solaire. Un texte qui m’a beaucoup marqué est un quatrain, à mon sens un des plus beaux de la langue française, écrit par Paul Valéry. Dans son poème Ève, il oppose et associe magnifiquement la sensualité dionysiaque d’une jeune fille au réveil matinal (permanence de la vie renouvelée mais éphémère) et la souveraine course du soleil. J’ai toujours estimé que ces quatre vers étaient parmi les plus païens de la poésie francophone : la jeune fille, nue dans ses draps, s’éveille et s’ébroue comme un jeune animal et…
Cependant, du haut-ciel, foudroyant l’heure humaine,
Monstre altéré du Temps, immolant le futur,
Le sacrificateur Soleil roule et ramène
Le jour après le jour sur les autels d’Azur.
Dionysos renouvelle les formes vitales par la métamorphose (une beauté vieillira, mais une nouvelle beauté à venir lui succédera), tandis qu’Apollon, dans son immuable course (labor solis, ergon heliou) protège et assure cette métamorphose. Dans le couple Apollon-Dionysos, l’éphémère et la permanence s’associent dans l’harmonie. Pour moi, le Paganisme est donc fondamentalement le culte du réel et de la vie dans toutes leurs dimensions (biologiques, astronomiques, physiques, etc.) et, contrairement aux religions du salut, il se refuse à construire une méta-réalité, un mensonge, un fantôme (les “marionnettes”, ta aggalmata de l’allégorie de la caverne de Platon) mais affronte en face la douce et dure tragédie du vivant.
À cet égard, pour reparler de Valéry, je conseille la lecture du musical poème décasyllabique Le Cimetière Marin qui est à mon sens le plus impressionnant manifeste païen depuis Les Amours de Ronsard. Il faut également répéter que le Paganisme est fondamentalement esthétique, principe à la fois apollinien et dionysiaque. L’art, la poésie et l’architecture de notre époque qui considèrent la rigueur et la discipline esthétiques comme des contraintes incorrectes et qui, souvent, justifient par la rationalité la simple laideur, ne sont pas seulement une révolte contre l’âme païenne, mais un modèle qui ne durera pas et qui débouchera sur une catastrophe. Le Paganisme est l’avenir du monde, tout simplement parce qu’il considère le monde tel qu’il est et tel qu’il pourrait devenir, et non pas tel qu’il doit être.
Pour répondre, en final, à votre question, je dirais qu’il faut inventer de nouveaux Dieux. C’est une tendance profonde de l’homo europaeus, mentalité épique. « De nouveaux dieux vont fleurir notre avenir ». J’ai parfaitement conscience que mes réponses recèlent de multiples contradictions. Mais, je ne cherche pas à être mécaniquement cohérent. Je ne prends pas fort au sérieux ces penseurs entomologistes qui débusquent les contradictions chez les autres. Toute création est le résultat de contradictions, toute pensée vibre au sein d’un nœud de vipères.