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Jorge Soley : « Une majorité d’Espagnols refuse de voir leur pays se transformer en Venezuela » [Interview]

Des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue, dimanche, en Espagne,  contre le projet de loi d’amnistie des indépendantistes catalans poursuivis par la justice, une mesure accordée par le Premier ministre Pedro Sanchez. Nous vous proposerons prochainement un focus sur les manifestations de la part de notre envoyé spécial sur place.

En attendant, nous avons interrogé un catalan, Jorge Soley, qui écrit pour le journal El Debate, mais qui est également professeur à l’Université privée de Valence, et à l’ISSEP. Pour tenter de mieux comprendre ce qui se passe là bas.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Jorge Soley : Je suis Jorge Soley, un catalan de Barcelone, où je suis né et où j’ai vécu toute ma vie. Je suis père de 6 enfants et grand-père de 2 enfants et d’un autre à venir. En plus de mon travail dans une maison d’édition, je suis impliqué dans de multiples initiatives sociales et, dans le domaine académique, je suis professeur au « Centre d’études, formation et analyse social » (CEFAS) de l’Université CEU et à l’ISSEP.

Breizh-info.com : L’Espagne semble de nouveau plus divisée que jamais avec cet « accord de la honte » que fustige la droite, passé entre M. Sanchez et les indépendantistes catalans. Mais les germes de cette division ne remontent-ils pas à beaucoup plus loin ?

Jorge Soley : Il est clair que ce qui se passe en Espagne remonte au passé (en fait, rien ne peut être compris sans cette perspective historique). On pourrait remonter au moins au 19ème siècle, aux guerres carlistes et à la tentative, jamais aboutie, d’établir un modèle d’État rationaliste et libéral en Espagne. Mais si nous regardons le passé plus récent, je crois que ce qui se passe met en évidence les faiblesses de la Constitution de 1978, qui ne contient pas d’éléments suffisamment forts pour empêcher le despotisme démocratique.

Breizh-info.com : Comment analysez vous les manifestations de rue, qui parcourent l’Espagne actuellement ?

Jorge Soley : Une majorité d’Espagnols refuse de voir leur pays se transformer en Venezuela, un endroit où il n’y a pas de loi au-delà de ce que le pouvoir en place décide à tout moment. En fait, il y a trois mois, les socialistes défendaient exactement le contraire de ce qu’ils défendent aujourd’hui : ils n’avaient pas besoin des 7 voix des séparatistes catalans pour rester au gouvernement. Il ne reste plus à ces centaines de milliers d’Espagnols qu’à manifester leur refus dans les rues.

Breizh-info.com : Quelle est la réaction des autorités, mais aussi de la population en Catalogne ?

Jorge Soley : Les autorités restent pour l’instant plus ou moins passives, quelque peu surprises par l’ampleur des protestations mais confiantes dans le fait qu’elles passeront avec le temps.

Quant à la population de la Catalogne, elle reste divisée. Les indépendantistes ont perdu de leur force (en fait, leurs résultats aux dernières élections ont été assez mauvais, ce qui les a sauvés, c’est l’impossibilité pour un Pedro Sánchez également affaibli d’obtenir une majorité parlementaire sans eux), mais les Catalans qui défendent l’Espagne n’exultent pas non plus : cette fois, l’ennemi, c’est le gouvernement espagnol lui-même.

Breizh-info.com : Pourquoi l’Espagne est-elle si hostile à un référendum en Catalogne ? Finalement, qu’un peuple décide seul de sa souveraineté et de son avenir, n’est-ce pas une aspiration démocratique ? N’est-il pas normal par ailleurs que les impôts des Catalans restent en Catalogne ?

Jorge Soley : L’Espagne n’envisage pas la possibilité d’une indépendance catalane car il n’y a pas de peuple catalan distinct du peuple espagnol, mais les Catalans font partie du peuple espagnol. La Catalogne n’a jamais existé en tant qu’entité politique indépendante, mais a toujours eu conscience de faire partie d’un ensemble plus vaste, l’Hispania, depuis l’époque de la Reconquête. Cela n’exclut pas le fait que cette partie de l’Espagne qu’est la Catalogne a sa propre culture et sa propre identité, qui ont toujours été respectées en Espagne jusqu’aux tentatives d’homogénéisation de l’Espagne conformément au projet venu de la France issue de la Révolution.

En ce qui concerne la fiscalité, il est normal que les régions les plus riches d’un pays soient plus solidaires à l’égard des régions les plus pauvres. En effet, la balance fiscale de Madrid ou des Baléares est plus mauvaise que celle de la Catalogne. Un déficit fiscal qui est d’ailleurs plus que compensé par l’excédent commercial avec le reste de l’Espagne. Je ne pense pas que le problème soit le déficit fiscal (même les indépendantistes les plus sérieux le reconnaissent), mais plutôt ce à quoi le gouvernement espagnol dépense cet argent. L’utilisation de l’argent public pour créer des réseaux clientélistes et pour financer initiatives qui sapent notre culture et notre identité est quelque chose dont nous devrions parler, et parler beaucoup.

Breizh-info.com : Comment pensez-vous que la situation puisse évoluer ces prochaines semaines, ces prochains mois, entre deux ou même trois Espagne qui semblent ne plus vouloir, ne plus pouvoir vivre ensemble, y compris sur des questions sociétales qui ont profondément divisé la société civile ?

Jorge Soley : Je ne suis pas devin, mais les manifestations vont se poursuivre pendant un certain temps. Je pense que Pedro Sánchez poursuivra ses projets et formera un gouvernement (également parce que si des élections avaient lieu maintenant, les socialistes perdraient leur soutien). Lorsque le moment sera venu d’appliquer les mesures accordées avec les indépendantistes, les tensions seront énormes et il n’est pas exclu qu’un juge les déclare illégales. Ensuite, lorsque le système lui-même entrera en contradiction, nous verrons si l’Espagne franchit le pas vers un despotisme à la vénézuélienne. Reste à savoir comment le roi agira lorsque le système qu’il est chargé de préserver explosera.

En attendant, il ne semble pas que le gouvernement ait la force de faire passer de nouvelles lois sociétales à l’exception de l’expulsion des Bénédictins de la Vallée de los Caídos, près de Madrid, où se trouve un monastère bénédictin fondé après la guerre civile sous le patronage de Franco. Les socialistes veulent en finir avec cette communauté bénédictine qu’ils considèrent comme l’héritière du franquisme…

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

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