En 1932, la Gauche française vote les lois de préférence nationale...
Entre les deux guerres mondiales, la reconstruction du pays nécessite un apport de travailleurs étrangers. En 1926, ils seront 2,5 millions. A partir de 1928, la crise économique mondiale a pour conséquence une montée du chômage de masse. La xénophobie contre les Polonais, Italiens et Espagnols progresse en France.
Dès 1931, la presse syndicale de la CGT ou de la CGT-U (communiste) lance une campagne d’opinion contre « les étrangers qui volent le travail des Français ».
Une proposition de loi de la SFIO, déposée en août 1931 et visant à donner la préférence nationale aux travailleurs français ne sera pas adoptée.
Par contre, un an plus tard, le 10 août 1932, une autre loi est votée, à l’initiative du gouvernement de Edouard Herriot (groupe Républicain radical et radical-socialiste) dont les socialistes de la SFIO ne font pas partie même s’ils le soutiennent.
Une proposition de loi de la SFIO en août 1931
Le groupe socialiste (dont est membre Roger Salengro en photo) dépose une proposition de loi " tendant à la protection de la main-d'œuvre nationale" qui, dans son premier article, interdit durant une période limitée l’entrée des étrangers en France.
Pour une grande partie de la gauche, l’immigration est alors un moyen pour les patrons d’exploiter à bas prix des ouvriers étrangers et donc de faire baisser le coût de la main d’œuvre pour les travailleurs français.
L’article 2 fixe un seuil maximal de 10 % de travailleurs étrangers dans les entreprises. La loi prévoit des amendes pour les patrons contrevenants.
Tout en réduisant l’accès au marché de l’emploi des travailleurs étrangers, le projet de loi socialiste de 1931 souhaitait étendre leurs droits sociaux en obligeant tout chef d’entreprise à payer les ouvriers étrangers qu’il emploie, « un salaire normal égal pour chaque profession, et dans chaque profession pour chaque catégorie d’ouvriers au taux couramment appliqué dans la ville ou la région où le travail est exécuté. » (art.7) ou même en prévoyant, pour la première fois en France, que « les travailleurs étrangers admis à travailler en France percevront lessecours du chômage dans les mêmes conditions que les travailleurs français » (art. 9).
Quoiqu’il en soit, le ministère Pierre Laval (groupe socialiste indépendant) ne fera pas adopter la loi qu'on attribue abusivement à Roger Salengro.
La loi du 10 août 1932
Un an plus tard, le 10 août 1932, une autre loi est votée, à l’initiative du gouvernement de Edouard Herriot (groupe Républicain radical et radical-socialiste) dont les socialistes de la SFIO ne font pas partie même s’ils le soutiennent sur certains projets de loi.
Cette vraie loi de préférence nationale est assez laxiste par rapport au projet de Roger Salengro qui prévoyait :
- Une limitation comptable très stricte de la main d’œuvre étrangère à 10 % maximum,
- une égalité des droits sociaux entre étrangers et nationaux.
La loi Herriot de 1932 prévoit 5 % pour le secteur public mais ne se prononce pas pour le secteur privé. Elle reste très floue sur l’égalité des droits sociaux pour les étrangers.
En d’autres termes la loi Herriot est en définitive beaucoup plus immigrationniste que le projet Salengro (sauf pour le secteur public) et elle autorise benoîtement, par ses flous et ses silences, l’exploitation patronale des étrangers.
elle ne sera pas votée par le groupe Communiste ni par la SFIO mais par la Gauche non internationaliste soutenant le gouvernement (voir la composition du gouvernement dans le texte de loi donné en annexe)
Cette politique de préférence nationale sera amplifiée au cours du Front populaire. Le 14 avril 1937, Marx Dormoy lance la chasse aux étrangers. Le ministre de l’intérieur socialiste du gouvernement Blum donne des instructions fermes aux préfets de « refouler impitoyablement tout étranger qui cherchera à s’introduire sans passeport ou titre de voyage valable ».
Cette loi de préférence nationale fut abrogée en 1981 par François Mitterrand car contraire aux traités européens signés par la France.
Loi du 10 août 1932 protégeant la main d’oeuvre nationale
Nous reproduisons in extenso le contenu de la loi comme texte de référence à l'article mentionné en fin de texte.
Les groupes d'appartenance des ministres signataires ont été ajoutés à partir des données officielles du site de l'Assemblée nationale. La Gauche ne pourra plus dire que cette loi était l'oeuvre du Centre ou de la Droite!
Loi du 10 août 1932 protégeant la main d’oeuvre nationale
Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Art. 1er : Les cahiers des charges des marchés de travaux publics ou de fournitures passés au nom de l’État, des départements, des communes et des établissements publics, par adjudication ou de gré à gré, ainsi que les cahiers des charges des contrats de concessions ou d’affermage passés par ces mêmes collectivités, devront déterminer la proportion des travailleurs étrangers qui pourront être employés dans les chantiers ou ateliers organisés ou fonctionnant en vue de l’exécution des marchés, ainsi que dans les exploitations concédées ou affermées. Cette proportion sera fixée après consultation des services publics de placement compétents. Dans les services publics concédés, cette proportion ne pourra pas dépasser 5 p.100. Les mêmes collectivités fixeront, dans les mêmes conditions, la proportion des travailleurs étrangers qui pourront être occupés dans les travaux, fournitures ou services qu’ils feront exécuter en règle.
Art. 2 : En ce qui concerne les entreprises privées, industrielles ou commerciales, non visées par l’article précédent, des décrets pourront fixer la proportion des travailleurs étrangers qui pourront y être employés. Cette proportion sera fixée par profession, par industrie, par commerce ou par catégorie professionnelle, pour l’ensemble du territoire ou pour une région. Les décrets fixeront, le cas échéant, les délais dans lesquels cette proportion sera ramenée, en une ou plusieurs étapes, aux limitations fixées. Ces décrets seront pris, soit d’office, soit à la demande d’une ou plusieurs organisations patronales ou ouvrières, nationales ou régionales intéressées. Dans l’un et l’autre cas, les organisations patronales et ouvrières intéressées et le conseil national de la main d’œuvre devront être consultés. Ils devront donner leur avis dans le délai d’un mois.
Art. 3 : Tout étranger désirant entrer en France pour y être employé comme travailleur devra être muni d’une autorisation ministérielle spéciale accordée après consultation des services publics de placement. Tout étranger déjà entré en France ne pourra y être employé que s’il est pourvu de cette même autorisation.
Art. 4 : Un décret déterminera les conditions d’application de la présente loi aux ouvriers dits « frontaliers » et « saisonniers » résidant à l’étranger et travaillant à l’intérieur du territoire français, s’ils possèdent la nationalité du pays où ils résident.
Art. 5 : Les chefs des entreprises privées visées par les articles 1er et 2 sont tenus de déclarer tout embauchage de travailleurs étrangers à l’office public de placement, ou, s’il n’en existe pas dans la commune, à la mairie de leur commune.
Art. 6 : Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux travailleurs à domicile employés par les entreprises visées par les articles 1er et 2.0
Art. 7 : Un décret, pris après avis du conseil national de la main d’œuvre, déterminera les conditions dans lesquelles auront lieu les consultations prévues par la présente loi, ainsi que les conditions dans lesquelles pourront être accordées les dérogations à celles-ci. Ces dérogations pourront être accordées par région et par catégorie professionnelle.
Art. 8 : Tout employeur qui aura occupé une proportion de travailleurs étrangers supérieure à la limite fixée en vertu de l’article 1er ou d’un décret prévu par l’article 2, sera passible d’une amende de 5 à 13 francs par jour, par travailleur irrégulièrement occupé. Toute contravention à l’article 5 sera punie d’une amende de 1 à 5 francs. Ces pénalités ne sauraient préjudicier à l’application de celles prévues par les cahiers des charges ou par l’article 172 du livre II du code du travail.
La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi d’État.
Fait à Mercy-le-Haut, le 10 août 1932
Albert LEBRUN
Par le Président de la République :
Le président du conseil, Ministre des affaires étrangères, Edouard HERRIOT (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le garde des sceaux, ministre de la justice, René RENOULT (ndlr : sénateur & ancien président du parti Radical)
Le ministre de l’intérieur, Camille CHAUTEMPS (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre du travail et de la prévoyance sociale, Albert DALIMIER (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre des finances, GERMAIN-MARTIN (ndlr : Gauche radicale)
Le ministre du budget, Maurice PALMADE (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre de la guerre, (ndlr : Parti socialiste)
Le ministre de la marine, Georges LEYGUES (ndlr : Républicains de gauche)
Le ministre de l’air, Paul PAINLEVE (ndlr : Parti républicain socialiste)
Le ministre de l’éducation nationale, A. de MONZIE (ndlr : Parti socialiste français)
Le ministre des travaux publics, Edouard DALADIER (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre du commerce et de l’industrie, Julien DURAND (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre de l’agriculture, Abel GARDEY (ndlr : sénateur Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre des colonies, Albert SARRAUT (ndlr : sénateur Parti radical et radical socialiste)
Le ministre des pensions, Aimé BERTHOD (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre des postes, télégraphes et téléphones, Henri QUEUILLE (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
Le ministre de la santé publique, Justin GODART (ndlr : sénateur Radical et radical-socialiste)
Le ministre de la marine marchande, Léon MEYER (ndlr : Républicain radical et radical-socialiste)
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