La période de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement de la Résistance est en effet toujours, en Bretagne, la chasse gardée des vieilles générations communistes . Ces derniers, qui ont écrit l’histoire officielle, profitant de la terreur psychologique instaurée – faut-il rappeler les crimes et bavures de l’Épuration ? – mais surtout que les archives ne soient pas accessibles aux historiens et aux chercheurs. Le vent commence à tourner, puisque ces archives le deviennent ; pas encore toutes néanmoins, les plus sensibles restant inaccessibles.
Au début du XXe siècle, quatre siècles après l’Annexion de la Bretagne par la France, un mouvement nationaliste naît en Bretagne, avec, en 1911, un premier Parti nationaliste breton (PNB). Ce mouvement est brisé une première fois par la Première Guerre mondiale. Après s’être reconstitué, la Seconde Guerre mondiale va à nouveau le briser. Dans un contexte d’affrontements entre des nations et des idéologies, il sera entraîné, au gré des événements, dans une violente guerre civile.
L’auteur retrace le parcours de groupes nationalistes bretons dont certains seront impliqués dans des opérations militaires et policières au côté des Occupants ou au côté des Alliés : les Bagadoù Stourm, « groupes de combat », soit le service de sécurité du Parti national breton ; La Lu brezhon, « armée bretonne », la plus petite armée du monde en guerre, qui deviendra la Bezen Perrot, une unité militaire bretonne rattachée au service de sécurité allemand (SD) à Rennes; le Groupe Vissault rattaché au commandement de la police de sûreté et du service de sécurité (Sipo-SD) à Paris. Et aussi le Kommando de Landerneau rattaché à l’armée allemande ; le maquis Bleimor récupéré par la Résistance communiste : le maquis de Moncontour dépendant de l’Armée secrète ; le Groupe Liberté, groupe indépendant de toute autre organisation…
La consultation d’archives jusqu’alors interdites d’accès et le témoignage des derniers survivants ont permis à l’auteur de situer l’engagement des nationalistes bretons dans une perspective historique affranchie des récits officiels encore en vigueur. L’auteur indique que le livre a été écrit «pour se réconcilier avec le passé et libérer l’avenir de la Bretagne dans une Union européenne qui s’est résolument engagée dans la voie de la paix.»
Un livre à posséder, pour avoir une autre vision de cette période trouble, et cela bien que beaucoup se soient déjà penchés sur la question, et notamment l’historien Kristian Hamon, il y a quelques années ( Les Bagadou Stourm / La Bezenn Perrot), même si on a pu reprocher à ces deux ouvrages d’avoir été écrits à charge.
Entretien avec Yves Mervin.
Breizh Info : Vous venez de publier un troisième livre sur la période de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne, cette fois, sur les groupes de nationalistes bretons qui se sont retrouvés dans des « opérations policières ou militaires au côté des Allemands ou des Alliés ». Tout n’a pas été dit sur le sujet ?
Yves Mervin : Certainement pas, et je ne clôturerai pas le sujet car il reste encore de nombreuses archives non encore accessibles. Mais j’ambitionne de marquer une étape décisive vers la connaissance définitive de la question. Moi-même je complète ce que j’ai écrit dans mes ouvrages précédents. Je refais par exemple un point complet sur l’affaire de l’abbé Jean-Marie Perrot : je démonte la version d’un soi-disant ordre de Londres quant à son assassinat et je décris une première tentative d’assassinat, elle aussi communiste.
Je reviens aussi sur certains aspects du groupe Liberté, issu des Bagadoù Stourm, qu’avaient fait connaître Jean-Jacques Monnier et Hubert Chémereau. Á noter l’histoire des maquis de Moncontour et du maquis Bleimor où on trouve des nationalistes bretons, même si leur engagement nationaliste est moins marqué que dans le cas du groupe Liberté.
En général, j’aboutis à des récits différents des récits connus. Certaines affaires sont traitées de façon inédite, comme par exemple l’assassinat des deux frères Tattevin à Pont-Aven.
Breizh info : Comment vous différenciez-vous par rapport par rapport à ceux qui ont déjà traité le sujet ?
Yves Mervin : Je traite ce thème des nationalistes bretons depuis la fin de la Première Guerre mondiale . Globalement, en décrivant comment certains se sont retrouvés aux côtés des Allemands et d’autres au côté des Alliés, alors que jusqu’à l’été 1943, ces groupes étaient plutôt unis.
Qui plus est, je traite le sujet dans son contexte, en particulier dans les interactions avec la Résistance. Ce qui est important, c’est de comprendre le mécanisme d’affrontement qui est celui d’une guerre civile et très peu une guerre de libération. Il est nécessaire de procéder de la sorte pour éviter les caricatures avec des bons d’un côté et des méchants de l’autre, des vertueux d’un côté et des ignobles de l’autre. La réalité est bien plus nuancée.
Breizh info : Ce nouveau livre ne risque-t-il pas de susciter des réactions plutôt vives, comme les manifestations lors de vos signatures pour Joli mois de mai 1944 ?
Yves Mervin : Il y potentiellement de quoi susciter les même réactions de la part d’associations résistantes qui ont l’habitude d’asséner leurs vérités sans rencontrer beaucoup de contradictions. Ces associations sont amenées à disparaître tant elles sont décalées par rapport à la réalité des faits. Autant accélérer le processus de leur disparition. Tous les résistants n’en auront pas la nostalgie : je me réjouis d’avoir proposé à un ancien résistant FTP (Franc-tireur Partisan) et un ancien de la Bezen Perrot de se rencontrer et de bavarder, alors qu’en juillet 1943 ils ont failli s’entretuer s’ils étaient passés plus près l’un de l’autre. Il ne s’agit pas d’oublier le passé mais de savoir vivre avec.
Breizh info : Ne vous ne vous sentez pas un peu seul en Bretagne ?
Yves Mervin : Le grand moment de solitude a été celui où j’étais prêt en 2013 à publier Joli mois de mai 1944. J’étais parfaitement conscient de m’inscrire à contre-courant de toute une manière d’écrire l’histoire qui est celle des anciens combattants ou de la plupart des universitaires. J’ai relu ce que j’avais écrit, j’ai vérifié mes sources, j’ai repensé aux résistants qui m’ont aidé dans ma démarche et, en particulier, à celui qui a écrit les trente premières pages et mené les premières enquêtes. Je ne cite pas son nom, conformément au souhait de sa famille, mais je lui exprime ma reconnaissance. Donc j’ai pris la décision d’éditer et, bien évidemment, je ne le regrette pas. J’ai commis quelques imprécisions mais le livre a suscité des témoignages qui confortent largement ce que j’ai écrit.
J’ai été contacté par quelques personnes qui étudient des points d’histoire locale et j’espère qu’elles publieront leurs découvertes. En France, j’ai rejoint l’association pour une Histoire scientifique et critique de l’Occupation (HSCO) créée en 2014 et qui regroupe des historiens professionnels et amateurs. Je pense m’inscrire dans une tendance lourde de remise à plat de beaucoup d’écrits sur la période. Çà prendra des années ou des décennies car de nombreuses archives restent encore interdites d’accès et ce sont les plus sensibles.
Breizh-info.com : quelles anecdotes vous ont particulièrement marquées sur le comportement des nationalistes bretons ?
Yves Mervin : Il y a les tribulations de Jean Falezan pendant la rafle du 16 mai 1944 à Maël-Pestivien, celles de Polig Montjarret, Dorick Le Voyer et leurs femmes en Allemagne… Il y a aussi la fin d’Yves Kerhoas, celles de Jean-Pierre Génevisse et Félix Veillet-Deslandelles ou encore celle d’Hervé Botros…
Breizh-info.com : Finalement, l’activisme de ces nationalistes bretons, y compris dans la Résistance, n’a-t-il pas été avant tout très limité, très peu influent ?
Yves Mervin : Le fait principal de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne, c’est qu’elle a été envahie et occupée pendant quatre ans par les Allemands et qu’elle a ensuite été libérée par les Américains. La Résistance et le nationalisme breton sont des phénomènes secondaires.
Breizh info : Sébastien Carney vient de sortir un livre sur le nationaliste breton d’avant-guerre : Breiz Atao… . vous avez des points communs avec son approche ?
Yves Mervin : Pas vraiment. Son livre est basé sur une recherche bibliographique très complète : c’est de mon point de vue, son principal intérêt. Sébastien Carney aurait pu se contenter de décrire le parcours et les écrits de Yann Fouéré, Olier Mordrel, Raymond Delaporte et Célestin Laîné en laissant les lecteurs libres de se faire leur propre opinion, sans les agrémenter de sa théorie du « non-conformisme » qui me parait assez exotique. Ces personnages sont aujourd’hui décédés et, malheureusement, il n’y aura pas de droit de réponse.
Viens rejoindre notre armée : une résistance bretonne à contre-temps. Yves Mervin – 24 € – auto-édition. Cliquez-ici pour commander l’ouvrage.
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