Son but déclaré est d’obtenir des 27 États Membres de l’Union, l’autorisation d’ouvrir et de conduire les négociations d’accession pour ces quatre pays, mais son but réel, est en fait un transfert définitif de pouvoir des États Membres, vers la Commission Européenne.
De très nombreuses voix se sont fait entendre pour signaler que cet élargissement de plus, était totalement aberrant pour, a minima, les raisons suivantes.
Développement économique
Aucun de ces pays n’a un niveau de développement compatible avec celui des pays de l’Union Européenne.
Le PIB moyen par habitant est de 35 200 € brut pour les 27 pays de l’Union, contre 7 500 € pour la Bosnie-Herzégovine, 4 000 € pour l’Ukraine, 3 700 € pour la Géorgie, et 3 400 € pour la Géorgie.
L’écart, laisse entrevoir le coût colossal de mise à niveau de ces pays, coût que devront supporter les contribuables des États Membres contributeurs nets : Allemagne, France, les trois pays du Benelux, Danemark, Suède et Finlande.
Conflits
Ces quatre pays sont dans une situation internationale « compliquée », et tous ont des problèmes de frontières avec leurs voisins :
- La Géorgie et la Moldavie avec la Russie qui occupe une partie de leur territoire (les provinces d’Abkhazie, d’Ossétie du Sud, et de Transnistrie) ;
- la Moldavie, avec la Roumanie dont certains partis politiques revendiquent encore le rattachement ;
- la Bosnie-Herzégovine avec la Serbie et la Croatie ;
- enfin, l’Ukraine en guerre ouverte avec la Russie, mais pour laquelle, la Pologne et la Hongrie n’ont pas abandonné toutes revendications.
Faire entrer ces pays dans l’Union Européenne, c’est importer ipso facto ces crises alors que nous ne sommes pas en état de les régler.
Justice
Dans ces quatre pays, l’indépendance de la justice est une notion toute relative, et la corruption y est un phénomène pandémique.
L’association Transparency International (sur laquelle il y a beaucoup à dire) publie chaque année un indice de perception de la corruption. Cet indice n’est certes qu’une moyenne de « perceptions », mais pour avoir travaillé (et gagné ou perdu des affaires) dans plus de cinquante pays du monde, il me semble assez juste. L’indice de Transparency International, donc, classe les pays en fonction du niveau de corruption perçue par ceux qui les connaissent. Plus l’indice est élevé, moins le pays est supposé corrompu.
La Géorgie se classe 45e sur 180 (un score pas si honteux que cela) avec un indice juste au-dessus de la moyenne : 56/100. Tandis que la Bosnie Herzégovine se classe 111e sur 180, la Moldavie 116e et l’Ukraine 122e, coincée entre Le Sierra Leone et le Niger. C’est dire.
Or des justices impartiales et justes sont absolument nécessaires à l’élimination des criminels et des mafias qui ne rêvent que de pouvoir se développer dans un grand marché de libre circulation.
Géographie
Enfin, si je ne nie pas que la Bosnie, la Moldavie et l’Ukraine sont géographiquement européennes (je proposerai dans un prochain article une définition de ce qu’est, selon moi, l’Europe) ce n’est pas le cas de la Géorgie.
En effet, les frontières de l’Europe passent traditionnellement au sud-est par les monts du Caucase. Or la Géorgie est au sud du Caucase et n’est donc pas en Europe.
Au nom de quel principe refuser aux autres pays au Sud du Caucase de rejoindre l’Europe si la Géorgie en devient membre. Certains argumenteront en faveur de l’Arménie, car elle est un État chrétien, mais que diront-ils quand il s’agira de l’Azerbaïdjan, vassale de la Turquie et voisine de l’Iran des Mollahs. Et sur quelle base s’opposeront ils au redémarrage des négociations avec la Turquie (85 millions de musulmans aujourd’hui, 100 en 2050) ?
Une folie
C’est purement et simplement une folie qui se prépare. Et une folie qui va entraîner, si elle a lieu le transfert définitif du pouvoir des États-membres vers la Commission Européenne qui est non démocratique et irresponsable.
De quoi parle-t-on ?
Bruxelles est aujourd’hui le lieu d’une violente lutte de pouvoir entre les États-membres et la Commission.
Traditionnellement, l’Allemagne tentait de renforcer le pouvoir du parlement, car plus que la France, elle se sentait capable d’engerber des majorités de circonstance favorable à ses intérêts ; du fait de son poids économique et industriel, mais aussi parce que depuis 1945 la négociation entre partis politiques aux niveaux des Lander ou du Bundestag est son ADN politique. Aujourd’hui l’Allemagne tente de trouver une sortie à la crise économico-industrielle qui la guette, et qui est essentiellement du a ses choix énergétiques aberrants. Comme le dit Charles Gave, l’économie, ce n’est que de l’énergie transformée.
La France, elle, s’est toujours sentie plus à l’aise au sein du Conseil européen, où son pouvoir vertical, et son statut un peu à part (siège au conseil de sécurité, puissance nucléaire, puissance plus que continentale, notamment grâce à sa présence dans le Pacifique et en Afrique) lui donnait un avantage relatif indéniable. Mais aujourd’hui, elle est terriblement affaiblie, et ne pèse donc plus du tout de la même manière. Pire, elle fait même pitié.
Quant à la Commission qui ne devrait être qu’un secrétariat, elle s’affranchit chaque jour des contraintes que lui imposent les traités, et tente aujourd’hui d’étendre son pouvoir sur la totalité des sujets régaliens, et notamment ceux qui lui échappent encore : la famille, la santé (c’est fait depuis le sombre épisode de la COVID-19), et la Diplomatie et la Défense. Pour ce faire, elle bénéficie de l’abaissement relatif de la France.
Et c’est là que le nouvel élargissement intervient, car mécaniquement, plus il y a d’États-membres, moins chacun d’entre eux à de pouvoir relatif. Mais aussi car déjà dysfonctionnelle à 27, elle ne pourra en aucun cas faire face aux nouveaux défis sécuritaires à 31. Il conviendra donc de supprimer, au nom de l’efficacité, la règle de l’unanimité des décisions et de passer à la règle de la majorité qualifiée avec laquelle le poids de la France deviendra négligeable. Avec ce changement, le Conseil perdra son pouvoir.
Le pouvoir sera alors bel et bien passé d’un Président et d’un gouvernement élus et responsables devant le peuple (même avec toutes les imperfections de la pratique constitutionnelle actuelle) à une oligarchie qui s’auto-choisie, irresponsable devant les peuples, et sans contre-pouvoir.
Et c’est bien cet aspect totalement anti démocratique qui fait que si, comme je l’ai déjà écrit, je suis favorable à une Europe puissance et civilisationnelle dans laquelle la Bosnie-Herzégovine, la Moldavie et l’Ukraine pourraient un jour avoir éventuellement leur place, il convient de s’y opposer de toutes nos forces aujourd’hui pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être…
Il n’y aura plus beaucoup d’occasion de le faire.
Frédéric Eparvier 21/11/2023
https://www.polemia.com/nouvel-elargissement-de-lunion-europeenne-une-folie/