Or, la radicalisation de son discours, rompant avec la logique de « l’arc républicain », contribue à accélérer la désintégration de la politique française. Sa violente attaque contre Ruth Elkrief, pourrait marquer une nouvelle phase de sa marginalisation. La traitant sur X (ex-twitter) de « manipulatrice » et de « fanatique », il ajoute : « Elkrief réduit toute la vie politique à son mépris des musulmans. » Cette sortie faisait suite à une altercation sur le plateau de LCI dimanche 3 décembre, entre la journaliste et le coordinateur de LFI, Manuel Bompard au sujet du conflit israélo-palestinien.
Les prises de positions réitérées de M. Mélenchon sur ce sujet, ses réticences à qualifier de terroriste le Hamas, l’usage du mot génocide visant Israël, auxquels s’ajoute la violence de son assaut contre Mme Ruth Elkrief, vont laisser des traces sur la vie politique française. La marche à la radicalisation du parti de M. Mélenchon l’expose à une diabolisation « de gauche ». Lui-même avait d’ailleurs annoncé quelques jours plus tôt la fin de la Nupes. Le nouveau scandale ne peut qu’enterrer définitivement toute perspective d’une nouvelle entente des mouvements de gauche.
Ces événements s’inscrivent plus globalement dans la logique d’une désintégration de la vie politique française à l’œuvre depuis 2017 mais dont les ressorts sont en place depuis bien plus longtemps sans doute. Jusqu’alors, la démocratie française s’organisait autour d’un duel entre la gauche et la droite qui parvenaient, tant bien que mal à fédérer, le temps d’un scrutin, les différents courants politiques et alternaient au pouvoir. Ce temps paraît si lointain !
La gauche française se voit désormais morcelée en une demi-douzaine de tendances que la radicalisation de LFI rend de plus en plus inconciliables : les Verts, le parti communiste, le parti socialiste, lui-même déchiré entre les traditionnels (Hollande, Cazeneuve) et la nouvelle vague qui était jusqu’à présent compatible avec Jean-Luc Mélenchon, et puis LFI et l’extrême gauche.
Mais à droite, la situation n’est guère plus confortable. Le fossé ne cesse de se creuser entre le RN qui court après sa propre « dédiabolisation » mais qui au fond, demeure infréquentable au regard des autres partis, son concurrent Reconquête, et la droite classique ou les Républicains. D’ailleurs, cette droite classique est minée par ses déchirements internes. Son drame tient à la défection de la plupart de ses leaders historiques qui ont rallié la « macronie » en 2017 puis en 2022. Pire : le dernier carré des fidèles est aujourd’hui déchiré entre partisans d’ententes ponctuelles avec la majorité présidentielle – en vue sans doute d’une alliance électorale avec elle – et les chantres d’une opposition résolue qui jouent la carte d’une volonté populaire d’alternance en 2027 – et refusent d’en laisser le monopole au RN.
En outre, l’interdiction depuis 2008 d’un troisième mandat présidentiel consécutif voue le macronisme – fondé sur une logique d’allégeance personnelle – à la désintégration à son tour. Dès lors que l’actuel chef de l’Etat ne peut pas se présenter en 2027, la tendance qu’il incarne a peu de chance de survivre à son départ de l’Elysée et, formée de bric-et-de-broc, risque de voler en éclats.
Ainsi, la fragmentation de la scène politique n’en est qu’à son commencement. Bientôt, il n’en restera que des miettes. Cette désintégration ne fait qu’exprimer une crise de l’intelligence politique dans les profondeurs. Dans l’ensemble, les dirigeants politiques ont perdu le sens des idées, des projets et des choix de société. En perte de tous leurs repères, ils ne savent plus qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont, à l’image du leader du PS proposant un capital de 60 000 € en récompense aux jeunes qui décrochent du système scolaire… LFI est pris dans un engrenage fatal et les Verts fustigent les sapins de Noël. La droite LR se mobilise dans le désordre sur les questions de sécurité et d’immigration en réponse à de légitimes inquiétudes, mais cela suffit-il à regagner la confiance ?
La scène politique se fragmente sur les ruines des projets et du débat d’idées. Il reste, pour combler le vide, la course à l’image personnelle et à l’Elysée. Les commentateurs misent aujourd’hui sur un duel entre Edouard Philippe et Marine le Pen aux présidentielles 2027, portés tous les deux par des sondages de popularité (relativement) favorables. Mais cet atout est fragile. Concernant le premier, les Français pourraient un jour lui reprocher la tragédie de la taxe carbone et des gilets jaunes, la fermeture de Fessenheim, les dérives de l’Absurdistan de 2020 et sa proposition de porter l’âge de la retraite à 67 ans. Quant à la seconde, elle n’échappera jamais au caractère extrêmement clivant de son personnage et de son parti qui obère ses chances d’atteindre un jour les 50%.
La politique réduite à une affaire de séduction et de gourou (quel qu’il soit) n’a aucune autre utilité que de couvrir le néant d’idées et de projet. Ce néant est directement à l’origine de l’abstentionnisme massif et du désintérêt croissant des Français pour la chose publique. Pour rendre à la politique ses lettres de noblesse, il faudrait faire tout le contraire et prouver que la politique peut être autre chose qu’une course à l’esbroufe narcissique, à la polémique, aux scandales médiatiques, à l’autosatisfaction et au carriérisme, pour se recentrer sur le service désintéressé de la France. Pour l’instant, nul ne semble l’avoir compris.
MT