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Pascal Boniface sur la guerre en Ukraine : vers la fin de la domination occidentale

Pascal Boniface sur la guerre en Ukraine : vers la fin de la domination occidentale

 Par Frédéric Eparvier, cadre dirigeant d’un grande entreprise française à caractère stratégique : La guerre russo-ukrainienne ou russo-otano-ukrainienne est présentée depuis 18 mois sous un angle exclusivement émotionnel. C’est un retour aux faits, une volonté de comprendre, d’étudier rationnellement les enchaînements et les faits que Paul Eparvier propose ici dans cette étude du dernier livre de Pascal Boniface.

Polémia

Pour tous ceux qui sont lassés par les géopolitologues de plateau et leurs analyses bien peu réalistes[1], notamment sur la question de la guerre d’Ukraine, je ne peux que recommander les analyses de Pascal Boniface, disponibles sur sa chaîne YouTube[2].

Il vient d’ailleurs de les rassembler et de les publier dans un petit livre[3] à la lecture salutaire et bien à contre-courant de la pensée dominante, même si on aurait aimé qu’il rentre un peu plus dans le détail des faits et pousse un peu plus loin certaines de ses analyses.
Sa thèse générale est que l’observation et l’analyse géopolitique de la guerre d’Ukraine sont bien peu rationnelles (objectives) mais essentiellement émotionnelles. Et que ceci nous condamne donc à reproduire les mêmes erreurs avec les mêmes conséquences dans le futur sur d’autres sujets (la Chine et Taïwan, par exemple).

Sur l’Ukraine, il assume que c’est l’expansion vers l’est de l’OTAN qui a poussé la Russie à envahir l’Ukraine. Il refuse toutefois d’amenuiser la responsabilité de Vladimir Poutine et de son régime dans le déclenchement de cette guerre. Il précise même que cette responsabilité « inexcusable et inacceptable[4] » empêchera un retour à la normale des relations avec la Russie, tant que Vladimir Vladimirovitch Poutine (ou son régime) sera à la tête de celle-ci. Il constate – et regrette – que cette double analyse est aujourd’hui impossible à défendre : « Peut-on dire à la fois que le monde occidental a commis des erreurs à l’égard de la Russie dans la période post-guerre froide et que, pour autant, l’agression russe est inacceptable et que la Russie, outre l’agression, a commis de multiples crimes de guerre ? C’est la réalité[5]. »

Son livre : Guerre en Ukraine, l’onde de choc géopolitique – À contre-courant des analyses émotionnelles, est construit en trois parties :

  • La première (les chapitres I à III) couvre l’émotion qui entoure toute l’analyse de cette guerre. Boniface souligne particulièrement l’hystérie mensongère qui vise toute personne qui ose émettre l’idée que la Russie ne porte pas 100 % de la responsabilité de cette guerre : « Le fait de vous ériger en passionaria[6] anti-Poutine vous donne le statut de spécialiste de la Russie. L’anathème l’emporte sur le raisonnement ; le slogan, sur la connaissance[7]. » J’émettrai toutefois un regret, c’est que si Pascal Boniface fait le constat de la « mésinformation » qui domine actuellement les médias, il ne tente pas le quart du début du commencement d’une ébauche d’analyse du pourquoi de cet unanimisme et du psittacisme des médias.
  • La deuxième partie (les chapitres IV à VI) s’intéresse aux causes « géopolitiques » de la guerre d’Ukraine. Ce sont les meilleurs chapitres du livre, surtout les chapitres IV et V. De manière très classique, Boniface rappelle les théories de Zbigniew Brzezinski qui voulait séparer l’Ukraine de la Russie pour affaiblir cette dernière, puis il décrit la manière dont l’Ouest a « perdu » la Russie, avant de regarder – de manière beaucoup moins convaincante – comment la Russie a « perdu » l’Ukraine.
    Concernant la manière dont l’Occident a perdu la Russie, Boniface souligne l’importance de l’extension vers l’est de l’OTAN. Il décrit avec finesse le cercle vicieux qu’elle a entraîné : « La multiplication des missions et adhésions de nouveaux membres, vue du quartier général de l’OTAN, a créé un cercle vertueux : plus les pays adhéraient, plus la démocratie était consolidée. Mais cette extension a eu pour effet, non désiré, de crisper la Russie. Il a donc fallu renforcer l’OTAN, ce qui a encore un peu plus irrité la Russie. Là est intervenu le cercle vicieux[8]. » Il y a dans ce chapitre une critique non déguisée de la politique des « néocons » américains qui se parent des oripeaux des valeurs universelles au service d’une politique de puissance. Mais, à courte vue, les États-Unis et l’Europe n’avaient aucun intérêt à pousser la Russie dans les bras de la Chine, et pourtant c’est bien ce qu’ils ont fait. Boniface souligne aussi la faiblesse de l’Europe qui a laissé les États-Unis – l’hyperpuissance, selon les mots d’Hubert Védrine – régler la question de la sécurité en Europe. Et c’est là une question essentielle pour notre futur. Quand prendrons-nous en main notre sécurité ?
  • Dans sa troisième partie (chapitres VII et VIII), Boniface aborde les aspects immédiats de la guerre : la manière dont Zelensky, formidable homme de média, a retourné l’émotion générale pour imposer son discours et sa volonté : « Il ne sollicite pas, il n’implore pas, il exige, il revendique, il tempête, il culpabilise ceux qui ne satisfont pas ses demandes. Et cela fonctionne plutôt bien[9].» Il n’y a pour en juger qu’à regarder le demi-tour en rase campagne d’Emmanuel Macron. Et sa conséquence la plus directe et la plus désastreuse : l’admission de l’Ukraine dans l’Union européenne… « Les dirigeants européens n’ont pas résisté au choc des opinions[10] devant les images des massacres, des atrocités et des crimes de guerre commis par l’armée russe en Ukraine… Rationnellement cette décision est catastrophique, mais chacun s’en félicite en affirmant qu’il s’agit là d’un signal. Il s’agit surtout d’un signal indiquant que les dirigeants ont du mal à défendre leurs intérêts, qu’ils sont davantage dans des politiques de communications motivées par l’émotion que par une vision à long terme[11]. »

En guise de conclusion, Boniface, regardant vers l’avenir, souligne le rôle nouveau de la Pologne qui va devenir à cause de cette guerre le nouveau pilier américain de la sécurité européenne, et la nouvelle division du monde où « The Rest », le reste du monde, n’accepte plus le double langage de l’Occident, « The West ». D’une certaine manière, cette guerre, quelle qu’en soit l’issue, marque la fin de la domination occidentale : « Les occidentalistes qui ne cessent de marteler les principes universels, qu’ils ont pourtant vus très souvent foulés aux pieds tout en jouant les muets du sérail, agissent en réalité contre les intérêts du monde occidental[12]. »

J’aurais aimé que Boniface termine son livre en peignant, même à grands coups de brosse, les différents scénarios de sortie de cette guerre. Mais bon…

Les quelques critiques mises à part, ce livre de Pascal Boniface est rafraîchissant par l’honnêteté de son analyse et la franchise de son propos. En ces jours d’info en continu, c’est bien rare.

Frédéric Eparvier 23/09/2023

[1] J’utilise ici le terme « réaliste » dans son sens commun, et non dans le sens du courant de pensée géopolitique.
[2] Chaîne Comprendre le Monde.
[3] Boniface (Pascal), Guerre en Ukraine, l’onde de choc géopolitique, Éditions Eyrolles, 2023.
[4] Page 9.
[5] Page 48.
[6] On pense particulièrement à l’insupportable Alla Poedie…
[7] Page 48.
[8] Page 80.
[9] Page 133.
[10] Instrumentalisées (note personnelle).
[11] Page 152.
[12] Page 214.

https://www.polemia.com/pascal-boniface-sur-la-guerre-en-ukraine-vers-la-fin-de-la-domination-occidentale/

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