L’amélioration de la production a multiplié par 10 le niveau de vie en France entre 1840 et 1975 et cet enrichissement de la population française s’est accompagné d’une très forte réduction de l’inégalité.
De même, la question de la connaissance ne peut pas être résolue par l’abaissement des exigences.
Ce n’est pas l’égalisation mais la croissance économique ou la hausse des exigences qui permet l’amélioration du niveau de vie et, paradoxalement, la réduction des inégalités.
Jean-Louis Harouel est agrégé de droit, professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II). Il a publié une vingtaine de livres. Nous l’avons interrogé sur cet ouvrage, excellent et enrichissant.
Breizh-info.com : Pouvez-vous expliquer la thèse principale de votre livre Les mensonges de l’égalité ? Vous écrivez que l’égalité conduit à la dislocation, tant sur le plan économique que moral ou scientifique. Pouvez-vous donner des exemples concrets de cela ?
Jean-Louis Harouel : Inspirant tout le système de redistribution financé par des prélèvements fiscaux et sociaux écrasants, l’obsession égalitaire augmente les coûts de production de manière accablante pour l’économie. Du fait de l’accumulation des revendications, taxations et réglementations à finalité égalitaire, l’économie et la société souffrent d’une infinité de blocages, de tracasseries et d’injustices. Mettant à profit l’ampleur exceptionnelle de la redistribution sociale égalitaire en France, bien des gens exploitent toutes les ressources de l’État-providence pour ne pas travailler – sauf « au noir ». D’où la difficulté pour les entreprises à trouver du personnel. Et les gens qui travaillent courageusement sont indignés de voir de « petits malins » se débrouiller pour vivre aussi bien qu’eux et même mieux, sans travailler ou presque.
Dans un autre registre, la poursuite obsessionnelle de l’égalité a naguère entraîné les crimes de masse du communisme. Celui-ci était mû par la volonté d’instaurer une parfaite égalité. C’est à cette fin qu’il a confisqué les biens, interdit la propriété privée et la libre activité économique, imposé la collectivisation, ce qui n’a été possible que grâce à un usage impitoyable de la violence afin de briser toute résistance.
C’est aussi au nom de l’égalité qu’a été perpétré le saccage de l’enseignement français. Les intellectuels progressistes qui ont pendant plus d’un demi-siècle exercé la direction de l’enseignement français avec la bénédiction de ministres indifféremment de gauche ou de droite ont largement détruit la transmission des savoirs par l’école, en assignant à celle-ci comme mission principale la production de l’égalité et la préparation des élèves à la vie en collectivité. Il en résulte aujourd’hui, dans trop de cas, une école de pays sous-développé.
Par ailleurs, l’obsession égalitaire a également une grande responsabilité dans le déclin démographique de l’Europe occidentale et dans le remplacement des Européens qu’on a empêchés de naître par des populations issues d’autres peuples, d’autres civilisations. L’argument de l’égalité entre hommes et femmes a été mis en avant par l’Assemblée nationale pour proclamer que l’avortement était un droit fondamental. Et le projet égalitaire mondial qui inspire l’idéologie droits-de-l’hommiste nous invite à considérer comme une chose naturelle et bonne que l’insuffisance des naissances européennes soit compensée par l’arrivée de masses de gens principalement issus d’Afrique et du Moyen-Orient. Si bien que les nations occidentales périssent d’elles-mêmes, par maladie d’égalité.
Breizh-info.com : Comment percevez-vous l’influence de l’écologisme subversif et de l’ultra-gauche anarchiste sur les théories égalitaires contemporaines ?
Jean-Louis Harouel : Obsédés par leur combat contre le « productivisme » occidental, les pontifes de la religion séculière écologiste prônent, sur un mode vertueusement égalitaire, aux populations dont ils prétendent assurer le salut, une sobriété qui n’est en réalité qu’une redescente vers le sous-développement. C’est en quelque sorte la reprise du projet égalitaire régressif de Babeuf et de ses amis, qui avaient préparé en 1796 un coup de force afin d’instaurer une société communiste où régnerait « l’égalité réelle », c’est-à-dire une identité parfaite des conditions de vie au sein de la population. La cité égalitaire qu’ils voulaient serait vertueusement austère. Buonarotti, l’un des chefs du complot babouviste, affirmait que la félicité publique n’a besoin que du nécessaire et nullement du superflu.
On n’était pas loin du discours que tiennent aujourd’hui les apôtres de la décroissance, lorsqu’ils appellent les populations occidentales à toujours plus de sobriété au nom de l’objectif « zéro carbone ». Le mot à la mode de « sobriété » désigne pudiquement la pauvreté que ne peut manquer de produire la grande précarité énergétique qu’on nous prépare, s’ajoutant à une désindustrialisation qui a déjà largement déclassé et appauvrie la France ainsi que bon nombre d’autres pays occidentaux. Il s’agit de nous faire accepter et même aimer et désirer, au nom d’un idéal écologiste égalitaire, le retour à un monde de dure privation matérielle. Poussé jusqu’à son terme, ce programme renvoie à l’idéologie des zadistes de Notre-Dame-des-Landes et autres lieux, dont l’anarchisme égalitaire radical se délecte d’une décroissance malgré tout sans grand danger pour eux, puisque, tout en renouant avec la dure vie matérielle faiblement productive d’autrefois, ils peuvent tout de même compter en cas de problème sur les douceurs de notre monde carboné à haute technicité, comme de se faire soigner à l’hôpital quand ils sont blessés ou malades.
Breizh-info.com : Comment définiriez-vous la maladie égalitaire ? Quels effets négatifs a-t-elle sur la civilisation ? Qu’est-ce que la vertu de l’inégalité ?
Jean-Louis Harouel : Ce que l’on peut appeler la maladie égalitaire résulte du fait que la recherche de l’égalité se trouve substituée à celle de l’intérêt général. Or celui-ci est bien loin de se résumer à l’égalité. Celle-ci n’est qu’un élément parmi beaucoup d’autres de la poursuite du bien commun. Infiniment plus que d’égalité, une population a besoin de sécurité, de liberté, de bien-être matériel et moral, de prospérité, de continuité démographique, de richesse intellectuelle et artistique. Un monde où l’idée du bien commun se trouve remplacée par l’obsession de l’égalité tourne délibérément le dos à la réalité, et ce sera forcément un monde totalitaire. Il lui faut en effet une classe de gens qui gouvernent, administrent et jugent en ne prenant en compte que l’égalité, sans nul souci du bien commun. Et la domination de cette classe de commissaires à l’égalité engendre fatalement la tyrannie, et bien souvent le déchaînement de la violence, comme en témoigne l’exemple sanglant du communisme. Dans sa version droits-de-l’hommiste et wokiste, la maladie égalitaire produit un totalitarisme plus mou mais bien réel, qui détruit les libertés publiques et tout particulièrement la liberté de pensée et d’expression de la pensée. Quand l’État se donne pour objectif principal de pourchasser les inégalités sous toutes leurs formes pour rendre la société plus égale, il agit contre le bien commun et trahit sa mission.
Quant à l’inégalité, il ne faut jamais perdre de vue sa dimension historique d’outil de civilisation. Fondamentalement, la civilisation est un processus inégalitaire. Civilisation et inégalité sont indissociables car ce sont deux visages d’un même phénomène. Depuis la préhistoire, l’histoire de la civilisation a été l’histoire de l’inégalité. À travers les millénaires et les siècles, les sciences, les arts, la littérature et la pensée furent le fruit de sociétés inégalitaires, et souvent esclavagistes. Si bien qu’il y a une légitimité objective de l’inégalité, attestée par l’histoire. Les découvertes mathématiques de Pythagore ou de Thalès, la pensée de Platon ou d’Aristote, l’œuvre de Léonard de Vinci, de Michel Ange ou de Mozart ne pouvaient être le fait que d’une société inégalitaire. D’ailleurs, les babouvistes étaient conscients que le monde de parfaite égalité dont ils rêvaient allait faire mourir la vie artistique et intellectuelle, et ils l’assumaient pleinement. Dans le programme des babouvistes, intitulé le Manifeste des égaux, on peut lire : « Périssent, s’il le faut, tous les arts, pourvu qu’il nous reste l’égalité réelle. » La cité égalitaire de l’avenir devait se passer d’intellectuels et d’artistes. Babeuf et ses amis y voyaient le prix à payer pour l’avènement de la sainte égalité.
Breizh-info.com : Vous mettez en évidence que la suppression de l’inégalité ne change rien au volume de la production ni au revenu moyen. Comment percevez-vous la redistribution des richesses dans ce contexte ? Quels facteurs ont contribué à l’augmentation du niveau de vie ?
Jean-Louis Harouel : Á la racine du mot « pauvre », on trouve le mot latin pauper, qui signifie : celui qui produit peu. Si les sociétés traditionnelles étaient pauvres, ce n’était pas à cause d’une poignée de riches, mais parce qu’elles produisaient peu : leur niveau technique étant bas, la productivité du travail humain y était faible. En outre, dans ce monde non développé, plus la population était importante, plus elle vivait mal. L’augmentation du chiffre des humains réduisait les portions alimentaires, engendrant une sous-alimentation chronique, et la surpopulation débouchait couramment sur des famines faisant périr jusqu’à 10% de la population. Mais cela ne suffisait pas à faire remonter les niveaux de vie. Pour que le peuple vive bien, dans l’abondance alimentaire, il fallait vraiment des catastrophes démographiques gigantesques, faisant mourir jusqu’à la moitié de la population. Ainsi, en Europe occidentale, si la peste noire fut infiniment tragique en raison du nombre immense des morts, pendant deux siècles les survivants ont bénéficié d’une vie individuelle heureuse, de 1350 à 1550. Après quoi la remontée du nombre des humains a fait retomber la population dans la précarité alimentaire.
Quant à une redistribution des richesses, elle aurait été incapable d’élever le niveau de vie de la population. En effet, mettre fin à la surconsommation d’un tout petit nombre de très riches ne change rien au niveau de vie de la grande masse des gens. Seule une redistribution à l’intérieur même d’une population, en prenant aux classes relativement aisées pour donner aux catégories à moindre revenu, peut améliorer un peu la situation des plus pauvres, tout en spoliant et décourageant les classes moyennes. Mais il ne peut en résulter aucun enrichissement réel de la population. En effet, la suppression de l’inégalité ne change rien au volume de la production et donc au revenu moyen. Or la consommation d’une population ne peut excéder sa production. Si bien que c’est l’augmentation de la production qui peut enrichir un peuple et lui permettre de vivre mieux.
De fait, ce sont le progrès technique et le développement économique mis en branle par la révolution industrielle qui ont permis une prodigieuse augmentation de la création de richesses et de mettre fin à la malédiction de la pauvreté, d’abord dans les pays occidentaux, puis dans un nombre croissant d’autres parties du monde. Sous l’effet du progrès technique, le revenu moyen des populations occidentales avait connu aux XIXe et XXe siècles une croissance sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, c’est la Chine qui vient de connaître en trente ans la même croissance de manière bien plus rapide.
Breizh-info.com : Comment réagissez-vous aux critiques qui pourraient considérer vos points de vue comme controversés ou provocateurs ?
Jean-Louis Harouel : Je rappellerai simplement que si, en 1840, on avait réparti le revenu national total de la France de manière égale entre tous les habitants, cela aurait donné à chacun le salaire du manœuvre de l’industrie de province. Rien de plus ! Alors que sous l’effet du progrès technique, la croissance a multiplié par 10 le niveau de vie en France entre 1840 et 1975. Mise à part une réduction massive du nombre de la population, seule la croissance économique peut enrichir un peuple.
Et j’ajouterai que, si la pauvreté opère aujourd’hui son retour en Occident et tout particulièrement en France, ce n’est pas à cause des inégalités mais en raison de la médiocre création de richesses par l’économie. C’est à cause d’un processus régressif résultant d’une soumission irresponsable à un libre-échangisme générateur de désindustrialisation et plus généralement destructeur de l’économie nationale. Au point qu’en France, la grosse majorité des biens consommés – même agricoles – ont été produits à l’étranger. Or, on le sait, un pays ne peut durablement consommer plus qu’il ne produit. D’où notre appauvrissement, que vient encore renforcer l’arsenal des règles et prélèvements à but égalitaire qui déprime encore davantage l’économie, tout comme un écologisme fauteur d’une précarité énergétique qui ne peut qu’entraîner une baisse du niveau de vie.
Breizh-info.com : Enfin, vous ne traitez pas, dans votre ouvrage, de la question quasiment tabou des inégalités culturelles et raciales – moins tabous aux États-Unis notamment sur la question du QI. N’est-ce pas pourtant là encore une clé pour comprendre l’échec de nos sociétés multiculturelles occidentales ?
Jean-Louis Harouel : Avec leur part de sang noir, Alexandre Dumas et Pouchkine furent au XIXe siècle de grands écrivains merveilleusement nationaux qui firent passionnément aimer l’histoire de leur pays respectifs, la France et la Russie. La différence des « souches raciales », pour parler comme Claude Lévi-Strauss, ne pose pas en soi de problème quand elle ne concerne qu’un assez petit nombre d’individus.
Le problème des sociétés appelées « multiculturelles » vient de la présence dans les pays occidentaux actuels de vastes groupes racialement dissemblables, avec souvent en complément une appartenance à l’islam. Beaucoup des membres de ces groupes développent une identité hostile à celle du pays d’accueil, choisissant de se référer aux règles de vie, aux mentalités et aux mœurs de leur pays d’origine, de manière réelle ou fantasmée.
Le modèle historique de ces sociétés dites multiculturelles se trouve aux États-Unis, et Tocqueville, voici près de deux siècles, en dépit de son horreur de l’esclavage infligé aux Africains déportés aux Amériques et à leur descendance, n’en considérait pas moins que la future coexistence entre la population d’origine européenne et une vaste population noire devenue de condition libre entraînerait des problèmes insolubles. Il estimait que « le plus redoutable de tous les maux » menaçant l’avenir des États-Unis naissait de « la présence des Noirs sur leur sol ». Et il observait que, lorsque l’on cherchait « la cause des embarras présents et des dangers futurs » de ce pays, on arrivait « presque toujours à ce premier fait ».
Il y a encore un demi-siècle, les États-Unis étaient pratiquement la seule nation occidentale pluriethnique, mais ce système a été étendu à tout l’Occident à la grande satisfaction des gouvernants américains et très largement sous leur influence. Mais, alors que les ancêtres des Noirs américains ont été amenés contre leur gré, les populations d’origine extraeuropéenne présentes en France et dans les autres pays européens y sont venues par intérêt. Elles ne sont donc nullement fondées à se plaindre que ces nations soient de souche raciale blanche et que leur civilisation soit issue de la chrétienté. On connaît le propos du général de Gaulle disant que c’était « très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns », mais ajoutant « à condition qu’ils restent une petite minorité ». Le malheur de la France vient de ce qu’ils ne sont plus une petite minorité. Et aussi du fait que, depuis les années Mitterrand, la France a répudié le principe de l’assimilation des étrangers, qui lui permettait de rendre viable son idéal universaliste en le tempérant par le réalisme.
Á partir du modèle communautariste ethnique, le multiculturalisme a multiplié les sociétés particulières au sein de la société globale, sur la base d’une infinité d’autres particularismes : sexe, préférences sexuelle, revendication d’un genre, appartenance religieuse, morphologie, degré d’aptitude physique ou tout autre critère. Les diverses communautés baignent dans un univers mental dominé par l’obsession de leur particularité : couleur de la peau, appartenance à l’islam, sexe réel ou fantasmé, etc. Et toutes les revendications des membres de ces communautés sont, au nom de l’égalité, transformées en une infinité de droits subjectifs qui paralysent toute politique d’intérêt général et détruisent la liberté commune au bénéfice de libertés particulières contraires au bien commun. Entérinant des exigences propres à chaque groupe, ces droits subjectifs deviennent des droits identitaires destructeurs de l’unité des nations occidentales et de leur système juridique. Là est la cause profonde de l’échec de nos sociétés « multiculturelles ».
Propos recueillis par YV
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