Dernière en date à avoir fait les frais de la reductio ad Putinum, Marine Le Pen, ciblée par une enquête du Washington Post publiée le 30 décembre dernier. Intitulé « La Russie s’efforce de saper le soutien français à l’Ukraine, selon des documents », l’article se révèle une laborieuse reprise de ce qui a déjà été lu, vu et entendu ailleurs.
Les « documents du Kremlin »
Malgré l’annonce de l’obtention de « documents du Kremlin » censés établir des connexions entre Moscou et « une multitude de partis d’extrême droite à travers l’Europe, y compris en France », l’essentiel des informations présentées pour incriminer le RN est extrait du rapport de la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale sur les ingérences étrangères rendu public en juin dernier. Donc, rien de vraiment neuf sous le soleil moscovite.
De quoi parlent, alors, ces mystérieux documents obtenus, nous dit le Washington Post, « par un service de sécurité européen » ? Principalement de Sergueï Kirienko, le chef de cabinet adjoint de l'administration de Vladimir Poutine, qui aurait pour mission de promouvoir « la discorde politique en France », de « saper le soutien à l’Ukraine » et « d’affaiblir la détermination de l’OTAN » en développant des stratégies d’influence sur les réseaux sociaux et auprès de personnalités politiques françaises. Un lien quelconque est-il établi avec le RN et Marine Le Pen ? Pas la moindre mention dans l’enquête.
De toute façon, on aurait tort de s’inquiéter car, après nous avoir révélé l’existence d’un « réseau clandestin de propagande en Europe de l’Ouest » aux multiples ramifications, l’article reconnaît que « le message du Kremlin a eu, jusqu'à présent, une résonance limitée en France ». Les Russes ne sont décidemment pas très efficaces.
Les soutiens français de la Russie
Et pourtant, ce ne serait pas faute de bénéficier d’appuis côté français. Le Washington Post insiste particulièrement sur le rôle joué par Jean-Luc Schaffhauser, un ancien député européen Front national, déjà cité lors de l’enquête parlementaire pour avoir aidé le parti de Marine Le Pen à obtenir, en 2014, un prêt auprès d’une banque tchéco-russe.
Présenté comme un personnage central bénéficiant du soutien et du financement de l’ambassade de Russie à Paris, l’enquête indique qu’il aurait « travaillé sur des plans pour propulser les politiciens pro-Moscou au pouvoir » dans toute l’Europe.
On apprend, également, qu’il aurait déclaré au quotidien américain qu'il souhaitait lancer « une fondation avec le soutien de Moscou qui plaiderait en faveur d'un cessez-le-feu en Ukraine » ou encore que, après les émeutes du mois de juin, il aurait eu des discussions avec « plusieurs anciens officiers supérieurs du renseignement militaire français sur la manière de porter au pouvoir, en cas de crise et d’effondrement politique en France, un réseau d'anciens généraux français ».
L’article, prenant une tournure de plus en plus abracadabrantesque, s’achève ainsi sur l’image d’une France menacée d’un coup d’État par des quarterons de généraux en retraite alignés sur Moscou.
Quel lien entre ce galimatias et Marine Le Pen ? On ne sait pas. En revanche, les derniers paragraphes de l’article permettent de mieux comprendre la probable finalité de cette histoire qui, ne l’oublions pas, est avant tout destinée à des lecteurs américains. Pour Schaffhauser, indique en conclusion le Washington Post, le blocage des financements de l’Ukraine au Congrès signifie que « c’est le bon moment » qui va permettre d’obtenir « un cessez-le-feu et un rapprochement avec Moscou ».
Le contexte américain
Le récit d’une Europe en danger, France en tête, prête à basculer dans les bras de Moscou en cas de désengagement américain et de l’arrivée au pouvoir de partis populistes pro-russes est à analyser dans le contexte des pressions actuellement exercées par la Maison-Blanche et les démocrates pour convaincre le Congrès d’accorder une aide supplémentaire à l’Ukraine de 61 milliards de dollars.
Début décembre, le président américain, au cours d’un discours solennel, a reproché aux élus républicains d’être « prêts à offrir à Poutine le plus beau cadeau qu’il puisse espérer ». L’objectif étant, pour Joe Biden, de démontrer que l’Ukraine constitue pour les États-Unis un enjeu de sécurité nationale. « Si Poutine prend l’Ukraine, il ne s’arrêtera pas là », a-t-il affirmé. Agitant la menace d’une extension du conflit à un pays de l’OTAN, Joe Biden a prévenu que des soldats américains risquaient d’avoir à combattre des troupes russes en Europe.
En octobre dernier, le même Washington Post a très bien décrit ce qui est actuellement en jeu et dont l’enquête évoquant Marine Le Pen et la France n’est qu’un des épisodes. Après l’échec de la contre-offensive cet été, les responsables ukrainiens et leurs alliés occidentaux ont été contraints de repenser leur discours afin d’éviter un effondrement du soutien international cet hiver. Une bataille est en cours, indiquait le quotidien américain, à savoir « la lutte pour contrôler l’histoire et influencer la façon dont le monde perçoit la guerre ». « Contrôler le récit est crucial pour maintenir le soutien de l’opinion publique au combat mené par l’Ukraine, qui a commencé à faiblir dans certains pays occidentaux, dont les États-Unis », ajoutait l’article. Tout est dit.
Frédéric Martin-Lassez
https://www.bvoltaire.fr/marine-le-pen-et-la-menace-russe-vues-de-washington/