Beaucoup moins connu, sinon ignoré, est l’assassinat d’un brave recteur morbihannais, l’abbé Emmanuel Rallier, attaché à la paroisse de Bieuzy-Lanvaux.
L’abbé Rallier fut assassiné, le jour anniversaire de ses 45 ans par des ” résistants “. Ll’un d’eux était une de ses ouailles qu’il connaissait parfaitement pour lui avoir fait le catéchisme et préparé à sa Première Communion.
29 juillet 1944, le bourg connait un va et vient de gens à l’allure inquiétante en ces temps troublés. D’un bar à l’autre, ils vont se répandre en propos tout aussi inquiétants, parlant de régler leurs comptes à des « collabos ». Dans l’après-midi, l’abbé Rallier a reçu la visite des gendarmes de Pluvigner, « de vrais patriotes », disait-il.
Le soir, un confrère, l’abbé Le Mer, professeur à Saint-Louis de Lorient était son invité à souper. L’abbé Rallier, son confrère, mais aussi sa sœur, Louise Rallier qui est sa servante au presbytère, montent se coucher.
Il est 10 heures du soir, il fait encore jour en cette saison, on frappe à la porte, Louise Rallier ouvre la fenêtre de sa chambre et voit des hommes armés. Elle leur demande ce qu’ils veulent, ils lui répondent qu’on « demande le recteur pour un malade ». Evidemment, bien que déjà couché, en bon prêtre, le recteur s’habille. A son tour, il demande aux hommes ce qu’ils veulent : « Venez à Scoulboc’h, Guillemet vous attend ».
Il n’y a pas de Guillemet à Scoulboc’h, répond le prêtre qui connait tout son monde. Il comprend le piège et les véritables intentions de ces hommes. Il reconnait justement l’un d’eux ; « Toi, je te connais ! », mais c’est déjà trop tard. Aussitôt le prêtre monte, demande l’absolution à son confrère. « Descendez, Rallier ! » lui ordonne un des tueurs. Laissez mon frère tranquille, il n’a rien fait, j’ai peur de vos armes, laissez-les à la porte ! ». Nous ne vous voulons aucun mal, seulement parler au recteur.
L’abbé Rallier arrive : « Me voilà ! Que me voulez-vous ? ». Aussitôt l’un des assassins tire un coup de révolver. Le recteur touché tombe, se relève et se précipite sur le tireur, un deuxième coup l’abat de nouveau. Sa sœur se précipite, et est abattue à son tour d’une balle en pleine bouche.
« Ca y est, ça n’a pas été long ! », se félicitent les criminels. Pendant ce temps-là, l’abbé Le Mer est resté caché dans sa chambre, ce qui lui évite d’être aussi abattu, il ira prévenir les autorités.
Le lendemain, l’abbé Le Mer, qui est allé se réfugier chez une personne du bourg, annonce la mort de l’abbé Rallier. Beaucoup de gens sont consternés, mais la peur de représailles les rende prudents…et lâches. D’autres n’hésitent pas à crier partout « Qu’il n’a eu que ce qu’il méritait pour avoir dénoncer des patriotes aux Boches ».
Il lisait la presse nationaliste bretonne, il devait donc mourir.
Ces calomnies sont évidemment les mêmes que celles qui « justifièrent » les assassinats de l’abbé Perrot et de l’abbé Lec’hvien, elles étaient en tout point entièrement fausses.
Mais voilà, l’abbé Rallier était aussi un sympathisant du nationalisme breton, et ami de confrères comme l’abbé Buléon, l’abbé Perrot. Il était lecteur de « Dihunamb » et ami de Loeiz Herrieu, recevait « Feiz ha Breiz » et « l’Heure Bretonne » ; on l’accusait d’avoir des liens avec « Breiz-Atao » et d’accueillir dans son presbytère des réunions d’autonomistes bretons.
S’il était bien lecteur de cette presse bretonne, il n’était en rien un militant, loin s’en faut. Ce qu’on lui reprochait en vérité, c’est d’avoir en pleine guerre construit une école catholique, car à Bieuzy il n’y avait qu’une école publique, aux relents très anti-chrétiens. Or, pour bâtir, il lui fallait du ciment, du sable, du bois, des clous, des ardoises, et bien d’autres matériaux.
Il était donc évident que le recteur ne pouvait se procurer tout cela qu’auprès des autorités allemandes, et qu’en échange « il dénonçait des patriotes ». On sait qu’il finança les travaux de son école uniquement avec ses maigres économies, et des dons, comme le fit l’abbé Perrot lorsque ce dernier restaurait les chapelles. Mais, en ces temps de restrictions, les rumeurs jalouses imposaient qu’un curé qui « avait de l’argent », ce ne pouvait qu’être de l’argent « sale, de l’argent de Boches »…
La veille de l’enterrement, une rumeur se répand : les maquisards ont promis d’abattre tous ceux qui s’y rendrait, et d’incendier leur ferme, de tuer leurs troupeaux, exactement les mêmes menaces proférées pour l’enterrement de l’abbé Perrot.
Personne ne voudra porter le recteur en terre, comme personne ne voulut, sur le chemin où il fut abattu, secourir le recteur de Scrignac agonisant.
De ses paroissiens, seuls cinq hommes et quelques femmes osèrent braver les interdits des FTP, cependant qu’une foule d’étrangers à la paroisse arrivait d’ailleurs, comme à Scrignac. Monseigneur Bellec, évêque de Vannes, entouré de trente prêtres présida le service funèbre et prononça l’éloge du défunt martyr, comme pour les obsèques de l’abbé Perrot.
Les tueurs ne seront pas inquiétés, pour la mythologie bolcho-résistantialiste, ils étaient des héros. On apprendra, plus tard, que l’un des tueurs, artisan maçon, n’avait pas apprécié que l’abbé Rallier puisse arriver à bâtir son école en se passant de ses services. Quant aux anti-cléricaux locaux, bouffeurs de curés, ils ne sont pas non plus étrangers à cet assassinat.
Sur la tombe de l’abbé Rallier, surmontée d’une croix celtique, comme la tombe de l’abbé Perrot à Koad-Keo, l’épitaphe gravée dans le granit dit :
Emmanuel Rallier – Recteur de Bieuzy – Assassiné le 29 juillet 1944. « Aveit savein ur skol kristen – Reit en deus e hoad hag e boan » (Pour bâtir une école chrétienne, il a donné son sang et sa peine).
Une rue de Bieuzy, non loin de l’église porte tout simplement son nom.
YOUENN CAOUISSIN
Sources :
Rapport de l’abbé Furaut, recteur de Melrand, archives H.Caouissin.
Enquête de Finote Péresse et Luce Loyant (1995) pour la revue « Gwenn ha Du », n° 112 (1996).
Photo : Tombe de l’abbé Rallier dans le vieux cimetière de Bieuzy Lanvaux. (Ph. Padrig Montauzier).
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